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La simplicité apparente du déroulé d’une séquence de combat collaboratif masque l’immense complexité de SCORPION : interconnecter des systèmes numériques et traiter leurs informations tout en les intégrant physiquement sur des plateformes avec un environn
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25 octobre 2022

LE NUMÉRIQUE AU CŒUR DE SCORPION
SORTIR DES SENTIERS BATTUS

« [SILENCE] » : extrait des ordres de manœuvre dans une section SCORPION.

Échec ? Fulgurante réussite au contraire : avec très peu d’échanges vocaux, la section s’élance pourtant.

Le combat collaboratif, un des aspects numériques porté par SCORPION, bouscule les habitudes. Si les nouveaux véhicules sont la vitrine de SCORPION, c’est bien le numérique qui apporte une révolution dans l’équipement de l’armée de Terre.

Cambouis et RJ45, soulevons le capot ! 


SCORPION(1) : un pionnier pour une ambition de rupture dans le combat terrestre et au-delà 

Les derniers mois ont été marqués par les premiers accomplissements concrets du combat collaboratif avec la fourniture des premiers services comme la géolocalisation amie (portée essentiellement par le système SICS) et les premiers essais de la protection collaborative.

Tout était à construire pour le combat collaboratif et que de chemin parcouru depuis le concept en 2014 ! Et que d’ajustements à faire avec la réalité du terrain pour poursuivre cette construction !

Derrière ce terme pudique d’« ajustements » se cache une variété passionnante de problèmes à résoudre et de constructions à faire évoluer sur une capacité où la France est en avance.

 

Tel un méta-projet numérique, le combat collaboratif infovalorisé, c’est :

-  collecter toutes les données des nombreux capteurs 

-  traiter ces données grâce au réseau de vétronique des véhicules

-  partager immédiatement ces informations

-  permettre de prendre immédiatement les bonnes décisions 

 

L’expérience gagnée par le développement du numérique au sens large et sa gestion dans le programme SCORPION permettra probablement d’éviter certains pièges liés à la gouvernance, le développement et la mise en service qui attendent des futurs systèmes de combat « système de systèmes » qu’ils soient aériens (SCAF), terrestres (MGCS et TITAN) ou navals.

Une coordination technique et managériale vertigineuse pour répondre aux nouveautés numériques et surpasser les habitudes des véhicules terrestres

SCORPION représente le produit final qui joue le rôle de juge de paix sur le fonctionnement des services numériques de bout-en-bout, incluant matériels et logiciels. Chacun des sous-systèmes a beau être validé, voire qualifié, avec ses interfaces, l’expérience montre que la chaîne fonctionnelle peut quand même dérailler. S’ensuit un travail de détective, reposant lui aussi sur d’autres outils numériques de diagnostic développés spécialement pour identifier le ou les sous-systèmes fautifs. Bon camarade, SCORPION permet ainsi aux autres projets numériques de se déverminer.

La complexité se poursuit par les discussions avec les industriels concernés, via les managers et les architectes ad hoc, pour partager les responsabilités et tâches tout en maintenant une synchronisation. Ce dernier élément est l’un des plus ardus en raison des tempos très différents selon le sous-système : rapide type SS2I pour le logiciel, plus mesuré pour la vétronique du système d’arme d’un véhiculier.

Derrière la simplicité apparente du premier cercle SCORPION pour le grand public, une constellation de programmes contributeurs, à commencer par de nombreux projets numériques et de communication comme la radio CONTACT ou le système d’information de l’artillerie ATLAS 

Sur le plan plus technique, le programme SCORPION est un défi quotidien passionnant. L’assemblage cohérent de la multitude de systèmes concourants aux capacités du combat collaboratif nécessite d’avoir une approche qui dépasse de loin la simple gestion d’interface classique entre deux systèmes. Il est nécessaire de comprendre le fonctionnement de chaque système et son emploi opérationnel afin d’identifier les exigences à lui appliquer pour garantir un bon fonctionnement du bout-en-bout. Cette approche offre une vision d’ensemble très vaste, palpitante mais exigeante. Les nécessaires échanges techniques avec des interlocuteurs investis dans leur système imposent de savoir vulgariser les sujets et de trouver les mots justes compris par tous.

L’introduction d’un tel niveau technologique et numérique amène à prendre en compte, dès la conception des systèmes et pour chaque système, des enjeux moins prégnants jusqu’alors dans le terrestre. Les risques de cybersécurité afin de protéger les Forces sur le visible comme sur l’invisible ; les facteurs humains ensuite pour ne pas surcharger opérateurs avec la quantité importante d’informations échangées. Le moyen innovant SISPEO de DGA-TT dédié à faire murir ces exigences ergonomiques et fonctionnelles démontre l’importance accordée à ces aspects humains.

En miroir de cette cohérence par les bouts-en-bout maitrisés par la DGA se trouve le besoin d’évaluations qui nécessitent d’aller bien plus loin que le périmètre de qualification de chacun des systèmes. 

Le programme a ainsi investi dans d’importants moyens au sein des centres techniques : plate-forme pour évaluer l’interopérabilité entre les différents SI et moyens radio à DGA MI ; laboratoire dédié au combat collaboratif et l’évaluation de ses bouts-en-bout au sein de DGA TT permettant de mettre en œuvre un nombre important de véhicules réels lors des évaluations. 

Des mentalités à faire évoluer et des atouts à conserver

 

Les défis de la transformation SCORPION de l’armée de Terre :

-  Ne pas oublier les savoir-faire « historiques » comme combattre dans un espace électromagnétique contesté ou dégradé.

-  Ne pas faire « comme d’habitude » et exploiter les nouvelles capacités 

 

Certains voient SCORPION comme un agrégat financier de plateformes roulantes emportant des charges utiles à l’image des précédentes générations de véhicules. Il n’en est rien, le tout visant à être supérieur à la somme des composants grâce au numérique. Ce cliché a malheureusement la vie dure, au sein de l’État comme parmi les industriels ce qui complexifie la mission. 

Les ressources contraintes des véhicules (capacité d’emport, bilan énergétique) obligent d’abord à une imbrication plus intime des systèmes qu’un simple interfaçage standard. Le système est ainsi sous maîtrise d’œuvre d’ensemble de la DGA alors qu’il implique des industriels différents parfois en concurrence. 

Ensuite, le numérique et la palette de services envisageable modifie les priorités historiques de l’Armée de Terre, non sans heurts selon l’arme, la formation (littéraire ou scientifique) et l’âge des interlocuteurs. Il est ainsi désormais question de nouveaux capteurs, d’architectures numériques frugales en masse, volume, énergie et données ; le tout devant être à un coût et un apport opérationnel cohérents du caractère vulnérable de véhicules en plusieurs milliers d’exemplaires et destinés au contact haute intensité. 

Enfin, tout cela n’a de sens qu’avec une vision d’ensemble, parfois qualifiée de « systèmes de système », qui ne peut pas reposer que sur des méthodes et des outils. C’est avant tout par des femmes et des hommes que la cohérence peut être assurée au sein des forces et de la DGA, à défaut de pouvoir s’appuyer sur un unique maître d’œuvre industriel qui jouerait ce rôle.

Point de vue manager

-  Le plus challengeant : synchroniser contractuellement l’architecture technique avec les autres managers et opérations pour avoir une couverture complète des responsabilités. Surpasser les conséquences concrètes inattendues des décisions passées.

-  Ce qui me plait le plus : le nombre et la variété des personnes et services à impliquer, synchroniser et coordonner.

-  Ce que je crains le plus : les replis sur soi dans les crises favorisant la reluctance de chacun à suivre la cadence d’un ensemble de programmes tiers.

 

 

Point de vue Architecte de cohérence technique

-  Le plus challengeant : comprendre l’apport de chaque système dans ce méta-système. Echanger avec un grand nombre d’architectes avec des métiers très différents. Réussir à vulgariser les sujets afin que ce grand monde se comprenne et que finalement les orientations techniques aillent dans le bon sens. Assurer un certain pragmatisme dans les orientations techniques et trouver des solutions à chaque problème technique du quotidien.

-  Ce qui me plait le plus : avoir une vraie vision d’ensemble des différents systèmes contribuant aux missions de l’Armée de Terre, assurer un vrai rôle d’architecte système et participer à la construction d’un grand système de Défense.

-  Ce que je crains le plus : ne pas réussir à éclipser la complexité d’un tel système de systèmes pour les opérationnels au risque d’amener un rejet de certaines fonctions.

 

Crainte et fascination : l’ambivalence de la conduite du numérique dans SCORPION

Le rejet ou la sous-utilisation par les forces du combat collaboratif et des services numériques SCORPION représente la principale angoisse. Un système trop compliqué à utiliser, inadapté au profil de utilisateurs ou trop verminé sont quelques facteurs d’échecs. La contremesure est toutefois connue et éprouvée : de bonnes ressources RH (en qualité et en quantité) pour comprendre et conduire le projet mais aussi former et accompagner les utilisateurs finaux. Sur la méthode - là aussi le numérique est source d’inspiration - une logique de MVP (Minimum Viable Product) suivie d’évolutions est recherchée pour toujours être en phase avec les besoins opérationnels et surtout leur RETEX. 

En regard, le défi que propose SCORPION en tant que projet numérique instille une motivation inégalée. En effet, sa complexité secoue l’ensemble des processus et des traditions établis ce qui nécessite une bonne conduite du changement au sein de la DGA, dans les Forces, chez les industriels et même les pays européens partenaires comme la Belgique. La multiplicité des acteurs aux priorités rarement toutes alignées impose d’ouvrir encore plus son esprit. Aller au-delà de son silo pour anticiper et traiter en amont les écarts avec les parties concernées sur tous les aspects (techniques, contractuels, financiers, etc.) devient une seconde nature. C’est ainsi SCORPION qui fait le liant de fait entre des programmes qui peuvent interférer techniquement une fois sur le véhicule mais qui n’ont aucune interface entre eux en tant qu’opérations d’armement, comme une radio et un brouilleur.

En bref, cohérence technique experte, synchronisation entre programmes disjoints, inscription dans l’avenir, transformation de l’Armée de Terre, avec le numérique, le SCORPION pique souvent mais on en pince pour lui ! %F%

1 : Synergie de COntact Renforcée par la Polyvalence et l’infovalorisatION

 

 

 Sylvain Paul, ICA

Diplômé de l’école Supélec, Sylvain a intégré la DGA en 2009 après avoir acquis 4 ans d’expérience au sein d’une PME ATEME en tant que développeur couches basses. Après 5 ans au sein de DGA TN, il a œuvré pour le programme SCORPION à partir de 2015 en travaillant en tant qu’architecte fonction sur SICS puis en devenant architecte de cohérence technique du programme en 2020.

 

 

 Sylvain Gérard, IA

Diplômé de Chimie ParisTech et en pyrotechnie (EOE Msc. de Cranfield University, UK), Sylvain rejoint la DGA en 2011 dans la dissuasion puis évolue en 2015 vers la non-prolifération balistique à l’UM NBC. Après une expérience interministérielle au SGDSN puis transverse avec les finances pour SYRACUSE à l’UM ESIO, il devient manager cohérence SCORPION à l’UM TER en 2021.

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