Toujours dans la règle de Chatham-House, près d’une cinquantaine de nos camarades ont pu avoir un échange très ouvert et très riche avec Jean-Brice.

Suivant notre tradition, désormais bien établie, le débat a été lancé sur le thème « Les nouveaux défis de l’aéronautique européenne » avec trois questions :

1 – Jean-Brice, à l’heure où dans le contexte du conflit en Ukraine, les matériels américains inondent l’Europe, comment vois-tu le futur de l’industrie aéronautique militaire en Europe et de sa place sur le marché européen, avec quels produits, quels acteurs industriels, quelles alliances ?

2 Une question un peu plus pour l’ancien directeur de l’ingénierie d’Airbus : quels progrès technologiques, quelles innovations sont nécessaires pour maintenir le leadership européen dans l’aviation civile et militaire ?

3 – Enfin, une question portant plus sur le marché civil, la « décarbonation » : comment concilier d’un côté la pression environnementale dans les pays occidentaux (du moins en Europe de l’Ouest...), et d’autre part la croissance du marché et la concurrence dans des pays qui ne la subissent pas ?

En réponse à ces questions, Jean-Brice nous a alors partagé sa vision, entre espoir et anxiété.

L’espoir se nourrit d’un tissu industriel riche dans tous les domaines, des grands maîtres d’œuvre au tissu de sous-traitants, d’une pratique réussie de la coopération pour de nombreux projets, avec des modèles de coopération et industriels différents, celui d’Airbus n’étant pas celui de MBDA par exemple.

L’espoir repose également sur le leadership exercé par la France dans le lancement des grands projets, les Espagnols nous voyant comme une nation « tractor ».

Cependant, malgré des décennies d’une pratique réussie, la coopération reste difficile et demande des efforts constants pour contrecarrer les forces centrifuges. L’arrivée de la Commission Européenne dans cet écosystème est un facteur d’entropie, chacun des 27 pays ayant à Bruxelles son propre agenda, au-delà des questions de défense.

Sur le thème des avions de chasse, les succès du F35 en Europe témoignent de l’échec du calendrier des avionneurs européens pour la disponibilité d’un avion dit de 5e génération. Alors que les États-Unis investissent massivement dans les technologies nécessaires au NGAD (Next Generation Air Dominance) les avionneurs européens doivent à la fois moderniser leurs produits (Rafale F5, Eurofighter LTE) et préparer le futur. Cette préparation nécessitera de serrer des rangs européens aujourd’hui en divergence.

Fort de son expérience à la tête de l’ingénierie du groupe Airbus, Jean-Brice nous a éclairé sur la démarche de progrès technologiques et d’innovation dans l’aéronautique. Les investissements les plus importants sont portés par l’aéronautique civile, « avion vert, connecté, digital » ! Des réductions des émissions à court terme sont possibles grâce au remplacement des avions anciens qui peuvent être recyclés notamment via la Joint-Venture avec Safran, « Tarmac Aerosave » dédiée à la gestion de la fin de vie des avions. D’autres progrès sont possibles via l’optimisation des trajectoires (principe de descente continue étudié en collaboration avec Thales), des améliorations de l’avion (aéroélasticité par exemple). Pour autant, les vrais leviers de réduction d’impact environnemental sont plus durs à trouver. La généralisation de l’usage des carburants alternatifs ne se heurte pas à un obstacle technologique mais à celui de leur production en masse pour être disponible. Quant au Graal de l’hydrogène, les challenges techniques sont considérables, et nécessiteront de relever plusieurs défis technologiques.

Pour des besoins plus spécifiquement militaires, la connectivité et la furtivité seront au cœur des performances des futurs systèmes d’armes. Les technologies sont plus accessibles mais il faudra assurer la maîtrise des coûts par la fixation d’un coût-cible, en particulier dans les programmes en coopération pour en faire des succès. Le combat militaire de demain sera partagé entre avion d’armes et drones « effecteurs », concept clé du programme SCAF.

Enfin, Jean-Brice a abordé le décalage très important entre d’une part les pressions environnementales fortes en Europe occidentale qui poussent à une trajectoire agressive en termes de réduction des émissions de CO2 et d’autre part les besoins considérables des grands pays tels que l’Inde ou la Chine qui ne se laisseront pas imposer ces trajectoires au détriment de leur croissance et de leur besoin accru de mobilité, lequel ne se

résoudra pas par des vecteurs de type Hyperloop. Jean-Brice nous a alerté sur les risques induits par des positions clivées, soulignant que l’engagement volontariste dans ces trajectoires de consommation décroissante ne doit pas se faire en renonçant aux positions solides de notre industrie aéronautique.

La soirée s’est poursuivie avec les échanges avec les participants, chacun ayant pleinement profité de ce moment de partage en toute confidentialité pour une expression franche, sans aucune langue de bois ! Tous les propos ne pourront être retranscrits dans ces lignes...

Nous avons abordé la compétition Airbus-Boeing, le futur du projet GCAP porté par le Royaume-Uni, le Japon et l’Italie, les avions d’armes chinois, l’impact des certifications civiles sur les aéronefs militaires, la digitalisation, l’ambiguïté de l’exportation d’armement vue de Berlin, le time to market...

Grâce à la passion de Jean-Brice, son témoignage très direct d’un acteur clé au cœur des enjeux de notre aéronautique militaire, nous avons pu une nouvelle fois disposer d’un éclairage captivant, bien dans cet esprit d’une expression non retenue sur des sujets d’importance pour notre corps afin de permette de nourrir la réflexion de notre communauté !