LE DÉLÉGUÉ, EMMANUEL CHIVA
INVITÉ DU PREMIER DINER-DÉBAT CAIA EN 2024
Défis majeurs de la Loi de Programmation Militaire, coopération européenne et réforme des corps techniques : trois thèmes clés de l’intervention liminaire d’Emmanuel Chiva, Délégué Général pour l’Armement, devant un auditoire record (75 IA, dont de nombreux jeunes ingénieurs) lors du sixième dîner-débat organisé par notre association.
Questionné sur les principaux défis et objectifs de la mise en œuvre de la Loi de Programmation Militaire (LPM) 2024-2030 le Délégué a en premier lieu rappelé les difficultés d’un contexte géopolitique tendu.
" un mélange entre l’Odyssée de l’espace et 1914-1918 "
« Les différentes crises internationales mettent en exergue des problématiques variées qui doivent être couvertes par la programmation future des dépenses consacrées aux Forces Armées françaises » a-t-il déclaré. La guerre en Ukraine par exemple, « un mélange entre l’Odyssée de l’espace et 1914-1918 », souligne l’importance de la préparation à une guerre des tranchées et du développement de l’artillerie tout en précipitant l’essor des drones et de la guerre de l’information.
Le maintien de la menace du terrorisme militarisé fait quant à lui appel à des moyens capacitaires différents (renseignement, contre IED, …).
Enfin, l’apparition de nouveaux champs de conflictualité (espace, fonds sous-marins, influence, …) nécessite des moyens qui peuvent contraindre nos ambitions capacitaires dans d’autres domaines, malgré des ressources de la nouvelle LPM en forte hausse par rapport à la précédente.
Tous ces enjeux capacitaires impliquent une réaction immédiate sans pour autant renoncer à la préparation du futur. Le Délégué a notamment mis l’accent sur « le travail méticuleux des différentes équipes du ministère afin de produire une LPM au plus près du besoin opérationnel des forces ».
Ainsi, afin de déterminer le niveau global des ressources nécessaires durant cette LPM, ces équipes ont déterminé les besoins de financement par nouveau domaine, les patchs, comme ceux sur l’espace (6 milliards d’euros), l’innovation (10 milliards d’euros) en encore les drones (5 milliards d’euros). Cette réponse aux défis présents est couplée à l’anticipation et la préparation aux ruptures technologiques apportées par l’intelligence artificielle, l’hyper vélocité, le quantique ou encore les armes à énergie dirigée.
En parallèle, pour répondre aux contraintes de la nouvelle donne géopolitique, il est également indispensable, pour Emmanuel Chiva, de « disposer d’un outil industriel capable de répondre aux défis capacitaires issus de la situation géopolitique instable ». Le Délégué a ainsi exhorté la Base Industrielle et Technologique de Défense (BITD) à prendre des risques pour « augmenter stocks, capacités et cadences de production dans un contexte d’économie de guerre ».
Il a également mis l’accent sur la prise de risque à l’export en « s’ouvrant à des marchés pour l’instant peu explorés par les industriels français » et a notamment cité l’Afrique, continent qu’il a visité récemment, une première pour un Délégué Général pour l’Armement depuis les années 1960.
Des efforts seront particulièrement engagés par la DGA dans le domaine du soutien à la BITD sous la forme de la création d’une Direction de l’industrie de Défense, en charge notamment de soutenir le financement de l’industrie, de la préserver des ingérences étrangères ou encore d’accompagner le renforcement de sa protection cyber.
La coopération européenne fut le second point du débat et le Délégué y a mis en avant « son importance » mais aussi « ses difficultés ». Bien que permettant des projets plus ambitieux, « elle ne doit pas se faire au détriment des besoins capacitaires français » a clairement rappelé le Délégué. Lorsque, mise en place par des Institutions européennes comme le Fonds Européen de Défense, la coopération profite de fonds qui commencent à devenir significatifs, il est nécessaire de maximiser la cohérence de ses projets avec les besoins de notre pays.
Au niveau bilatéral, la coopération avance avec le Royaume Uni, « un partenaire naturel en Europe » compte tenu de la similitude de nos politiques de défense, essentiellement autour de la filière missile ; avec l’Allemagne sur des développements ambitieux mais complexes comme le SCAF et le MGCS ; et avec l’Italie autour de discussions soutenues dans le domaine spatial.
Le Délégué a enfin été interrogé sur la réforme des corps techniques de l’État. Il a présenté les trois axes majeurs du projet de transformation, que sont :
1- le renforcement de la diversité des IA avec « la mise en place d’un parcours talents », « l’ouverture des voies de recrutement » pour les docteurs et les salariés du privé et le « renforcement de la réserve opérationnelle ».
2- la transformation des parcours professionnels des IA « avec l’encouragement des mobilités » notamment dans les administrations, et l’indispensable « facilitation » de leur retour vers la DGA.
3- « l’adaptation de la gestion du corps avec la création d’une Délégation à l’encadrement supérieur au sein de la DRH » de la DGA en renforçant la relation avec le CGARM.
Le Délégué a ensuite répondu aux questions variées de l’assistance. Il a notamment souligné l’importance de l’innovation et la nécessaire prise de risques partagée entre l’État et l’industrie, avec comme exemple le financement de démonstrateurs ou de projets avec des spécifications allégées (ex : les munitions téléopérées COLIBRI et LARINAE). Il en a profité pour rappeler le bénéfice de l’initiative Red Team Défense pour imaginer des scénarios futurs et a annoncé sa poursuite avec la création d’un contrat cadre, suite à la pertinence de la réflexion apportée sur des sujets comme la « sécurité cognitive » à l’origine du projet MYRIADE.
Il a confirmé les difficultés pour les entreprises de défense d’obtenir des financements privés et l’action de l’État au niveau national pour inciter les banques françaises à renforcer leur contribution au financement des activités de défense, mais également au niveau européen auprès de la commission et du parlement au titre de la taxonomie. Il a également rappelé la nécessité de contrôler souverainement les licences d’exportation pour des matériels développés en coopération. Le Délégué est prêt à défendre fermement les intérêts français face au projet de transfert de ces contrôles au niveau européen.
Il a rappelé l’importance du dialogue « capacitaire » avec les Forces et de l’indispensable analyse de la valeur des futurs projets avant toute décision majeure.
En synthèse, le Délégué a précisé durant cette soirée les grands défis actuels de la DGA pour le succès des armes de la France, ainsi que les transformations nécessaires à opérer afin d’être en capacité de mieux y répondre. Il a insisté sur la nécessité pour la DGA de répondre au mieux aux exigences des Forces à court terme tout en œuvrant sans relâche à la préparation et à l’anticipation du futur.
Aucun commentaire
Vous devez être connecté pour laisser un commentaire. Connectez-vous.