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01 mars 2020

Hypersonique : les nouvelles clefs technologiques à maîtriser

La frontière de l’hypersonique, habituellement fixée à Mach 5, est largement dépassée par les lanceurs spatiaux depuis les années 60. Cependant, ils n’excédent ces vitesses que de manière transitoire lors de la traversée de l’atmosphère avant leur arrivée dans l’Espace. Même si les véhicules de rentrée les plus sophistiqués comme la Navette Spatiale ou l’X37-B débutent leur vol à des vitesses hypersoniques, ils ne peuvent réaliser que de rares manœuvres lors de leur descente vers la Terre. En revanche, les projets récents tels que l’Avangard russe, le DF-17 chinois, l’HTV 2 américain se démarquent des véhicules précédents et ont l’ambition d’évoluer pleinement dans le domaine hypersonique.


Ces véhicules permettent d’envisager des profils de mission variés tels que des vols de plusieurs milliers de km ou des trajectoires imprévisibles et leur vitesse leur permet de réduire fortement le temps de réaction disponible pour les défenses adverses. Pour exploiter ce potentiel, ils font appel à des technologies spécifiques permettant d’atteindre ces hautes vitesses, de résister à l’environnement sévère qu’ils y rencontrent et de maîtriser leur trajectoire.

Dépasser Mach 5

La propulsion fusée a longtemps été la solution privilégiée. Cette motorisation anaérobie permet l’atteinte des Mach très élevés et présente l’avantage d’être indépendante de l’environnement extérieur. Elle nécessite en revanche d’emporter de grandes quantités d’ergols et elle est peu efficiente au regard de la masse embarquée. Dans ce cas, les éléments propulsifs sont souvent séparés après la phase de poussée. Cette technologie convient bien aux planeurs hypersoniques qui évoluent à des Mach élevés. Cependant, après la phase de poussée initiale, l’énergie disponible pour le planeur décroit et ce type de véhicule nécessite un système avancé de gestion de cette énergie.

Pour se maintenir de manière stable aux vitesses élevées, une autre solution est la propulsion aérobie basée sur le statoréacteur. L’allumage de ce type de moteur requiert une vitesse initiale suffisante, la phase d’accélération est souvent obtenue par une propulsion fusée. Il utilise l’oxygène atmosphérique mais la compression s’effectue via les ondes de choc entrantes et non plus par des pièces tournantes. Garantir la stabilité de la combustion est un défi de cette technologie. Le statoréacteur plafonne à des vitesses autour de Mach 5. Pour franchir cette limite, il devient nécessaire d’utiliser le mode superstatoréacteur, plus complexe du point de vue thermique, qui réalise sa combustion avec un flux d’air en régime supersonique. Dans ce domaine, les Etats-Unis ont réalisé en 2004 trois vols propulsés du véhicule expérimental X-43.

Vitesses caractéristiques de plusieurs véhicules

Résister à l’environnement

Le vol hypersonique s’effectue au sein d’un environnement extrêmement sévère qu’il convient de caractériser précisément. Certains phénomènes sont déjà en partie connus par les pays qui possèdent des souffleries hypersoniques mais il est difficile de les reproduire intégralement au sol. La réalisation d’essais en vol reste une étape cruciale pour analyser les interactions entre les différents phénomènes et recaler les outils de simulation disponibles. Cela a été l’un des buts de l’X15 américain lors de ses vols des années 60.

Les sollicitations mécaniques subies sont du même ordre de grandeur que celles déjà rencontrées par certains systèmes opérationnels comme les corps de rentrée militaires. Cependant, ces derniers subissent essentiellement des efforts longitudinaux alors que les manœuvres hypersoniques génèreront des efforts transverses majeurs. Cela rend nécessaire de revoir les principes de conception actuels afin de garantir l’intégrité du véhicule sans aboutir à un bilan de masse rédhibitoire. Les solutions pour résoudre ce défi incluent notamment la fabrication additive qui permet de réaliser des pièces aux formes innovantes tout en atteignant des coûts de productionet de possession qui ne soient pas prohibitifs.

Du point de vue thermique, des matériaux capables de résister aux chaleurs extrêmes rencontrées lors d’une rentrée atmosphérique existent depuis plusieurs décennies. L’IXV (Intermediate eXperimental Vehicule) européen ou les corps de rentrée militaires en sont des bons exemples. Cependant, la période critique est souvent courte et la conduction interne reste donc faible. Cela n’est plus le cas pour la trajectoire d’un véhicule hypersonique. La diffusion de la chaleur s’accentue, conduisant à des températures internes très élevées. A court terme, la combinaison des briques technologiques actuelles peut permettre d’envisager de nouvelles stratégies de gestion thermique alors qu’à plus long terme, l’utilisation d’autres concepts de gestion thermique est à envisager (transpiration, refroidissement interne etc.) en parallèle du développement de nouveaux matériaux.

Maîtriser sa trajectoire

Pour piloter le véhicule sur sa trajectoire, des systèmes de contrôle sont nécessaires. La majorité des aéronefs sont contrôlés via des surfaces aérodynamiques. Comme le flux hypersonique génère des sollicitations thermiques extrêmes ces surfaces doivent être protégées. Les matériaux actuels exploitent généralement le phénomène d’ablation (L’ablation consiste à utiliser le changement de phase du matériau de protection thermique pour dissiper plus d’énergie qu’il n’en absorberait par sa simple capacité calorifique.) pour dissiper la chaleur environnante. Cela conduit à la disparition progressive de la surface de contrôle au cours du vol qui perd ainsi son efficacité. D’autres solutions de pilotage peuvent être envisagées comme contrôler le centrage du véhicule, ou de façon plus innovante, modifier l’écoulement proche par génération de gaz ou utiliser un champ électrique.

L’autre inconvénient des protections ablatives réside dans l’aspect partiellement prédictible de ce phénomène. Cela conduit à une aérodynamique incertaine au cours du vol. Le système de guidage, doit alors combiner à la fois les conditions rencontrées sur la trajectoire déjà réalisée, les paramètres actuels du véhicule et son état futur anticipé sur la suite du vol. La fusion de tous ces paramètres est complexe à réaliser et nécessite de mettre en œuvre de nouvelles méthodes de guidage qui permettront dans le même temps de répondre à des exigences opérationnelles diverses : esquives face à des menaces d’interception, évitement de zones etc.

Les technologies de navigation existantes permettent déjà de répondre à différentes exigences d’autonomie et de précision. Les systèmes inertiels naviguent de façon autonome mais le temps de vol et les contraintes d’environnement en dégradent rapidement les performances. Le développement d’une centrale spécifique et son hybridation avec d’autres systèmes de navigation est donc probablement nécessaire. Plusieurs solutions complémentaires sont envisageables, comme la navigation stellaire, à adapter pour un vol de jour en atmosphère, la navigation satellite à adapter pour une réception à travers le plasma, les autodirecteurs s’ils supportent les contraintes d’environnement ou encore la reconnaissance de terrain dès lors que des repères adaptés sont sélectionnés. 

Superstatoréacteurs ou planeurs hypersoniques ? Les deux mon général

Avec les systèmes balistiques de la dissuasion, la France s’est dotée depuis plusieurs décennies de systèmes nativement hypersoniques. La voie aérobie basée sur un superstatoréacteur a été sélectionnée par le successeur de l’ASMPA, l’ASN4G, pour lui conférer un domaine de vol atmosphérique hypersonique et manœuvrant. Les capacités des planeurs hypersoniques sont quant à elles explorées au travers de la démonstration technologique VMaX annoncée en 2019 par la ministre des Armées et dont le vol est prévu en 2021.

 

1 : Mach 1 est la vitesse locale du son dans l’air. Au niveau du sol elle est d’environ 340 m/s. Hors atmosphère, le son ne pouvant pas se propager, il y a peu de sens à parler de vitesse hypersonique. 

2 : L’ablation consiste à utiliser le changement de phase du matériau de protection thermique pour dissiper plus d’énergie qu’il n’en absorberait par sa simple capacité calorifique. 

3 : Véhicule Manoeuvrant eXpérimental

    
Gabriel Aulard- Dorche, IA, Architecte démonstration en vol DGA/DT/ST/IP/ MAN/MBE

Gabriel Aulard-Dorche est aujourd’hui architecte démonstration en vol au sein de DGA Ingénierie des Projets. Avant d’occuper cette fonction, il a effectué une période d’ouverture au sein de Dassault Aviation et a ensuite contribué, au sein de la DGA, à la lutte contre la prolifération des missiles balistiques.
 

 

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