Retour au numéro
Préparation du transfert retour par barge du SNA Perle entre Cherbourg et Toulon
Vue 821 fois
28 mars 2023

LA RÉPARATION DU SNA PERLE, UNE PREMIERE MONDIALE

Les impondérables font partie intégrante du maintien en condition opérationnelle (MCO). L’incendie du sous-marin nucléaire d’attaque (SNA) Perle, mi-2020, s’est avéré particulièrement marquant. Il a révélé des fragilités à corriger dans l’appréhension de ce type de risques. La réparation du sous-marin a constitué une formidable aventure technique et humaine, en se lançant de façon méthodique et résolue dans une « première » mondiale, au service de la flotte française.


Le vendredi 12 juin 2020 avait bien commencé : en début de matinée, le sous-marin nucléaire lanceur d’engins (SNLE) Le Téméraire venait de tirer un missile M51 d’exercice, validant des années de travaux de maintenance et de modernisation, et couronnant de succès plusieurs mois de préparation d’un tel essai complexe.

Quelques heures plus tard, changement d’ambiance radical : un incendie se déclarait à bord du SNA Perle, alors en maintenance décennale au bassin à Toulon. Fort heureusement, toutes les personnes présentes à bord réussirent à évacuer le bâtiment, et aucune victime ne fut à déplorer. Toutefois, l’impossibilité de lutter efficacement contre le feu ne permit pas de l’éteindre avant le milieu de la nuit, conduisant à des dégâts considérables dans toute la moitié avant.

Une organisation spécifique a été mise en place dès le lendemain sous le pilotage du service de soutien de la flotte (SSF), chargé du MCO naval, pour comprendre les causes de ce sinistre et en évaluer les conséquences.

Compréhension et traitement des causes

Aucun équipage militaire n’était à bord, car le SNA se trouvait en arrêt technique majeur décennal, sous la responsabilité du maître d’œuvre industriel Naval Group. Les informations collectées auprès du chantier ont été croisées avec les relevés effectués a posteriori par les experts du bataillon des marins-pompiers de Marseille, venus renforcer les pompiers militaires et civils de Toulon le jour de l’incendie.

L’enquête technique diligentée par le SSF a pu établir le scénario des événements : un feu électrique prenant sa source dans l’un des « cocons » amiante parsemant l’intérieur du navire et dans lequel personne ne travaillait à ce moment-là. Le foyer s’est développé initialement sans être détecté dans cette petite cabane close en parois vinyle maintenue en dépression, avant de se propager très rapidement dans les locaux exigus et bien ventilés.

L’analyse minutieuse des améliorations à apporter dans la prévention et la gestion de tels sinistres s’est enrichie d’une comparaison avec les pratiques en vigueur dans les immeubles à terre ainsi que chez les Chantiers de l’Atlantique à Saint-Nazaire. Le croisement des regards entre opérationnels et ingénieurs s’est avéré fort utile, au prix de quelques débats passionnés !

Un ensemble de mesures a par conséquent été adopté à l’automne 2020 par le SSF sur les chantiers de sous-marins sans équipage, puis adapté par la Marine aux autres navires où l’équipage reste présent pendant les périodes de maintenance industrielle. Outre l’attention portée à la diminution du risque de départ de feu et à sa détection précoce, des exercices de grande ampleur sont désormais organisés fréquemment pour entraîner les différents services d’intervention à agir ensemble en quelques minutes, autour des navires comme à l’intérieur des locaux : équipage, opérateur industriel, marins-pompiers des bases, services de secours départementaux.

Instruction des scénarios

En parallèle de cette enquête, une équipe d’expertise pluridisciplinaire a été formée afin de déterminer l’état précis du bateau et d’instruire les scénarios envisageables. La mise hors service du SNA Perle, le moins âgé des sous-marins de type « Rubis », représentait en effet une perte majeure pour les capacités opérationnelles de la Marine nationale en attendant l’arrivée des SNA de nouvelle génération du programme Barracuda : la flotte sous-marine est dimensionnée au plus juste, tant vis-à-vis des opérations à conduire que du flux RH à entretenir pour le vivier des SNLE.

Les représentants industriels et étatiques ont travaillé en concertation très étroite, mais de façon indépendante afin d’assurer l’objectivité des résultats atteints. L’équipe intégrée étatique rassemblait les compétences de la DGA, du CEA, du service mixte des chaufferies nucléaires (STXN) et du SSF. Tout le monde avait conscience des enjeux techniques, opérationnels, industriels, voire médiatiques, du dossier. Il fallait garantir aux autorités militaires et politiques un processus d’instruction irréprochable.

Les premières comparaisons internationales n’étaient guère rassurantes : les réparations de navires après incendie sont rarement entreprises et encore moins réussies. L’USS Miami constituait l’exemple le plus semblable. Suite à son incendie très partiel en 2012, l’US Navy s’était lancée dans une réparation avant d’abandonner le projet après 2 ans et plusieurs centaines de millions de dollars déjà dépensés, en raison des coûts et délais déraisonnables pour le mener à terme. Les investigations ont donc commencé sans grande illusion sur l’issue accessible.

Les expertises métallurgiques et modélisations effectuées de manière distincte par Naval Group et par les centres DGA Techniques Aéronautiques et DGA Techniques Navales ont permis de vérifier l’état des matériaux et de le corréler aux estimations des températures rencontrées par local. Les 600°C à 1000°C rencontrés sur une large partie de la moitié avant ont non seulement ravagé toutes les structures intérieures, mais aussi irréversiblement dégradé l’acier de la coque résistante. A contrario, la moitié arrière – c’est-à-dire les compartiments de la chaufferie nucléaire, des machines et de la propulsion – est restée intacte. Des contrôles complémentaires ont ensuite démontré l’état satisfaisant de la coque sur les deux premiers mètres à l’arrière de la partie avant du SNA, même si rien n’était réutilisable à l’intérieur.

Les expertises se sont concentrées sur la possibilité de découper la moitié avant du SNA Perle pour lui substituer la même portion du SNA Saphir, récemment retiré du service à Cherbourg après 35 ans d’exploitation. Toutes les réparations lourdes à mener sur sa coque et ses circuits intérieurs soumis à la pression d’immersion ont été répertoriées.

Par réflexions successives, un scénario crédible de réparation a été élaboré en septembre 2020 : ôter la partie avant du SNA Perle, irrémédiablement abîmée, à partir de 1,5 m en avant de la cloison séparant les moitiés arrière et avant, découper le SNA Saphir au niveau de cette cloison puis souder l’arrière de la Perle avec l’avant du Saphir. L’allongement résultant de 1,5 m offre la place nécessaire pour les centaines de raccordements de tuyaux et câbles électriques entre les deux moitiés. Le SNA ainsi allongé reste viable en termes de sécurité-plongée : pesée, stabilité, manœuvrabilité en surface et en plongée. Toutes les technologies requises par une telle opération étaient unitairement maîtrisées par Naval Group ou ses sous-traitants, et sinon industrialisables moyennant complément de qualification à partir de procédés proches.

Par chance, au moment de l’incendie, les équipements intérieurs du SNA étaient démontés et en cours de visite décennale. Ils pouvaient donc être réutilisés à bord d’une nouvelle moitié avant, sous réserve d’adaptations mineures dues aux différences de configuration entre les deux sous-marins, dont les constructions respectives étaient espacées d’une dizaine d’années.

La charge globale, quoique très significative, a été jugée abordable, ne dépassant pas certains pics de charge des années précédentes, notamment lorsque le porte-avions se trouve en arrêt technique majeur.

Sur ces fondements, un dossier de choix a été constitué, présentant également les conséquences financières et calendaires d’une réparation. En particulier, la prolongation de l’arrêt technique majeur a été évaluée à 15 mois. C’était peu eu égard à la complexité de l’opération, et néanmoins suffisant pour décaler le lancement des travaux de refonte de la zone d’entretien des bâtiments à propulsion nucléaire de Toulon (sous-marins et porte-avions), nécessitant une évaluation des impacts entre les services concernés.

Finalement, mi-octobre 2020, soit seulement 4 mois après l’incendie, la ministre Florence Parly a validé l’option de réparation du sous-marin. Soulagement collectif sur la qualité du dossier, et humilité de rigueur car le plus dur restait à faire !

 

Préparation du transfert par barge du SNA Perle entre Toulon et Cherbourg

Préparation du transfert par barge du SNA Perle entre Toulon et Cherbourg

La réparation du sous-marin

L’excellent état d’esprit général contribua de façon certaine au succès du projet. Au-delà des clauses contractuelles, par ailleurs précises, c’est bien le souci de tenir ensemble les engagements pris qui a soudé les équipes industrielles et étatiques, à tous les niveaux.

Découpe de la coque du SNA Perle à Cherbourg

Découpe de la coque du SNA Perle à Cherbourg

L’ensemble de la production technique interne de Naval Group a été durant toute cette aventure transmise immédiatement à la maîtrise d’ouvrage. Des centaines de rapports, notes de calculs, relevés de mesures, analyses, comptes-rendus d’opérations et d’essais… pour plus d’une dizaine de milliers de pages à relire, vérifier et discuter, qui ont progressivement et « en direct » démontré la pertinence des travaux prévus et exécutés.

La justesse des preuves écrites ne remplaçant pas la connaissance précise des interventions en usine, en atelier ou à bord, une présence renforcée sur le terrain a été mise en place sur les différents sites. Pour y parvenir, des sous-mariniers mis à disposition par la Marine nationale ainsi que les experts compétents du CEA et de la DGA (direction technique et service de la qualité) ont renforcé les équipes du SSF. De même, Naval Group a mobilisé efficacement son ingénierie sur tous ses sites, et déporté une partie du chantier toulonnais sur Cherbourg pendant plusieurs mois.

L’organisation humaine mise en place, il a fallu calibrer judicieusement les processus à dérouler. Un système hybride entre les pratiques du MCO et celles des programmes d’armement a été imaginé, aussi bien pour l’ingénierie – revues itératives de conception, revues et programmes d’essais de qualification – que pour le suivi de la réalisation et la démonstration de sa conformité. A l’expérience, il s’est avéré adapté au besoin : suffisamment exigeant, mais pas trop lourd à suivre.

Tout en se montrant rigoureux dans la définition des critères à respecter, il a fallu faire preuve de souplesse dans la mise en œuvre, afin de tenir les délais particulièrement serrés du projet. Pour chacune des spécialités – coque, chaudronnerie, électricité, etc. – les travaux à bord ont commencé avant la fin des étapes d’ingénierie, après une validation partielle.

 

Déplacement des demi-coques de SNA à Cherbourg avant la jonction des 2 moitiés constituant le nouveau SNA Perle ; en haut, arrière de la Perle, en bas, arrière du Saphir, à droite, l’avant du Saphir

Déplacement des demi-coques de SNA à Cherbourg avant la jonction des 2 moitiés constituant le nouveau SNA Perle ; en haut, arrière de la Perle, en bas, arrière du Saphir, à droite, l’avant du Saphir

Ce cadre clair et partagé a facilité la conduite et l’exécution du projet par les trois à quatre cents personnes impliquées. Malgré plusieurs dizaines de faits techniques significatifs, quantité normale et humainement traitable, les différentes phases se sont enchaînées sans retard et avec le niveau de qualité requis : transfert du sous-marin Perle par barge de Toulon à Cherbourg ; découpe des Perle et Saphir dans la zone DGA de Cachin à Cherbourg spécialement aménagée, soudage des coques pour reconstituer le nouveau SNA Perle ; transfert dans le bassin en zone DGA du Homet, toujours à Cherbourg, pour les réparations intérieures de la partie avant issue du sous-marin Saphir et le raccordement de tous les tuyaux métalliques et câbles électriques entre parties arrière et avant ; transfert retour par barge à Toulon et reprise de l’arrêt technique au stade où il s’était arrêté en juin 2020 sur la moitié arrière – notamment les opérations sur la chaufferie nucléaire – en parallèle de la fin des travaux de remise à niveau de la plate-forme et du système de combat de la moitié avant.

 

Soudage en cours de la partie avant du SNA Saphir et de la partie arrière du SNA Perle pour reconstituer le SNA Perle réparé ; figurent de part et d’autre des tapis chauffants pour maintenir l’acier spécial de coque à température avant et après soudage et éviter la formation de fissures à cœur

Soudage en cours de la partie avant du SNA Saphir et de la partie arrière du SNA Perle pour reconstituer le SNA Perle réparé ; figurent de part et d’autre des tapis chauffants pour maintenir l’acier spécial de coque à température avant et après soudage et éviter la formation de fissures à cœur

Deux autorités externes à la maîtrise d’ouvrage se sont finalement chargées de valider le niveau de sécurité atteint avec ce sous-marin réparé et allongé, à partir des dossiers de synthèse transmis par Naval Group et le SSF : la commission de sécurité maritime (CSM), organisme mixte marine/DGA, concernant l’aptitude du sous-marin à naviguer (sécurité-plongée et sécurité nautique), et l’autorité de sûreté nucléaire défense (ASND) pour tous les aspects liés à la sécurité nucléaire.

Bilan de l’aventure

Au moment où ce numéro paraît, le SNA Perle se prépare à effectuer ses essais à la mer et retournera prochainement dans le cycle opérationnel. Il bénéficie de quelques améliorations à caractère opérationnel et de qualité de vie à bord grâce à son léger allongement. Son nouveau potentiel de vie de 10 ans le rend apte à être exploité 40 ans depuis sa mise en service, ce qui couvre largement la date d’arrivée du dernier SNA du programme Barracuda.

Cette réussite collégiale répare le traumatisme né de l’incendie de juin 2020 et prouve la capacité du monde français de l’armement à travailler en parfaite synergie, et à adapter ses savoir-faire et processus pour répondre aux enjeux d’une situation aussi inattendue et particulière que celle-ci.

Photo de l auteur
 
Jean Prudhomme, ICA, attaché d'armement au Royaume Uni

Après plusieurs postes dans le MCO et les programmes de sous-marins (SNLE, Barracuda), Jean Prudhomme a lancé le programme de navires ravitailleurs « Flotte logistique » en coopération avec l’Italie, puis occupé la fonction de sous-directeur technique du SSF. Il est depuis septembre 2022 attaché d’armement au Royaume-Uni.

Auteur

Articles liés par des tags

Commentaires

Aucun commentaire

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire. Connectez-vous.