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Vue d’artiste de la famille du Futur Missile Anti-Navire et Futur Missile de Croisière
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18 juin 2021

FRANCO-BRITANNIQUE
STOP OU ENCORE ?

Interview de Vincent Thomassier, directeur du marketing et de la coopération stratégique de MBDA

10 ans après la signature du Traité de Lancaster House et quelques mois après le Brexit, la relation franco-britannique dans le domaine de la Défense est-elle encore un axe de développement pour le leader mondial du domaine des missiles tactiques MBDA ?


La CAIA : Près de 6 mois après le Brexit, quel bilan peux-tu tirer de son impact sur MBDA ?

Vincent Thomassier : Du fait de notre organisation industrielle répartie notamment en Allemagne, en France, en Italie, ou encore au Royaume-Uni, les risques liés au Brexit étaient très nombreux, que ce soit sur le plan logistique, réglementaire ou encore fiscal. Le travail étroit réalisé avec chacun de nos gouvernements et nos sous-traitants a toutefois permis de passer ce cap sans impact majeur. C’est évidemment la crise de la COVID qui aujourd’hui est notre sujet principal de préoccupation en termes de désorganisation et de menace à terme sur les budgets de défense. On notera toutefois que le travail de planification de nos approvisionnements stratégiques, réalisé en amont du Brexit, a été très bénéfique quand nous avons eu à traiter cette crise sanitaire majeure.

La CAIA : La coopération franco-britannique, et son pilier le Traité de Lancaster House (2010), est-elle remise en cause après le Brexit ? En quoi est-elle si importante pour MBDA ?

VT : C’est une question éminemment politique, à laquelle les deux gouvernements ont répondu à plusieurs reprises en appelant au renforcement de la relation bilatérale, récemment encore dans le cadre de la dernière « Integrated Review » britannique de février 2021. Cette coopération unique dans le domaine de la défense et de la sécurité continuera de faire sens, Brexit ou pas, entre les deux forces militaires les plus importantes du continent européen et qui partagent des visions communes sur de nombreux sujets stratégiques (nation dotée de capacités nucléaires, modèle d’armée complet avec des capacités et bases industrielles nationales de premier rang, présence mondiale, capacité de projection sans égale en Europe, etc…). Les difficiles négociations bruxelloises ont, entre autres, participé à distendre les relations diplomatiques de haut niveau. Difficile de ne pas s’en apercevoir en lisant la presse. Un nouveau souffle politique, 10 ans après la signature du Traité, serait sans aucun doute utile pour raviver cet esprit de « Lancaster ».

Configuration armement du Rafale avec missiles Scalp

La France et le Royaume Uni représentant plus de 70% de notre chiffre d’affaires (par les commandes nationales et les exportations), le maintien de cette relation stratégique est donc tout simplement critique : critique pour notre capacité à délivrer des capacités opérationnelles souveraines indispensables pour nos forces armées, critique pour avoir la taille nécessaire pour proposer des produits performants et compétitifs.

L’accélération rapide des progrès technologiques crée des opportunités, mais elle engendre également des risques et des vulnérabilités pour nos systèmes de défense dans des domaines tels que l’intelligence artificielle, la technologie quantique, les systèmes autonomes, la cyberguerre, l’essaimage, l’hyper-vitesse, le laser... La Russie et la Chine investissent massivement dans de nouvelles capacités de défense aérienne et d’attaque de surface afin de maintenir leur stratégie anti-accès/déni de zone (A2/AD). Plus que jamais, dans cet environnement difficile, la dépendance mutuelle et la coopération entre la France et le Royaume-Uni sont essentielles pour tirer parti au mieux de nos ressources communes et développer ensemble ces technologies de souveraineté.

Cette coopération entre ces deux pays, et plus largement en Europe, doit inlassablement être recherchée et mise en œuvre pour répondre aux besoins capacitaires de nos armées, sauf à créer des duplications industrielles non soutenables financièrement dans la durée, en tout cas en Europe.

La CAIA : Quelles sont les perspectives futures pour MBDA dans le cadre franco-britannique ?

VT : Si le moteur industriel franco-britannique garde toute sa validité, il a besoin de fuel et de nouveaux projets pour avancer. Nous préparons depuis plusieurs années la prochaine génération de missiles antinavires et de missiles de croisière « FMAN-FMC », qui remplacera à terme en France les missiles SCALP et EXOCET. C’est un programme stratégique pour nos armées mais aussi pour MBDA. Nous espérons pouvoir lancer prochainement la phase de levée de risques à l’été 2021.

Nous réfléchissons aussi à d’autres propositions pour enrichir encore ce portefeuille commun, au-delà des missiles déjà en service comme le missile air-air METEOR, le missile sol-air ASTER et ses évolutions, ou encore l’Anti-Navire Léger, lui-même fruit du Traité de Lancaster House.

Tir de développement du missile Anti-Navire Léger (Sea Venom) sous Wildcat

L’un des enjeux clés sera notamment notre capacité collective à générer des synergies entre les deux programmes européens pour le futur système de combat aérien, NGWS (France, Allemagne, Espagne) et TEMPEST (Royaume-Uni, Italie, Suède). Même si les programmes de plateformes restent à ce stade indépendants, nous souhaitons développer une « couche » armement la plus commune possible et maximiser ainsi les synergies industrielles ainsi que l’interopérabilité entre nos armées. Un Sommet franco-britannique au niveau des chefs d’Etat en 2021 serait sans aucun doute un excellent catalyseur politique pour faire avancer ce type de dossier très complexe.

L’innovation partagée reste un sujet de très grande actualité pour préparer ces futures coopérations capacitaires. Le traité de Lancaster House a permis à la France et au Royaume-Uni de mutualiser une partie de leurs efforts de R&T de défense, c’est-à-dire les phases les plus amont de la recherche. Le programme CW-ITP (Complex Weapons - Innovation and Technology Partnership) porte cette ambition commune. Il a été renouvelé une nouvelle fois le 13 avril dernier par la Direction générale de l’armement et le Defence Science and Technology Laboratory. MBDA en assure la gestion, pour un budget annuel d’environ 13 millions d’euros, 50 % provenant des Etats et 50 % d’entreprises de la filière missile des deux côtés de la Manche, pour financer plus de 20 projets par an. Cette innovation ouverte aux universités et aux PME, très en amont des programmes, est absolument clé pour poursuivre le renforcement de la base industrielle et scientifique franco-britannique.

Si nous sommes en mesure de confirmer ces feuilles de route, notre modèle industriel pourra encore évoluer vers une plus grande intégration. D’ici là, nous avons déjà le plein soutien de nos autorités ministérielles pour continuer à renforcer et développer nos centres d’excellence (CofEX). Mis en place par un Accord intergouvernemental, ils sont depuis 2015 le symbole d’une interdépendance technologique choisie et équilibrée entre la France et le Royaume-Uni. Ces centres d’expertise, dédiés à des technologies clés, sont ainsi utilisables sans restriction par les deux pays.

Donc, STOP ou ENCORE ? la réponse est limpide pour MBDA.

Propos recueillis par Olivier Martin, IGA

Auteurs

Olivier Martin a débuté sa carrière en 1983 à la DGA notamment comme Directeur du programme Mesures du BEM Monge, puis responsable Allemagne, Italie, Pays-Bas, Scandinavie à la Délégation aux Relations Internationales.
En 1991, il rejoint Matra Défense comme Directeur des Opérations Internationales, puis responsable Business Development du secteur anti-surface, puis directeur des programmes anti-surface.
En 2003, il dirige l’entité Defence Electronics France d’EADS, puis la stratégie de l’entité DS SAS d’EADS.
En 2007, il rejoint MBDA en tant que Secrétaire Général du groupe.
En 2021, il crée la société de conseil ICARION Consulting dont il est le Président.

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