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28 février 2025

LA VOIE DES GUERRIERS DU ROCHER
PRÉPARATION MENTALE POUR GRIMPEURS, OUVRAGE D’ARNO ILGNER

La "Voie des guerriers du rocher" s'inspire d'une application pacifique d'anciennes traditions martiales. Ce livre présente une méthode qui part du paradoxe du guerrier : s'il se laisse dominer par son ego, son attention vacillera, et il sera anéanti. A contrario, s'il embrasse le risque et en accepte les conséquences, il est bien plus probable qu'il survive. Cette "mentalité du guerrier" peut être appliquée à de nombreuses autres choses que l'escalade. Je vous en propose un résumé personnel.


Lorsque j’ai débuté l’escalade en montagne, ma pratique s’est rapidement heurtée à un problème majeur qui a freiné ma progression : la peur de tomber. Cette peur engendrait un déficit d’attention et devenait parfois tétanisante. Je me suis alors plongée dans le livre « La Voie des guerriers du rocher », qui aborde la progression en escalade par la préparation mentale, en s’inspirant des principes clés d’anciennes traditions martiales et de la psychologie du sport. Étape par étape, la méthode décrit comment analyser sa motivation, recueillir des informations, évaluer les risques, se concentrer et passer efficacement de la phase de préparation à la phase d’action, de l’esprit rationnel à l’esprit intuitif.

Cette méthode présuppose chez la personne une envie de progresser et de quitter sa zone de confort. Il s'agit d'un risque à prendre, réel ou ressenti. La Voie des guerriers du rocher s'emploie à déconstruire les habitudes mentales restrictives et propose un cadre pour guider cette prise de risque, et se lancer dans l'inconnu, de la façon la plus intelligente et efficace possible. Ce cadre détaille trois phases : la préparation, la transition et l'action, et sept processus.

Terminologie :

L'attention : forme active de la conscience, aigüe et focalisée, que nous dirigeons, intentionnellement, dans une direction précise.

L'impeccabilité : absence de défauts, forme d'intégrité personnelle qui permet d’assumer la pleine responsabilité de ses choix, grâce à un processus introspectif et intuitif.

Le pouvoir : renvoie à notre capacité d'agir avec efficacité, d'explorer et de mener une quête de sens. Faire preuve de pouvoir, c'est penser avec lucidité et détermination. Il s'agit de la totalité des ressources, surtout mentales, auxquelles vous recourez dans une situation donnée.

Un guerrier : un "chasseur impeccable en quête de pouvoir personnel". La quête ultime du guerrier est de mieux se connaitre et gagner en pouvoir personnel.

A - La phase de préparation

1. Prendre conscience : observation et connaissance de soi

Il s’agit d’abord de canaliser son attention sur le flot intérieur des pensées et sentiments, en prenant la position de "témoin". Notre image de soi n'est pas une représentation objective de notre potentiel, mais est souvent liée à nos performances (qui dépendent aussi de facteurs externes). Or, si réussir est une satisfaction, cela ne vous permet pas d'augmenter votre pouvoir personnel.

Il faut un système de valeurs interne, détaché de la performance, pour qu'une forme d'estime de soi authentique puisse prendre forme. Tout effort peut être ou non couronné de succès, mais c'est ce que nous en apprenons qui en constitue le gain fondamental.

2. La subtilité de la vie : recentrage et transformation de soi

Pour apprendre et croitre, il vous faut modifier vos croyances et être ouvert d'esprit, c'est-à-dire ne pas rejeter de nouvelles informations avant de les avoir évaluées et, si elles se révèlent utiles, avoir essayé de les intégrer à votre manière de penser. Ce deuxième processus se focalise sur la transformation de soi en une entité plus efficace et plus puissante (notre posture, notre expression faciale, notre estime de soi, la façon dont nous nous adressons à nous-mêmes...).

3. Accepter ses responsabilités

La société dans laquelle nous vivons nous dissuade souvent d'assumer notre responsabilité. Or, sans prise de risques, nous n'apprenons rien, nous n'étendons jamais notre zone de confort et nous ne faisons aucun progrès. Pour accepter la responsabilité de prendre un risque, il convient de dissiper toutes les illusions et réunir l'ensemble des informations utiles et objectives pour évaluer clairement la situation. Le pouvoir passe par le savoir.

Il y a différentes manières de fuir la responsabilité de ses actes : rejeter la responsabilité sur l'autre, occulter les faits ou négliger certaines informations importantes, être dans le déni, se trouver des excuses. Ces différents comportements détournent votre attention et produisent une force négative entravant l’apprentissage. Pour prendre conscience de cela, il est nécessaire d'être d'une honnêteté à toute épreuve. En vous débarrassant des petits mensonges qui corrompent votre vie quotidienne, vous purgez votre système en profondeur. Accepter ses responsabilités, c'est appréhender la réalité d'une situation difficile en amassant des informations objectives et en les traitant avec honnêteté. C'est sortir d'un rôle passif et prendre sa destinée en main. Au cours de ce processus émerge une grande vérité : la vie est difficile. Une fois que nous reconnaissons pleinement que la difficulté est normale et naturelle, nous cessons d'être offensés ou intimidés lorsqu'il nous faut nous démener ou surmonter des épreuves.

4. Donner

Dans ce processus, le guerrier se sert des informations qu'il a découvertes et acceptées pour développer une attitude positive en vue du défi qui l'attend. C'est la dernière étape préparatoire avant d'entamer la transition vers la phase d'action.

Notre société nous encourage à réussir, mais elle nous incite moins à faire les efforts nécessaires pour y parvenir. Nous aimons la facilité, nous sommes parfois de nature paresseuse, et aimons à penser qu'il est possible d'obtenir des résultats sans le moindre effort. On nous apprend davantage à recevoir qu'à donner. Au lieu de regretter ce que nous n'avons pas et d'entretenir un mode de pensée passif, l'esprit du don trouve sa source dans une forme de reconnaissance pour ce que nous avons déjà. Ainsi, nous nous sentons plus fort et sommes-nous prêts à donner notre meilleur.

L'effort est ce qui importe, car c'est votre manière de donner. Sans le moindre don, il est impossible d'apprendre et de croître. Au moment de relever le défi d'un projet, il est important de s'attendre à produire un effort. L'objectif du guerrier est d'accumuler du pouvoir. Le simple fait de posséder telle ou telle compétence n'augmente pas votre pouvoir personnel. Pour cela, il vous faut enrichir vos compétences en vous mettant dans des situations où vous pouvez fouiller dans ce coffre à trésor qu'est l'Inconnu.

B - La phase de transition

La préparation est terminée, mais l'action n'a pas encore commencé. La phase de transition est brève : c'est l'instant de vérité, le moment du choix. L'objectif est d'effectuer une transition intégrale, énergique et soudaine entre la préparation et l'action.

5. Choisir

La tergiversation, l'indécision et l'ambivalence dans la prise de décision, en escalade comme dans d’autres domaines, font gaspiller de grandes quantités de pouvoir. Il n'y a pas de bons ou de mauvais choix et il est impossible de connaître toutes les ramifications d'un choix. Le guerrier renonce à de tels qualificatifs et s'engage pleinement dans l'exploration, il ne recherche que le savoir. Les leçons à tirer d'une expérience sont nombreuses, mais nous ne pouvons jamais savoir à l'avance en quoi elles consisteront. Si ce qui est "bon" ou "mauvais" ne peut nous servir de guide, comment faire des choix ? Le guerrier dispose d'un guide qui supplante l'opposition bon/mauvais. Il l'appelle le cœur. Suivre le chemin qui a du cœur se réfère à une conception très personnelle de ce qui est bon, plus tolérante, humble et attentive au fonctionnement profond de l'univers, là où nous tirons notre force et notre énergie. Le « chemin qui a du cœur » apparaît quand nous sommes émus par une motivation interne qui trouve son origine dans la passion. Aimer ce que vous faites et être en harmonie avec ce que vous considérez comme important vous aidera à faire des choix, dans n'importe quel domaine.

Le mot décision vient du latin « decidere », qui signifie "couper". Vous coupez ce qui ne vous est plus nécessaire : les options mises de côté, l'incertitude et les remises en cause. Vous évacuez tout doute, hésitation et questionnement. Vous choisissez le chemin à suivre et vous y engagez pleinement. Un engagement total engendre de puissants phénomènes.

Jusqu'au moment où l'on s'engage, seules existent l'hésitation, la possibilité de se rétracter et l'inefficacité. Dans toute initiative (et dans tout acte de création), il est une vérité élémentaire, dont la méconnaissance annihile d'innombrables idées et de magnifiques projets : à l'instant même où l'on décide à s'engager, la Providence se met elle aussi en marche.

The Scottish Himalayan Expedition, W.H.Murray

C - La phase d'action

Le but de cette dernière phase est de vivre pleinement le défi plutôt que d'essayer de le fuir. Embrasser l'effort comme une occasion d'apprendre. Faire taire l'esprit conscient, ce qui permettra aux facultés intuitives d'émerger. Se concentrer sur le parcours, et non sur la destination.

6. Ecouter

Une fois lancé dans la phase d'action, le guerrier sait qu'il n'est plus en terrain familier. Il se trouve au cœur d'un nouveau territoire, un territoire inconnu, magique et chaotique, au potentiel encore inexploité. Il s'attend à ce que des doutes et des peurs fassent surface dans son esprit conscient. Il les éconduit et reste fidèle à son intention d'agir.

Soyez curieux et ouvert à la difficulté, car celle-ci est avant tout mentale. Ce qui semble ardu pour l’un ne l'est pas pour l’autre. Cette perception est souvent bien une question d'attitude plus que de force physique. Envisagez les passages « difficiles » comme autant d’occasions d'apprendre. Cette plus grande ouverture d'esprit recèle un immense pouvoir et vous aidera à vous lancer avec enthousiasme dans l'effort.

Dans la culture moderne, l'intuition est une faculté vague et souvent tournée en dérision. L'intuition n'a rien de logique : il est impossible d'analyser comment ou pourquoi nous connaissons quelque chose intuitivement. Cette faculté de perception directe et immédiate de la situation fonctionne quand on lui laisse le champ libre. Souvenez-vous que votre objectif le plus élevé est d'apprendre et que seule l'action peut conduire à des connaissances empiriques. Vous avez décidé que le risque était approprié et que vous étiez prêt à l'aborder. Vous vous êtes engagé. Neutralisez votre esprit conscient et faites confiance au processus. Une fois dans l’action, si l'intuition confère une certaine souplesse au choix des mouvements à accomplir, la volonté d'avancer doit, quant à elle, rester farouche et inflexible.

7. Le parcours : focalisation de l’attention sur le moment présent

Dans la zone de risque, il est naturel de faire l'expérience d'une tension. Acceptez cette tension. Trouvez du confort dans le chaos, rompez avec l'habitude de vouloir fuir le plus rapidement possible une situation difficile. Témoignez de la reconnaissance envers le défi que vous relevez et l'apprentissage qui en découle, et maintenez votre attention dans le moment présent. Fixez-vous des objectifs portant sur votre parcours et sur votre effort et non sur votre destination. Votre but ne devrait pas être d'arriver au sommet, mais de rester focalisé sur votre effort jusqu'à ce que vous y parveniez (cf. schéma du « rayon laser »). C'est en étant en harmonie avec ses valeurs les plus profondes - apprendre de ses expériences, aimer la vie, accroître son pouvoir personnel – que le guerrier trouve son confort. Cet état d'esprit devient un instrument de pouvoir.

Conclusion : la force de la passion

La Voie des guerriers du rocher promeut l'équilibre et l'harmonie tout en proposant un objectif de vie : se sentir en paix avec soi-même et être en mesure de conserver ce sentiment dans l'adversité. La méthode permet de détailler le passage rapide entre deux états d’esprit très différents, l’esprit rationnel et l’esprit intuitif. Pour que cette bascule puisse s’opérer efficacement, il faut l’avoir anticipée et préparée, le « y’a qu’à » ne fonctionne pas. Ce changement d’état d’esprit est nécessaire pour aborder le monde « inconnu, inconfortable et chaotique », seul lieu possible pour l’apprentissage et la progression personnelle. Mais la condition sine qua non, c’est l’envie d’y aller, la motivation, la passion. Hegel l’avait dit : « Rien de grand ne s'est accompli dans le monde sans passion. »

Transposée au pilotage de projet, cette méthode permet, outre de rappeler l’indispensable motivation pour mener à bien les tâches qui nous incombent, de mettre en lumière cet enchaînement essentiel : évaluation exhaustive des risques à prise de décision à engagement et inflexibilité dans l’application de la décision prise.

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