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Clin d'oeil à Voltaire, un esprit incisif des "lumières"
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14 mars 2023

SI LES IA N’EXISTAIENT PAS… …IL FAUDRAIT LES INVENTER

Les ingénieurs de l’armement jouent dans notre pays un rôle majeur et à bien des égards unique, qui va bien au-delà de la seule satisfaction des besoins des Armées. Leurs profils et leurs compétences sont recherchés dans l’ensemble des compartiments de l’action publique comme au sein des entreprises de toute taille et dans tous secteurs. Pour relever les défis de la réindustrialisation et de la souveraineté économique, de la transition écologique et de la décarbonation, de la numérisation et de la cybersécurité, la France a plus que jamais besoin d’eux.


Comme je le raconte dans le chapitre de conclusion du petit livre que j’ai fait paraître récemment (Les nouveaux chemins de la croissance – Comment l’industrie de la connaissance va façonner le monde, éditions Dunod), si j’ai fait le choix d’entrer dans le corps des ingénieurs de l’armement il y aura bientôt 40 ans, c’est sans doute parce que, comme beaucoup de Français de ma génération ou plus âgés encore, je restais rétrospectivement meurtri par l’effondrement de notre pays en juin 1940. En faisant ce choix, je me suis implicitement écrié « Plus jamais ça ! ». Je voulais, avec d’autres, effacer, à nos yeux plus encore qu’à ceux de nos voisins et partenaires, les stigmates de l’étrange défaite et combattre ce sourd sentiment de déclin qui nous habite depuis lors. En un mot, contribuer à la victoire de la France sur elle-même.

En 2023, une telle motivation peut paraître datée. Je pense au contraire qu’elle est plus que jamais d’actualité. A l’augmentation des risques dans les champs géostratégique et militaire consécutive à l’agression russe en Ukraine s’ajoute la nécessité de conjurer la menace du déclassement économique. Maintenir notre rang, préserver notre liberté de décision et d’action supposent que nous nous attaquions vigoureusement aux fragilités qu’atteste l’évolution préoccupante de plusieurs indicateurs (richesse produite par habitant, part de l’industrie dans le PIB, solde du commerce extérieur, niveau d’endettement…). 

« CONTRIBUER À LA VICTOIRE DE LA FRANCE SUR ELLE-MÊME. »

Réconciliation de nos concitoyens avec le progrès scientifique et technique, bataille de la formation et des compétences, réindustrialisation et souveraineté économique, mise en place de l’« économie de guerre », révolution numérique, politique de santé, décarbonation et préservation de la biodiversité, revitalisation des territoires, redémarrage de l’ascenseur social, intégration de nos compatriotes issus de l’immigration, parité et diversité, renouveau démocratique… : ce ne sont pas les enjeux qui manquent !

Sur beaucoup d’entre eux, les ingénieurs de l’armement ont leur mot à dire. L’excellence académique qui caractérise leur formation initiale, l’expertise technique, les qualités de gestionnaires de projets et la connaissance de l’industrie qu’ils acquièrent dans leurs premiers postes, le sens de l’intérêt général qu’ils développent tout au long d’un parcours généralement dense et varié au sein de l’administration les désignent pour prendre, sans arrogance mais sans complexe, d’importantes responsabilités au sein de l’État comme dans les entreprises.

Ce n’est pas un hasard si les fonctions de Directeur général des entreprises à Bercy, mais aussi celles de directeur général d’Airbus et de PDG d’EDF sont exercées par des ingénieurs de l’armement !

Dans son essai de novembre 2021, Laurent Giovachini ouvrait des pistes pour un nouvel espace économique et social dans lequel les ingénieurs et les IA ont toute leur place

Ceux-ci sont au demeurant appréciés à tous les niveaux de la hiérarchie. En tant que dirigeant d’une entreprise de services du numérique, je peux personnellement témoigner de l’efficacité qui régit les relations entre mes équipes et celles des organismes publics pour lesquels nous travaillons lorsque ces derniers ont confié la maîtrise d’ouvrage de leurs systèmes d’information à des ingénieurs et singulièrement à des ingénieurs de l’armement. Nous parlons le même langage. Lorsque ces fonctions sont exercées par des fonctionnaires au profil plus administratif, la maîtrise des coûts, des délais et des performances est en revanche nettement plus aléatoire…

Par rapport aux autres corps techniques, le corps de l’armement a su conserver une « masse critique » et des compétences particulièrement utiles pour non seulement piloter les grands projets à l’échelle nationale ou européenne, mais aussi concevoir et conduire une politique industrielle, jouer le rôle d’actionnaire représentant l’État dans les entreprises publiques, piloter des organismes de formation dans l’enseignement supérieur, etc.

Et lorsque les ingénieurs de l’armement rejoignent le secteur privé, leur contribution spécifique ne se dément pas. Je peux là encore personnellement attester de leur apport auprès des autres managers dans les différents groupes au sein desquels j’ai évolué. Ceux-ci apprécient certes leur capacité à « ouvrir des portes », mais aussi et surtout le sens du collectif et du bien commun qui les anime, leur pragmatisme et leur efficacité, leur volonté inébranlable de mener à bien les projets qui leur sont confiés.

Plus globalement, les ingénieurs de l’armement ont un rôle éminent à jouer pour favoriser la nécessaire coopération entre un Etat stratège et investisseur avisé, et un tissu économique agile et performant. Or dans notre pays, la confiance entre le secteur public et le monde des entreprises ne va pas de soi. L’État, qui se considère comme le dépositaire exclusif de l’intérêt général, regarde avec circonspection les acteurs économiques porteurs d’intérêts particuliers, sans admettre que ceux-ci contribuent aussi au bien commun. Quant au secteur privé, il juge habituellement que l’État est un animal pataud, imprévisible et largement incompétent…

Ces deux mondes, que tout oppose en apparence, ont pourtant tout intérêt à coopérer : privé du secours des acteurs économiques, l’État serait impuissant. Mais livrée à elle-même, sans un Etat capable non seulement de créer les conditions de l’attractivité et de la compétitivité mais aussi de fixer les grandes orientations stratégiques et d’investir à long terme, l’initiative privée peut se révéler brouillonne et à courte vue.

Dans le secteur de la défense, cette coopération public-privé est naturelle, l’État étant en France le seul client de l’industrie de défense et le seul à pouvoir autoriser l’exportation des matériels et systèmes qu’elle produit. Les ingénieurs de l’armement la pratiquent et l’incarnent au quotidien, dans le respect des règles de déontologie qui visent à préserver les responsabilités propres à chacun des deux univers.

« LE SENS DU COLLECTIF ET DU BIEN COMMUN,…, LEUR PRAGMATISME ET LEUR EFFICACITÉ »

Ils sont donc particulièrement bien placés pour contribuer à une meilleure compréhension entre l’État et les entreprises dans les autres domaines où le jeu du marché ne suffit pas, partout où les enjeux sont « systémiques » et où les retours sur investissement sont à long terme : réindustrialisation et souveraineté économique, transition écologique et décarbonation, numérisation et cybersécurité, sécurité intérieure, souveraineté sanitaire, souveraineté alimentaire, etc.

Les ingénieurs de l’armement ne sont bien sûr pas parfaits. Ils partagent avec leurs congénères provenant d’autres horizons un certain nombre de défauts : difficulté à admettre qu’ils ont besoin d’aide pour faire aboutir les projets qui leurs sont confiés, incapacité parfois à simplifier et à synthétiser leurs propos pour se faire comprendre des décideurs, frilosité à l’égard des responsabilités politiques…

Mais ce sont là des péchés véniels et la France serait bien inspirée de prendre exemple sur eux pour, selon les termes opportunément retenus dans le cadre de la Réforme de la haute fonction publique, « réarmer ses capacités d’expertise technique et scientifique » !

 

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Laurent Giovachini, IGA, Directeur général adjoint de Sopra Steria

Laurent Giovachini a occupé depuis 1983 divers postes au sein de la DGA, dont celui d’adjoint au délégué général pour l’armement. Membre de cabinets ministériels, dont celui du Premier ministre, il a rejoint en 2009 le secteur privé, et est directeur général adjoint de Sopra Steria. Il est par ailleurs président de la fédération Syntec, membre du Conseil exécutif et du Bureau du Medef. Il préside le Conseil d’administration de l’ENSTA Paris et siège au Conseil d’administration de l’Institut Polytechnique de Paris.

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