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L'ingénieur de l'armement, vu par Dall-E
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13 mars 2023

FAUT-IL RÉFORMER LA DGA ?

C’est un air qu’on entend curieusement tous les cinq ans avec une petite connotation « Taïaut ! », (sans être paranoïaque) et les Délégués successifs y vont de leur réforme. Je n’ai pas fait exception à la règle.


 

Il est de toute façon sain qu’une organisation se remette en cause en permanence. Je ne compte pas les réformes, les transformations dit-on aujourd’hui, que j’ai pu initier et conduire tant à la DGA que dans l’industrie.

Ce qui me paraît intéressant, c’est de comprendre pourquoi la DGA fait l’objet de tant d’appréciations passionnées, le plus souvent très admiratives – très récemment un pays important me consultait pour comprendre comment la DGA avait réussi à construire sur plusieurs décennies une industrie capable de fournir la quasi-totalité des systèmes de défense-, et le rôle que les Ingénieurs de l’Armement (IA) y jouent.

Ma vision du rôle de la DGA : anticiper les menaces et les possibilités technologiques pour y répondre afin de proposer des réponses cohérentes au plan systèmes et dans la durée, soutenables financièrement sur toute la durée de vie et suffisamment flexibles pour permettre les adaptations. Savoir monter des partenariats, de préférence européens, pour une meilleure efficacité, savoir soutenir les ventes à l’exportation grâce à la crédibilité de l’organisation. Enfin savoir convaincre et être pédagogue, j’ajoute ne pas craindre de faire de la politique. Combien de fois me suis-je fait dire « toi tu es un technicien… » ; qu’ils étaient lourds ces points de suspension et stupidement suffisants !

D’un autre côté les ressources humaines de la DGA, très largement des ingénieurs et des techniciens. Grosses compétences techniques, sens des valeurs et de l’engagement, solidarité sans faille et j’ajoute, un enthousiasme qui entraîne adhésion et admiration.

« QU’ON SIMPLIFIE LES CIRCUITS DE DÉCISION ET QU’ON RESPONSABILISE MIEUX LES ACTEURS »

Que de bons souvenirs à Bagneux -mais oui !- où toute la DGA parisienne était sur un même site, de pouvoir se balader dans les couloirs, rencontrer des ingénieurs passionnés et aller ensemble à la cafétéria pour échanger avec une équipe de façon informelle. Et que dire également des présentations faites au Président Chirac à Istres par une douzaine d’ingénieurs intimidés mais passionnés qui savaient si bien mettre en valeur leurs travaux. Et plus mémorable encore, la répétition générale la veille au soir tard avec son lot de bafouillages noyés dans un bon dîner. Comment ne pas être fier et même ému par tant d’engagement !

Les ingénieurs (hommes et femmes), donc la force de la DGA.

J’ai eu l’honneur de présider la fédération des Ingénieurs et Scientifiques de France (IESF) qui regroupe les 1.200.000 ingénieurs français. Voici ce qu’on dit du rôle essentiel des ingénieurs dans notre société dans la dernière publication Regards de l’ingénieur : Les ingénieurs dont la mission est de proposer et mettre en œuvre sur le terrain des solutions pertinentes sont confrontés à un double défi :
- Contribuer activement à un développement durable, pour tous.

- Assurer, par leurs valeurs et leur éthique, que le progrès technologique soit compris et accepté, bénéfique pour le plus grand nombre, et socialement équitable.

Au risque d’en étonner plus d’un, je suis convaincu que le jeune ingénieur de la DGA qui cherche du sens et l’y trouve, je pense, est conscient de cet impératif supérieur qui enrichit le sens de sa mission au profit de la Défense (je préfère à « Armées »). La force de la DGA, ce sont ces ingénieurs dont la compétence technique, la hauteur de vue, le sens de l’intérêt collectif sont très largement reconnus. Et c’est à la DGA et grâce à la DGA qu’ils/elles acquièrent ces savoir-faire précieux. Aux IA de faire preuve d’un leadership éclairé en cohérence avec les valeurs de l’ingénieur.

Maintenant, essayons de répondre à la question posée dans le titre.

La DGA est intimement mêlée au ministère des Armées et c’est nécessaire. Pourtant, quand on vient de l’industrie, notamment de la grande société internationale qu’est Thales, on est sidéré par la lenteur de prise de décision et surtout d’exécution des décisions à la DGA ou plutôt dans le ministère. Les délégations réelles sont ridiculement faibles : soit les acteurs cherchent une caution auprès du Cabinet, soit des acteurs extérieurs se comportent comme si leur aval était nécessaire. Je me souviens d’avoir décidé, après analyse avec les équipes, de monter le missile Hellfire sur le Tigre, puisque nous n’avions pas de missile à cette époque. Quelle outrecuidance ! Quelques sourcils levés et une « convocation » par un ancien ministre pour m’expliquer que le produit de la société Rafael était celui que les autorités françaises voulaient. Le missile Hellfire a bien été intégré sur le Tigre.

Tigre HAD équipé du missile Hellfire

Tigre HAD équipé du Missile Hellfire monté sur Tigre... Une décision critiquée, mais rationnelle

Que dire du « copilotage » du programme 146 ? A-t-on besoin de comités divers pour avoir de la transparence et bâtir la confiance ? Pourquoi ne fait-on pas la même chose pour le programme 178 dont la gestion technique et financière mériterait plus d’attention ?

Le plus étonnant, venant d’une grande entreprise où j’avais la responsabilité de l’activité de plusieurs dizaines de milliers de collaborateurs, est le domaine des ressources humaines qui comme je l’ai souligné plus haut est essentiel pour la DGA. Les dizaines de statuts qui s’entremêlent, les comités en tout genre qui diluent toute responsabilité dans un domaine où c’est l’employeur et lui seul qui a la responsabilité de la performance collective de l’organisation qu’il dirige, compliquent inutilement de travail des responsables RH.

A mon sens, les causes profondes sont d’une part les réticences à partager les informations et d’autre part le manque de confiance chronique qui conduit à un coûteux contrôle a priori. Heureusement, s’agissant du Comex, j’ai pratiquement tout le temps pu m’entourer des personnes que je souhaitais : une équipe formidable, capable également de se défoncer dans un « accro-branche » et révélant des talents insoupçonnés.

Donc s’il y a à réformer la DGA, je recommanderais qu’on simplifie les circuits de décision et qu’on responsabilise mieux les acteurs au sein du ministère des Armées. Bien entendu, le travail permanent d’amélioration des processus internes, notamment en ingénierie, est nécessaire pour améliorer la réactivité sans compromettre le professionnalisme. Enfin, les centres techniques de la DGA avec les ressources humaines sont l’autre atout clé à développer, dans un cadre probablement européen.

« LA DIFFÉRENCE SE FAIT NON PAS SUR LES CONNAISSANCES TECHNIQUES, MAIS SUR LA QUALITÉ DE LA RELATION HUMAINE »

Les Ingénieurs de l’Armement, à la DGA principalement, mais également dans la sphère civile administrative et industrielle.

S’agissant du statut, je pourrais me contenter d’un lapidaire « l’habit ne fait pas le moine ». D’abord la compétence. Je comprends et je respecte la dimension particulière du statut militaire et l’attachement émotionnel qu’une personne peut ressentir. Pour ceux qui le souhaitent ce doit être une dimension supplémentaire d’engagement et en aucun cas un frein à la mobilité extérieure plus que jamais nécessaire. Les IA ont largement construit la DGA que l’on connait et c’est tout à leur honneur. A eux la responsabilité de la faire évoluer : développer la diversité de genre et de formation, plus de réflexion stratégique, débrider la créativité pas seulement au sein de l’AID -qui est un bonne initiative-, construire l’architecture numérique du ministère et surtout contribuer de façon décisive à l’architecture des systèmes spatiaux et du cyber espace.

Les IA dans l’industrie ?

Beaucoup de beaux parcours que tout le monde connait. Je n’ai eu que très peu d’IA dans mes Comex, un peu par choix pour la recherche de diversité dans les talents. Il me semble que la différence se fait non pas sur les connaissances techniques, mais sur la qualité de la relation humaine et la capacité à communiquer et, bien entendu, une certaine ambition. Ceux qui n’ont pas réussi me semblent avoir eu des faiblesses dans ces domaines et être mal préparés à un environnement plus concurrentiel.

Pour conclure, la question n’est pas de réformer la DGA mais de lui donner un nouvel élan et une nouvelle ambition. Donner un sens global à la souveraineté (je préfère l’autonomie) dans un cadre européen, réfléchir au concept de dissuasion à la lumière du conflit Russie-Ukraine, penser les programmes dans un cadre européen (quels financements, quelles agences ?), voici quelques thèmes passionnants que les ingénieurs de la DGA doivent aborder sans frilosité, avec créativité et en n’ayant pas peur de la pensée disruptive ! Et défendre les bonnes idées en faisant sans état d’âme la politique nécessaire au service de la défense française et européenne.

Photo de l auteur
François Lureau, IC

X63, SupAéro 68, il a commencé sa carrière au SPAé, et a été DP Tigre. En 1982, il rejoint TRT, et devient DGA de Thomson-TRT en 1989. Il est nommé DG de Thomson-CSF Airsys en 1995, PDG de Sextant Avionique puis Thales Avionics puis DG du pôle défense de Thales. Il a été Président de la CAIA de 1994 à 2000, président de l’association des Ingénieurs et Scientifiques de France (IESF) et Délégué Général pour l’Armement de 2004 à 2008.

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