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Souvenir des campagnes espagnoles de Philippe : Le Cougar, issu du Super Puma, hélicoptère civil, lui-même héritier du Puma militaire. Ils sont devenus aujourd’hui le Caracal (H225M) et le Super-Puma (H225)
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03 juin 2023

LE MEILLEUR DES DEUX MONDES

Écrire quelques lignes pour l’éditorial de cette revue est un exercice difficile, sans commune mesure avec celui qu’il faut déployer pour écrire une intervention dans un colloque ou une fiche sur un sujet, même ardu. Tout d’abord, que dire de plus que ce qui se trouve déjà dans cet ensemble d’articles particulièrement variés et riches proposé au lecteur, autour de ce fil conducteur qu’est la dualité. Comme si ce n’était déjà pas suffisant, le mot du président développe la synthèse que j’aurais aimé faire…


Après quelques minutes de détresse devant cette page blanche, mon œil a été accroché par cette phrase : « cette dualité constitue une richesse intrinsèque significative de notre corps et de ses ingénieurs ». Elle met en avant ce qui est sans doute le plus important, le capital humain. Les ingénieurs de l’armement acquièrent, dans leur première partie de carrière, des savoir-faire et une expérience exceptionnels, bien plus rapidement qu’ils ne l’auraient fait dans le monde de l’entreprise. Ils sont ensuite disponibles, forts de ces compétences acquises au sein du ministère des armées, pour rayonner dans le domaine civil, de façon très large, dans d’autres ministères ou administrations et dans l’industrie, bien au-delà du traditionnel secteur aérospatial et de défense où ils sont largement présents. Mon propos n’est pas seulement déclaratoire, il reflète aussi mon vécu personnel, comme celui de nombreux camarades.

Cette dualité des compétences est un capital précieux pour nos entreprises de défense. Je pense bien sûr au secteur aérospatial, par essence dual et cela depuis l’origine, mais également aux entreprises de défense. Mixer les cultures, intégrer de nouvelles compétences ou de nouvelles façons de travailler est essentiel pour la compétitivité de nos entreprises. La fertilisation croisée qui en résulte est un facteur clé de performance, mais aussi de résilience, facilitant une gestion étendue des compétences transverses.

La défense a bien sûr ses spécificités. Mais, dans de nombreux domaines, et pas seulement dans le numérique, le secteur civil va beaucoup plus vite, pressé par le besoin vital de compétitivité sur des marchés internationaux où la concurrence est acharnée. C’est naturellement le cas dans ce domaine aérospatial que je connais bien, et en particulier dans celui de l’aéronautique civile où les investissements sont constamment à des niveaux très élevés. En comparaison, les cycles d’investissement dans le domaine de la défense sont beaucoup plus longs.

La dualité permet à nos armées de disposer d’un portefeuille de technologies, de produits ou de services disponibles grâce à l’investissement privé. Elles n’ont donc pas besoin de les financer, et peuvent se focaliser sur l’implémentation des fonctions militaires. En retour les programmes de défense offrent aux programmes civils des briques technologiques de très haut niveau, résultant d’une prise de risque partagé avec l’Etat qui ne serait pas possible autrement. Pour prendre un exemple d’actualité, il est clair que développer au sein de la même entreprise sur un grand drone stratégique, la mobilité urbaine aérienne et l’autonomisation des vols commerciaux présente quelques synergies évidentes… Elle permet également à l’industrie d’atteindre la masse critique nécessaire à son indispensable résilience, tant sur le plan de l’outil industriel que de celui des compétences.

On pourrait citer de très nombreux exemples concrets, que le lecteur retrouvera pour une bonne part dans les articles qui s’ensuivent. La dualité fut pendant longtemps univoque, par la diffusion des technologies ou pratiques de défense vers le domaine civil, particulièrement au sortir de la seconde guerre mondiale : des missiles vers les lanceurs, le concept même de Qualité dans l’industrie, Internet, les turboréacteurs d’avion, le Nucléaire, etc. Mais un flux inverse existe aussi depuis longtemps. Ainsi, les commandes électriques de vol et des moteurs développées pour Concorde (même si les moteurs Olympus dérivaient de ceux pour le bombardier Vulcan !), ou encore du système de freinage sont à la base de la révolution des commandes de vol numériques pour les avions militaires et civils quelques années plus tard. La DGA, ou plutôt à l’époque la DMA, Délégation ministérielle à l’armement, était très directement impliquée, avec le soutien technologique de l’ONERA. Demain, le travail conceptuel et technologique qui sera mené pour développer le système de systèmes européen nécessaire au SCAF est un exemple puissant. Garant de la souveraineté nationale et européenne pour les opérations aériennes militaires futures, ce développement ouvrira la voie au développement de systèmes analogues et interconnectés dans les domaines navals et terrestres. Il offrira aussi des briques complètes pour des clouds temps réel sécurisés dans le domaine civil, non moins indispensables pour garantir la souveraineté économique européenne.

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Philippe Coq ICA, Directeur des affaires publiques Airbus pour la France
 
 

X-SupAéro, Philippe Coq a rejoint Airbus en 2003 comme directeur de Military Air Systems France, quittant ses fonctions de directeur au sein de la banque ARJIL&Associés. Il a occupé diverses fonctions au sein de la DGA, tout d’abord au Centre d’essais des propulseurs et au Service technique des programmes aéronautiques, puis attaché d’armement auprès l’ambassade de France à Madrid et enfin sous-directeur à la direction de la coopération et des affaires industrielles.

 

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