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Axes de renforcement moral des soldats
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04 avril 2024

FEU SACRÉ ET FEU NUCLÉAIRE : RIVAUX OU COMPLÉMENTAIRES ?
DE LA QUESTION DES FORCES MORALES DANS UN CONTEXTE DE GUERRE DE HAUTE TECHNOLOGIE.

Publié par louis-joseph maynié | N° 131 - FACTEUR HUMAIN

Quel point commun y a-t-il entre le frêle David affrontant le puissant Goliath avec sa fronde, et le fantassin guidant son mini drone explosif vers la tourelle du char de bataille qui le domine de toute sa puissance ? Le courage, le goût du risque et du défi, l’inconscience de la jeunesse dira-t-on... Mais encore, la foi, le patriotisme, l’esprit de sacrifice, le fanatisme religieux ou politique… Mais aussi, l’absence de choix et l’instinct de survie... Autant de facteurs qui peuvent tous se révéler moteurs, individuellement et collectivement, séparément ou de façon cumulative, sur un champ de bataille, quel que soit son niveau technologique.


On retient de la bataille de Gaugaméles en 331 avant Jésus Christ, que le génie militaire d’Alexandre le Grand lui permet de battre Darius à un contre six. Mais cette hagiographie passe sous silence la multiplicité de facteurs contribuant à sa victoire. En réalité, la cohésion et le moral des Macédoniens, leurs armements individuels, leurs techniques et tactiques sont incomparablement supérieurs à ceux des Perses, compensant le rapport de force. Nec plus ultra technologique de cette bataille, les chars à faux de Darius sont détruits en une vingtaine de minutes. Alexandre a étudié leur fonctionnement, et crée la nasse antichar, savoir-faire qui perdure de nos jours avec d’autres moyens.

Lorsqu’une technologie de pointe constitue une arme dévastatrice, elle est un outil de supériorité, du fait de sa puissance matérielle. Elle l’est aussi du point de vue moral, par la terreur qu’elle inspire à celui qui la craint et l’assurance qu’elle procure à son détenteur. Cependant, son emploi ne manque jamais d’être observé, compris, et finalement contré par l’adversaire. Alors l’outil technologique peut se retourner contre son possesseur : sa stratégie étant fondée sur cet armement, la voici caduque ; sa force morale en dépendant partiellement, la voici affaiblie.

Évoquer une bataille antique, à l’heure du nucléaire, peut paraitre saugrenu. Certes, les chars à faux sont bien loin des chars de bataille actuels, mais les hommes qui les emploient n’ont pas changé de nature. De même, la guerre reste l’usage de la violence pour faire plier la volonté de l’adversaire. Primitive ou sophistiquée, elle implique la mort et la destruction. Si elle est devenue, avec Clausewitz, « le prolongement de la politique par d’autres moyens » (1), la guerre confronte l’Homme au dilemme radical de tuer ou d’être tué, de se battre pour continuer à vivre librement.

Ainsi, la vie se confronte-t-elle à la mort sous le rapport de l’acceptation du risque et du danger qui préserve la liberté. Faire face aux menaces est la condition essentielle de la vie, axiome fondamental que la technologie, dans son acception quotidienne et civile, a peu à peu estompé dans nos sociétés. La guerre en Ukraine, marquée par un déploiement technologique massif et innovant, le rappelle de façon brutale à un Occident bercé par la torpeur du confort et la sérénité des dividendes de la paix. C’est pourquoi le thème des forces morales est devenu, ces derniers temps, aussi présent que les sujets technologiques dans les questions de défense.

Confronter la force morale et la technologie dans une dialectique manichéenne, la disposition de l’une annihilant la nécessité de l’autre, serait fallacieux. D’un côté, un progressisme quasi-religieux, acceptant la perspective prométhéenne d’un « transhumanisme de combat ». De l’autre, une forme paroxystique de la volonté de puissance, confinant à un hubris dont les ravages sont connus. En réalité, « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme »(2). La technologie a toujours contribué à l’amélioration de l’activité humaine. Quand cette activité est la guerre, son amélioration est-elle la victoire dans le temps le plus court, avec le moins de dégâts possibles, ou strictement l’inverse ? L’arme nucléaire, bien que menace sommitale, n’a pas fait disparaitre la guerre. En effet, les capacités paroxystiques de destruction s’annulent et on en revient au choc des poitrails. Le conflit ukrainien se poursuit donc avec des moyens conventionnels. Le système de tranchées de la Grande Guerre y a ressurgi, dans le même temps que la numérisation de l’espace de bataille y modifie considérablement les procédures. Dans cet univers dantesque qu’est le champ de bataille moderne, où les drones étendent la zone de mort en ne laissant aucun espace à l’abri des vues et des coups, la force morale des combattants est mise à rude épreuve.

La force d'un individu

Elle se fonde sur trois dimensions : intellectuelle (savoir), morale (vouloir) et physique (pouvoir). Elle se concrétise dans sa capacité d'action (agir). Pour accroître le potentiel humain de l'armée de Terre il convient donc d'approfondir le savoir, de développer le vouloir et de renforcer le pouvoir de chacun de ses membres.

Approfondissement du savoir :
• Dimension psychologique
Il s'agit de garantir des esprits résistants (avant le choc), résilients (après le choc) et agiles, en développant la connaissance individuelle du fonctionnement psychologique, et en systématisant les mécanismes collectifs de soutien.

Développement du vouloir :
• Dimension métaphysique
Il s'agit d'affermir le sens de l'action militaire, reposant sur une métaphysique du combattant qui fonde la singularité militaire, inscrite dans un cadre éthique conforme aux valeurs de la société et à l'histoire de France.

Renforcement du pouvoir :
• Dimension physiologique
Il s'agit d'améliorer la connaissance et la gestion de soi, pour optimiser l'équilibre des fonctions somatiques et augmenter la résistance et la résilience du soldat, lui conservant sa lucidité et sa puissance au moment du combat.

• Dimension physique
Il s'agit de forger des corps puissants, endurants, et résistants, rodés aux automatismes du combat pour surpasser l'adversaire en encaissant les chocs, en restant agressif et offensif malgré les conditions d'engagement.

Extrait de la politique de densification des forces morales dans l’armée de Terre

L’agir humain est un compromis permanent entre raison et émotion. Les émotions sont motrices, la raison est directrice. Quatre champs permettent d’agir sur la force morale du soldat. Le champ physique, (puissance et rusticité des corps), le champ physiologique, (résilience somatique), le champ psychologique (résistance et résilience de la psyché) et le champ métaphysique (sens de l’action). Ce dernier sous-tend l’exercice de la raison dans cette canalisation des émotions violentes que ressent le combattant. Tuer, c’est prendre une vie, tabou qui doit être justifié. Cette justification est philosophique dans son essence, mais politique dans son exercice. Être tué, c’est donner son bien le plus précieux. On ne peut l’accepter qu’en vue d’un bien plus grand. L’ancrage moral du défenseur est donc nécessairement physique, charnel. Pour être capable de donner sa vie, il faut avoir en commun, avec ses camarades de combat, cet amour des personnes et des lieux bien concrets qui prennent place dans un espace humain, culturel et géographique plus grand, mais défini. En Ukraine, on se bat pour un village, un coin de bois. Cependant, sous la mitraille, nulle philosophie ni méditation. La Patrie est toute entière concentrée dans son voisin de tranchée. C’est l’instinct qui prend le dessus. C’est pourquoi Hélie de Saint-Marc écrit que « La guerre exaltera toujours en l’homme ce qui, en lui relève de l’ange – ses ressorts les plus nobles, le courage, le mépris de la mort – et ce qui relève de la bête –ses instincts bestiaux, la peur, la lâcheté. C’est un combat intérieur »(3).

 

Facteurs exerçant une influence sur les forces morales © CDEC, Vecteezy, Freepik

Facteurs exerçant une influence sur les forces morales © CDEC, Vecteezy, Freepik

Par essence, la guerre relie le combat entre les hommes avec le combat à l’intérieur de l’homme. Elle nécessite tout autant l’emploi de l’intelligence que celui de la technologie. Ces dernières, avant de servir la destruction, s’emploient à améliorer le sort de l’humanité. Les sciences et la technologie ont considérablement augmenté la connaissance de l’Homme. Elles ont amené à mieux connaitre les circuits des émotions, les flux hormonaux, la part des différents organes dans l’équilibre somatique, ainsi que les conséquences psychiques et physiologiques des traumatismes sur l’être humain. Ainsi rapportée à la guerre, la technologie n’est pas qu’un catalyseur de destruction, mais aussi un facteur de résilience.

 

Ainsi, c’est plutôt une relation d’interdépendance qui se fait jour entre la force morale et la technologie. Entrer en guerre en disposant de l’une sans l’autre serait une dangereuse illusion. La sagesse, dans nos circonstances modernes, rejoint celle des Anciens, et la recherche de cet équilibre qu’exprime la locution in médio stat virtus, sans oublier que virtus signifie à la fois vertu et courage, tous deux indissociables La technologie n’exempte en rien l’Homme du courage. Par les capacités qu’elle lui donne, elle le contraint à la vertu. Malgré la connaissance qu’elle lui procure en abondance, malgré la distanciation qu’elle permet entre le tireur et la cible, elle ne l’exempte en rien de ses responsabilités. Jamais une machine créée par l’Homme, quel que soit son degré d’autonomie décisionnelle, ne pourra assumer la responsabilité des destructions qu’elle cause à la place de ceux qui l’emploient.

La guerre est un « fait social total »(4) parce qu’elle recouvre tous les champs de l’activité humaine. Il est donc illusoire d’imaginer une guerre par procuration, technologie contre technologie, au sein de laquelle l’Homme ne s’engagerait plus, et serait exempt de force morale comme de responsabilité. Conserver à la guerre sa part de l’ange, qu’évoque Hélie de Saint-Marc, implique donc la recherche de ce juste équilibre entre technologie et force morale, afin que les deux se répondent dans un dialogue permettant à l’Homme de conserver le contrôle des événements et de parvenir à ses fins le plus efficacement et le plus humainement possible. Au-delà de ses intérêts, il y préservera son âme et sa civilisation.

1 CLAUSEWITZ Karl, De la guerre, 1832
2 RABELAIS.
3 SAINT-MARC, Hélie, cité par ROYAL, Benoît in L’éthique du soldat Français, Economica 2014.
4 Expression de Marcel MAUSS, anthropologue.

Photo de l auteur
Louis-Joseph Maynié

Officier dans l’armée de Terre, après vingt années partagées entre l’opérationnel au sein des parachutistes et l’instruction à l’Académie Militaire de Saint-Cyr, puis deux ans de scolarité à l’École de Guerre, Louis-Joseph Maynié est affecté au CDEC, centre de doctrine de l’armée de Terre, pour y poursuivre ses travaux sur les forces morales. Dans le cadre de cette affectation, il occupe la fonction d’expert associé à l’Institut Montaigne sur les questions de défense.

Auteur

louis-joseph maynié
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