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l'IGA Alexandre Lahousse
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28 juin 2023

INDUSTRIE ET ECONOMIE DE GUERRE
INTERVIEW D'ALEXANDRE LAHOUSSE, CHEF DU SERVICE DES AFFAIRES INDUSTRIELLES ET DE L’INTELLIGENCE ÉCONOMIQUE À LA DGA

Publié par la caia | N° 129 - INDISPENSABLE DUALITE

Souveraineté, recrutement, simplification, financement... La France s’est lancé le défi de transformer son industrie de défense en « économie de guerre ». Le ministère des Armées aide les entreprises à produire plus, plus vite et moins cher.


L’expression « économie de guerre » est devenue médiatique après le discours du Président de la République au salon Eurosatory le 13 juin 2022. Depuis quand la Direction générale de l’armement travaille-t-elle sur ce dossier ?

Alexandre Lahousse: Tout l’écosystème défense s’est investi, la DGA s’est associée aux armées et aux industriels pour lancer différents chantiers et identifier d’éventuels goulets d’étranglement : sécurisation des chaînes d’approvisionnement, en particulier pour les matières premières ; dépendances étrangères ; recrutement ; simplification... La force du dispositif a été d’embrasser le sujet dans sa globalité et de traiter les thématiques en parallèle. De ce fait, chacun est ressorti avec une vision d’ensemble et un plan d’action concret.

Passer d’une logique de flux à une logique de stock est un changement majeur. Les industriels sont-ils prêts à suivre ?

AL : Nous parlons ici des stocks industriels. Ils sont de deux sortes. Tout d’abord, les matières premières et les composants électroniques. Il faut les sécuriser car ils sont très demandés sur le marché mondial, notamment pour leur capacité à servir plusieurs équipements, aussi bien militaires que civils. Ensuite, les produits semi-finis. Il s’agit des objets que nous commençons à fabriquer par anticipation avant d’arrêter leur production puis de les stocker. Par exemple, les tubes du canon Caesar peuvent être produits en avance pour accélérer l’assemblage de l’ensemble le moment venu. Ces grands principes sont actés par les industriels. Depuis le début, ils sont volontaires et participent à tous les groupes de travail.

« Produire plus, plus vite, moins cher » suppose de simplifier l’expression des besoins. Ne risquez-vous pas de favoriser la quantité au détriment de la qualité en augmentant les cadences de production ?

AL : Les deux notions ne sont pas incompatibles. Anticiper les stocks d’approvisionnement permet notamment de réduire les délais de fabrication, avec une qualité inchangée. Par exemple, les cadences de fabrication ont pu doubler pour le canon Caesar et pour le radar GM200 de Thales.

Le ministre des Armées, Sébastien Lecornu, affirme que la culture du risque ne peut pas être la même en temps de paix qu’en temps de guerre. Comment définissez-vous cette notion ?

AL : Elle consiste à être proactif et à ne pas attendre que tout soit prêt et verrouillé pour se lancer. La future loi de programmation militaire offrira aux industriels une visibilité sur sept ans. Ils doivent l’anticiper dès maintenant et investir dans leur outil de production. Étant donné le contexte géopolitique, il ne fait aucun doute que les équipements produits trouveront preneur. À ce titre, des commandes globales de longue durée seront effectuées pour les équipements majeurs. Au-delà de la visibilité, ces commandes constituent une sorte de contrat cadre qui garantit un certain volume. Aux industriels de jouer leur rôle d’entrepreneur !

Qu’en est-il des PME de la BITD, qui jugent leur visibilité insuffisante ?


AL : L’économie de guerre est un travail en profondeur de l’outil industriel. À cet égard, il est primordial que la visibilité d’en haut ruisselle dans toute la chaîne, jusqu’aux orteils, pour que les entreprises sous-traitantes de rangs 1, 2 et 3 puissent également investir dans leur outil de production. Il serait anormal que les grands maîtres d’œuvre disposent d’une visibilité sur sept ans et qu’un sous-traitant fonctionne avec des bons de commande ne dépassant pas trois mois, avec le risque que les banques lui refusent un prêt. Nous travaillons actuellement sur ce point.

Environ 4 % des entreprises de la BITD, soit un peu moins de 200, sont aujourd’hui dans l’incapacité d’accélérer la production. Comment les accompagnez-vous ?

AL : L’identification de ces goulets d’étranglement est en cours. Les raisons peuvent être diverses. Parfois, les machines de production sont déjà utilisées à 100 %. Parfois, les ressources humaines nécessaires sont insuffisantes. Ces difficultés peuvent également se cumuler. Nous mettons en place des solutions adaptées et des partenariats. Nous travaillons par exemple avec le ministère de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique pour permettre à ces sociétés de bénéficier de plans comme France 2030 de 54 Md€ (qui fait suite au plan France Relance).

Vous venez de parler de ressources humaines insuffisantes. De nombreuses entreprises sont confrontées à des problématiques de recrutement. Comment y remédier ?

AL : Nous travaillons sur l’identification des métiers en tension, tels que soudeurs, ajusteurs ou mécaniciens de précision. Sur le long terme, l’idée est de collaborer avec le ministère de l’Éducation nationale et de la Jeunesse et avec le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche pour adapter l’offre de formation. Certains de nos industriels, comme Naval Group, ont déjà pris les devants et sont partenaires de certaines écoles de formation. À plus court terme, le recours à l’intérim est une solution, tout comme l’augmentation de la durée de certains contrats.

Relocaliser les entreprises stratégiques en France est une ambition affichée pour retrouver pleinement notre souveraineté. Combien espérez-vous en rapatrier dans l’Hexagone ?

AL : Les dépendances étrangères dans le secteur de la défense sont aujourd’hui limitées à environ 10 % de la production – dont la majorité dans l’Union européenne. Nous souhaitons en supprimer. Comment y parvenir ? Nous allons diversifier les fournisseurs, y compris étrangers, et relocaliser les activités lorsque c’est possible. Ce qui doit être relocalisé sera relocalisé, mais dans une

logique stratégique et non comptable. La production de poudre propulsive pour les obus a ainsi été relocalisée chez Eurenco, à Bergerac. Pourquoi ? Car au début de la guerre en Ukraine, notre fournisseur, situé pas très loin en Europe, est arrivé à saturation. Il a alors livré en priorité son propre État domestique.

Retrouver cette souveraineté de l’industrie d’armement est-il un défi purement national ou européen ?


AL : Les deux ! Certains sujets de souveraineté seront toujours nationaux, comme la dissuasion nucléaire qui ne pourra jamais dépendre d’un tiers. D’autres sont fondamentalement européens. Je pense notamment à la relocalisation de la production de semi-conducteurs qu’aucun pays européen ne peut financer seul. Sur ce point, la DGA soutient l’initiative européenne Chips Act qui prévoit d’investir massivement dans ce secteur essentiel pour nos industries. Enfin, il faut être conscient que la France ne pourrait financer en autonomie un projet comme le Système de combat aérien du futur. Le fait de se regrouper permet de rationaliser le budget et de proposer un projet plus ambitieux. Parallèlement, il ne faut pas s’interdire d’élargir le spectre et de créer des partenariats au-delà de l’Europe.

Comment la transformation de la DGA intègrera-t-elle l’économie de guerre ?


AL : Dans le cadre de son plan « Impulsion DGA », Emmanuel Chiva a décidé de créer une direction de l’industrie de défense, fruit de la fusion du service des affaires industrielles et de l’intelligence économique et du service de la qualité. L’idée est de créer une équipe d’excellence industrielle autour de la production, thème central de l’économie de guerre. Par ce biais, les observations concrètes de terrain alimenteront l’élaboration stratégique pour coller aux enjeux concrets de la BITD.

L'initiative « PME TOUR DGA »
Avec les pôles de compétitivité, la DGA participera en régions jusqu’en novembre à des échanges où les PME pourront rencontrer des experts du ministère des Armées et des grandes sociétés de défense.

Propos recueillis par Kévin Savornin et Fabrice Aubert

Auteur

la caia

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