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La solde, un service scruté de près
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24 octobre 2022

LE S.I., UN PROGRAMME D’ARMEMENT ?
L’AVENTURE SOURCE SOLDE

2012 : mise en service du logiciel Louvois de calcul de la solde pour la Marine.

2013 : crash de Louvois suite à l’ajout de l’armée de Terre. Des femmes de militaires manifestent !

Fin 2013 : constat d’impossibilité de garantir un fonctionnement irréprochable de Louvois, il va falloir le remplacer. Le CEMA demande au ministre de faire conduire le futur projet comme un programme d’armement. 


Je savais bien que la situation de Louvois était problématique, car en tant que directrice de l’unité de management Hélicoptères, j’avais rendu visite à un régiment d’hélicoptères de combat un peu plus tôt dans l’année, et le chef de corps m’avait avoué qu’il avait plusieurs personnels très pénalisés et que les « dépannages » tardaient. Cela dit, après 6 ans passés dans la gouvernance des systèmes d’information d’administration et de gestion, je savourais mon bonheur d’être revenue vers les programmes en dur qui permettent de faire la guerre avec des machines incroyables. Erreur !

Au début, tout va bien

Comme très peu d’ingénieurs de l’armement connaissaient le petit monde des systèmes d’information et leurs outils, je me suis retrouvée très vite à la tête d’une équipe de programme et de choc de 10 personnes, assez classique : un manager, un MQP, et quatre architectes. En ce qui concerne l’équipe de marque et de choc aussi, ses membres étaient au début plus teintés RH que solde, car tous les experts de la solde étaient plutôt monopolisés par les calculs de la solde mensuelle des militaires, la correction des erreurs de Louvois et l’instruction des recours. Ce bagne qu’ils vivaient au quotidien les avait profondément marqués et j’avais l’impression qu’ils avaient vieilli de 10 ans alors que je ne les avais quittés que deux ans auparavant.

Comme il s’agissait d’une priorité absolue pour le ministère, il faut reconnaître que tout le monde a mis du sien pour diminuer les délais administratifs autant que faire se pouvait (délégation de gestion en trois semaines, car un système d’information de solde ne relève pas du périmètre de la DGA) et les passages en comitologie financière (comité des devis, CEP, CMI…). Nous avons opté pour un dialogue compétitif, car nous n’avions pas la certitude de pouvoir tout spécifier.

En parallèle, nous avons fait un peu de parangonnage dans des sociétés ayant des effectifs importants et des systèmes de rémunération complexes, notamment la SNCF et Air France. Cela nous a confortés dans l’existence de plusieurs solutions mures.

Le dialogue compétitif s’est déroulé avec deux tours d’audition et une réalisation de prototypes que nos quelques experts ont pu tester. Les trois compétiteurs retenus se sont livrés une compétition acharnée qui s’est terminée dans le délai imparti de 15 mois pour la notification.

Un S.I. hors norme

Le périmètre de Source Solde comprend tous les personnels militaires du ministère des armées, y compris les réservistes et les radiés des cadres de moins de deux ans, soit 300 000 personnes. La rémunération des militaires est composée plus de 220 éléments de rémunération (à payer ou à déduire).

Le calcul doit être parfait en raison du facteur multiplicatif. Pour pouvoir calculer et faire virer la solde, Source Solde échange des informations avec plus de 20 systèmes d’information. Tout cela serait juste complexe S.I. l’environnement n’était pas mouvant. Ainsi, dans un but louable de simplification, beaucoup d’éléments ont évolué au cours des années de réalisation de Source Solde, dont l’évolution de la CSG, le transfert primes points, le prélèvement à la source...

Source solde est désormais utilisé par toutes les armées pour payer les soldes des 210 000 militaires d’active (source DICOD) 

Mauvaise surprise

La vraie mauvaise surprise de ce projet a été le manque de spécifications techniques dignes de ce nom, notamment en ce qui concerne les éléments de rémunération. Sur le fond, les calculs relèvent des 4 opérations, ce qui n’est pas bien compliqué. Mais avant le calcul doit être étudiée la légitimité, et pour cela, nous n’avions que des textes juridiques ou réglementaires, avec toutes les possibilités d’interprétations imaginables. Prenons l’exemple tout simple de l’indemnité d’absence cumulée qui, comme son nom l’indique, permet d’indemniser des militaires restant plusieurs jours loin de leur domicile, sans pour autant être en opération. Ce qui compte est le nombre de nuits, soit. Mais alors, qu’est-ce qu’une nuit, comment la définir ? Et c’est parti pour quelques ateliers très animés pour se mettre d’accord sur la définition et s’assurer que la définition de la nuit pour cette indemnité ne risque pas de poser problème pour d’autres indemnités.

Afin de nous comprendre de façon univoque et harmonisée entre les armées, nous avons utilisé des fiches de spécifications incluant le bon vieux logigramme pour écrire les conditions d’ouverture du droit. Très clairement, nous avons perdu du temps dans cette phase, mais ce temps a permis à tous une bonne compréhension et une bonne acceptation du changement. Ces fiches constituent une base solide et validée pour pouvoir absorber toutes les évolutions à venir.

Source Solde, ce fut aussi :

-  une équipe de tête de 10 personnes

-  une réunion mensuelle chez le directeur de cabinet

-  un CODIR mensuel présidé par le DRH-MD

-  un COPIL tous les 15 jours

-  des comités de surveillance réunis toutes les semaines durant 4 ans

-  300 ateliers avec SopraSteria

-  140 programmeurs

-  34 versions

-  2Go de reporting de toutes sortes

-  150M€ de budget 

Profiter des expériences des autres

L’expérience de Louvois avait rendu les DRH des armées très prudents, ce qui se conçoit tout à fait. Les calculs unitaires ont été validés à la main et avec de multiples conditions d’ouverture du droit. L’équipe de programme a été beaucoup aidée par un architecte qui avait participé au déploiement du logiciel de paie à l’APHP. Il nous a guidés dans la réalisation des tests statistiques et dans la préparation des soldes à blanc et des soldes en double. La solde (ou la paie), ça ne s’invente pas. La preuve, pendant la réalisation de Source Solde, l’ONP (office national de paie qui réalisait un logiciel unique pour gérer la paie de tous les fonctionnaires) a connu l’échec. Ce qui a aussi été un point très positif, c’est que l’armée de l’air et l’armée de terre ont envoyé des observateurs pour apprendre des difficultés de la marine, ce qui leur a permis de faire les ajustements indispensables aux échanges de données entre systèmes d’information et à la reprise des données dans Source Solde. Et là, beaucoup de temps a été regagné !

Happy end

Les meilleures choses ont une fin, j’ai quitté mes fonctions en mars 2018, sûre que la fin sera belle, et ai laissé à l’IGA Michel Sayegh le soin de conclure brillamment l’aventure. 

La Marine reçoit sa solde de Source Solde depuis 2019. 

L’armée de Terre la reçoit de même depuis 2020.

L’armée de l’Air et de l’Espace et le SSA également depuis 2021. 

 

Mission accomplie, Source Solde est un vrai succès opérationnel. La copie est probablement perfectible en termes de respect des coûts et délais, mais je rappelle qu’une erreur d’1 euro en trop sur chaque solde, c’est 3,6M€ par an !

 

 

 Caroline Gervais, IGA

Après un début dans des programmes aéro, elle rejoint la DRM dans le traitement du signal, puis la DSI de la DGA. Elle part ensuite au SGA diriger la mission des systèmes d’information d’administration et de gestion. A son retour, elle dirige l’UM HELI. Elle est ensuite nommée directrice du programme Source Solde. A ce jour, elle est chef du pôle stratégie, innovation transformation de la DMAé.

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