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Le canard de Jacques Vaucanson et son mécanisme digesteur
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29 avril 2015

JACQUES VAUCANSON (1709 – 1782)
DÉJÀ DES ROBOTS AU XVIIIE SIÈCLE !

Le hardi Vaucanson, rival de Prométhée,

Semblait, de la nature imitant les ressorts

Prendre le feu des cieux pour animer les corps.

Ainsi s’exprimait Voltaire en parlant de Vaucanson, mécanicien et horloger de talent, après la présentation à l’Académie royale des sciences en 1738 d’un mémoire intitulé « Le mécanisme du fluteur automate ».


Le titre mentionnait que le mémoire concernait aussi :

« la description d’un canard artificiel, mangeant, beuvant, digerant & se vuidant, épluchant ses aîles & ses plumes, imitant en diverses manieres un Canard vivant, »

Inventé par le mesme

et aussi

« Celle d’une autre figure, également merveilleuse, jouant du Tambourin & de la Flute, suivant la relation, qu’il en a donnée dépuis son Mémoire écrit. »

 

Qui était Jacques Vaucanson ?

Jacques Vaucanson est le dixième enfant d’un couple de gantiers de Grenoble, où il est né le 24 février 1709. Il montre très tôt des dispositions pour la mécanique. A l’occasion de sorties le dimanche avec sa mère chez des vieilles dames, à l’écart dans une chambre non habitée, il passe beaucoup de temps, seul, à considérer le mouvement égal et constant de la pendule, ce qui lui donne le goût d’en percer le fonctionnement. Il y parvient et réalise, avec un couteau et quelques morceaux de bois, une horloge dont la marche présenta déjà une singulière régularité.

Ainsi commence la vocation de Jacques Vaucanson, qu’il confirme en réparant montres et horloges de son quartier. De 1717 à 1722, il est élève au Collège de Juilly pour suivre une formation religieuse qu’il abandonne finalement au profit d’études qu’il suit à Paris de 1728 à 1731, en mécanique, physique, anatomie et musique, matières plus à son goût.

Son ambition est de reproduire mécaniquement les principales fonctions de l’organisme humain, projet dans lequel il est encouragé par le chirurgien Claude-Nicolas Le Cat qui souhaite mieux comprendre ces fonctions et faire progresser les connaissances en anatomie. C’est un échec.

Mais ces essais ne sont pas sans enseignement. François Quesnay, autre chirurgien célèbre, le soutient alors dans la création d’êtres artificiels pour mettre en évidence la plupart des fonctions biologiques de l’être humain ou animal. A partir de 1733 et jusqu’en 1738, il construit son premier automate de taille humaine sur piédestal, le flûteur automate, humanoïde qui joue de la flûte traversière. Cet automate est présenté au public parisien dans le grand salon de l’Hôtel de Longueville. Malgré le prix élevé du ticket d’entrée, c’est un triomphe. Son deuxième automate, aussi de taille humaine sur piédestal, est un joueur de flûte et de tambourin, où la flûte est en fait un galoubet.

L’automate le plus sophistiqué mis au point ensuite par Vaucanson en 1744, est le canard digérateur. Ce canard, lui aussi monté sur un piédestal, pouvait manger, digérer, cancaner, agiter les ailes et simuler la nage. La digestion de l’animal en est le principal exploit : il semble rendre ce qu’il a avalé après une véritable digestion.

Vaucanson tentera ensuite de réaliser un automate « dans l’intérieur duquel devait s’opérer tout le mécanisme de la circulation du sang ». Celui-ci ne sera jamais fini à cause des difficultés liées à la réalisation de tuyaux en caoutchouc, matière alors nouvelle provenant de Guyane. L’invention du concept de tuyau en caoutchouc lui est d’ailleurs parfois attribuée.

Frédéric II de Prusse, dans sa politique visant à s’attacher les grands hommes du siècle, fera des propositions à Vaucanson, que celui-ci déclinera, préférant rester en France. Le Cardinal de Fleury, ministre d’Etat de Louis XV, l’en récompensera en lui confiant le poste d’inspecteur général des manufactures de soie, en 1741, avec la mission plus particulière de réorganiser cette industrie. Il arrêtera ses travaux sur les automates.

De 1745 à 1755, Vaucanson apportera de nombreuses améliorations aux métiers à tisser, en les automatisant par des systèmes hydrauliques commandés par des cylindres analogues à ceux de ses automates. Ultérieurement, Joseph-Marie Jacquard s’inspirera des ses perfectionnements pour réaliser les métiers Jacquard bien connus. Vaucanson inventera aussi le tour à charioter (1751) et une chaîne d’entraînement, la chaîne Vaucanson, ainsi qu’une machine pour réaliser des mailles toujours égales.

En 1746, Jacques Vaucanson entrera à l’Académie Royale des sciences française. Ses connaissances étendues en mécanique le conduiront à participer à la rédaction de l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert.

Vaucanson est mort à Paris le 21 novembre 1782. Ses machines seront léguées au Roi et serviront de base aux collections du Conservatoire des Arts et Métiers.

Les automates de Jacques Vaucanson

Le prospectus qui accompagne la présentation du flûteur automate nous indique qu’« il s’agit d’un homme de grandeur naturelle habillé en sauvage qui joue onze airs sur la flûte traversière par les mêmes mouvements des lèvres et des doigts et le souffle de sa bouche comme l’homme vivant ». L’Académie des sciences, à qui il a été présenté, a reconnu « la machine extrêmement ingénieuse ». En effet, l’inventeur a employé des moyens simples pour donner au doigts les mouvements nécessaires pour modifier le vent qui entre dans la flûte, pour modifier la position des lèvres, et en utilisant une soupape pour les fonctions de la langue permettant de contrôler le flux d’air.

Le vent sort réellement par la bouche et ce sont les doigts qui jouent. Les doigts sont en bois avec un morceau de peau à l’endroit qui bouche les trous de la flûte. L’automate est monté sur un piédestal à la manière d’une statue. Le mécanisme à poids - moteur (cylindre en bois de 56 cm de diamètre et 83 cm de long) y est enfermé. Le cylindre garni de picots envoie des impulsions à 15 leviers qui commandent par le biais de chaînes et de fils, le débit des réservoirs d’air, le mouvement des lèvres et de la soupape faisant office de langue, ainsi que l’articulation des doigts. La description précise de ce mécanisme dans le rapport envoyé à l’Académie des sciences montre à quel point l’étude réalisée par Vaucanson a été menée en profondeur. Elle s’inscrit parfaitement dans l’étude de la respiration humaine qui était l’objectif de cette réalisation.

 

L’intérêt pour cet androïde diminuant, Vaucanson s’engage dans la réalisation d’un deuxième automate, le joueur de galoubet et de tambourin. C’était un homme de grandeur naturelle habillé en berger provençal capable de jouer 20 airs différents sur le flûtet de Provence d’une main et du tambourin de l’autre. Aux dires des spectateurs, la précision et la perfection du jeu était surprenante et valait celle du joueur le plus habile.

On connaît mal le mécanisme qui animait cet automate, mais on pense qu’il était complexe puisqu’il nécessitait d’agir sur deux instruments différents, et que le flûtet de Provence passe pour un instrument particulièrement ingrat. A l’occasion de la construction de l’automate, Vaucanson découvrit que « le galoubet est un des instruments les plus fatigants pour la poitrine dont les muscles font parfois un effort de 56 livres ».

Le troisième automate n’était pas un humanoïde, mais un canard. Le mécanisme était visible par transparence, à la fois dans le piédestal et dans le corps du canard. Selon la description qu’en fait son constructeur, on sait qu’il était pourvu de tous les « viscères destinés aux fonctions du boire, du manger et de la digestion ». Le canard pouvait allonger le cou pour prendre du grain dans la main, l’avaler, le digérer, et le rendre par les voies ordinaires tout digéré. Tous les gestes d’un canard qui avale avec précipitation et fait passer son manger dans l’estomac y sont reproduits selon la nature. L’aliment est digéré, « et non trituré » et est conduit à l’extérieur sous forme d’une bouillie verte. Mais Vaucanson reconnaît qu’il ne s’agit pas d’une véritable digestion en mesure de nourrir réellement l’animal, puisque le but recherché est d’étudier les fonctions « premièrement d’avaler le grain, deuxièmement de le macérer, cuire ou dissoudre, troisièmement de le faire sortir dans un changement sensible ».

Exposé en 1744 au Palais Royal, il remporta un succès immédiat. Lorsque le nombre de visiteurs commença à décliner, Vaucanson entama une tournée triomphale en France, puis en Italie et en Angleterre. De nombreux témoignages affirment que les mouvements du canard étaient d’un réalisme quasi naturaliste.

Que sont devenus les automates de Vaucanson ?

Les deux automates musiciens ont disparu au début du XIXe siècle.

Le canard a été acheté en 1840 par un mécanicien, mais a été détruit en 1879 dans l’incendie du musée de Nijni Novgorod. Il en reste quelques photographies du milieu du XIXe siècle et une reproduction du canard est encore visible au musée dauphinois à Grenoble. 

 

Auteur

Daniel Jouan a effectué sa carrière à la DGA, d’abord dans des fonctions techniques au profit des programmes de dissuasion nucléaire (MSBS et Pluton), ensuite dans le suivi de l’activité industrielle de l’armement, et a quitté le service en 2005 après avoir été chargé de la gestion financière des études et recherches de défense. Voir les 13 Voir les autres publications de l’auteur(trice)

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