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La surveillance des opérations, un élément essentiel de la souveraineté.
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01 octobre 2016

NOTRE PORTE-AVIONS PARENT PAUVRE DE NOTRE SOUVERAINETÉ ?

Qu’est-ce donc que la souveraineté ? C’est un mot dérivé de souverain, du latin médiéval « superanus » (ne riez pas!), de « super », dessus, fin XIIe siècle, qui désigne la supériorité du pouvoir sur une zone géographique ou sur un groupe de peuples vivant en communauté. La définition retenue aujourd'hui en droit est celle énoncée par Louis Le Fur à la fin du XIXe siècle : « La souveraineté est la qualité de l'État de n'être obligé ou déterminé que par sa propre volonté, dans les limites du principe supérieur du droit, et conformément au but collectif qu'il est appelé à réaliser ».


Cette définition retient donc deux critères : l'État souverain n'agit que selon sa propre volonté, c'est le corollaire du droit à l'autodétermination (droit des peuples à disposer d'eux-mêmes) ; cette volonté ne peut se manifester qu'à l'intérieur des règles du droit international coutumier ou conventionnel, lequel comprend le droit produit par des organisations internationales à caractère universel (par ex., l'ONU et les institutions spécialisées) et régional (par ex., l'Union Européenne).

 

L’assistance mutuelle ? Hum…

En fait, la majorité des traités internationaux nous laissent in fine le droit de faire jouer une clause de sauvegarde de notre « souveraineté », et même le traité de Washington dont l’article 5 préserve entièrement la souveraineté de l’Etat. Certes, selon ce texte, « les Parties conviennent qu’une attaque armée contre l’une ou plusieurs d’entre elles survenant en Europe ou en Amérique du Nord sera considérée comme une attaque dirigée contre toutes les Parties », mais chacune d’elles prendra « individuellement et d’accord avec les autres Parties, telle action qu’elle jugera nécessaire, y compris l’emploi de la force armée pour rétablir et assurer la sécurité dans la région de l’Atlantique Nord ». Il n’y a par conséquent aucun engagement automatique d’assistance qui pourrait hypothéquer la souveraineté de l’Etat. La situation est différente à l’UEO où l’engagement résultant de l’article 5 est considéré comme automatique.

Bon, donc à part l’UEO, qui d’ailleurs ne fait pas beaucoup parler d’elle et qui a toujours eu un côté « ectoplasmique », on peut donc considérer que tous nos engagements internationaux nous laissent, en situation grave, le droit de rester dans nos baskets au nom de notre souveraineté. Aurait-on dû en user lors des derniers grands conflits ? Difficile à dire mais c’est vrai qu’il ne faut pas abuser du droit de ne rien faire au risque de ne plus être crédible !

 

Une dissuasion relativement souveraine

Revenons à l’exercice de notre souveraineté par les armes. On doit sans conteste dire que notre souveraineté est intacte pour la dissuasion nucléaire car toutes les technologies employées seraient bien nationales ; et même il ne serait pas patriotique de dire que ce ne serait pas le cas !

Et pourtant les technologies bien nationales empruntent parfois des matériels soumis aux règles ITAR, ou importés de pays qui ne sont amis que dans le monde tel qu’il est actuellement. Dans l’hypothèse d’une tension internationale extrême justifiant l’emploi, il n’est pas certain que cette souveraineté serait pérenne. Donc, soit on est dans le cadre connu d’alliances européennes et atlantiques et la totalité des performances assignées à la dissuasion est discutable, soit on se place dans un monde incertain, et alors le maintien de notre souveraineté est incertain. On l’a compris, la réponse à cette alternative est simple : une stratégie du nucléaire à long terme, et c’est bien ce qu’entretient le comité de l’énergie atomique, dont le DGA est explicitement membre depuis 2005.

Comment concilier cette dissuasion nucléaire nationale avec notre frénésie à vouloir une Union Européenne, y compris dans ses dimensions diplomatiques et de défense ? Certes le Brexit a refroidi quelque peu cette ardeur. En tout cas il n’y aura pas plus de concertation sur les forces nucléaires britanniques et françaises et leur rôle dans une défense européenne. La question n’est pas nouvelle mais on n’est pas prêt d’y répondre…

Quant à l’évolution de notre dissuasion, je me demande pourquoi on ne parle pas d’une version nucléaire de notre missile de croisière. Les Américains ont certes retiré du service leurs Tomahawk nucléaires en 2013 mais c’était dans le cadre des accords SALT.

Qu’il soit conventionnel ou nucléaire, le missile de croisière, est un outil de souveraineté qui me semble indéniable.

 

PA CdG, drones … pas si souverains que ça ?

Dès qu’il s’agit d’armements stratégiques, ou tout au moins qui contribuent sans conteste à notre démonstration de souveraineté, il est clair que nous devons nous efforcer de maîtriser les technologies de nos armements, mais on ne peut pas tout faire !

Sur le plan des armes conventionnelles, la question de la souveraineté peut parfois être sérieusement bousculée et de plus sur un armement qui est en lui seul un instrument majeur de souveraineté politique et militaire : notre porte-avions Charles de Gaulle.

Il utilise en effet une technologie américaine pour les équipements de catapultages et d’arrêts des avions. On dépend donc clairement des US pour la logistique de ces équipements. Et n’oublions pas que le porte-avions est aussi porteur de l’ASMPA… Mais quel scénario pourrait amener les Américains à nous couper l’approvisionnement des pièces de rechanges ? Contrairement à ce que vous pensez, ce n’est peut-être pas de la science-fiction ! On pourrait certes toujours « s’approprier » la technologie mais avec un coût et un délai faramineux… Pour nos prochains porte-avions en 2040 (je ne désespère pas qu’on en ait à nouveau deux), il faudra donc penser soit à conserver une technologie vapeur avec ces coûts faramineux soit à adopter la technologie de catapultage électromagnétique que les Américains installent sur leur nouvelle génération de porte-avions…

Encore une fois, le porte-avions Charles de Gaulle utilise des avions de guet aérien « Hawkeye » achetés aux US. Toutes les bombes larguées par nos Rafales depuis le PACDG sont-elles encore de fabrication française ?

Enfin alors que les Américains ont développé et déploient aujourd’hui leur drone X-B47 sur leurs porte-avions, nous développons le drone Neuron franco-britannique qui n’est pas encore au point pour être mis en œuvre sur un porte-avions. Il est fondamental qu’il le soit rapidement pour notre souveraineté.

Nul doute que nos brillants cerveaux ont identifié toutes les failles d’indépendance technologique qui pourrait obérer notre souveraineté. Mais je doute qu’un article de ce numéro les énumère… Quant aux débats sur l’opportunité d’armer les drones, par exemple le drone Male européen, je considère qu’il pourrait y avoir là atteinte à notre souveraineté et que des bien-pensants du Conseil Européen feraient mieux de plancher sur d’autres sujets… Et c’est ainsi que l’on vient d’acquérir quelques drones Reaper bien armés aux USA ! Pour qui a vu le film Good Kill, le Reaper est redoutable ! On pourrait d’ailleurs les faire tourner au-dessus de nos têtes en France lors des grandes manifestations pour repérer et neutraliser tout individu suspect, voire fiché S !

 

Faux arguments et risques cachés

Il y a un autre domaine où certains pourraient crier au scandale et à l’atteinte de notre souveraineté : celui des armes légères et de leurs munitions. Le prochain fusil de l’armée française ne sera pas français et cela fait déjà un bail que les munitions de ces fusils ne le sont plus ! Eh bien pas de panique : si aujourd’hui un « état islamique » banni par tous trouve encore le moyen de trouver des Kalachnikov et des munitions, je ne crois pas que la France aurait un jour du mal à se procurer armes légères et munitions ! Donc pas de risque pour notre souveraineté. CQFD ! La triste réalité est qu’on confond souveraineté et intérêts industriels catégoriels.

Le cas des véhicules mérite davantage de réflexion. Il me semble important de garder une capacité industrielle française de construction de véhicules, pas forcément de conception française mais de fabrication sur le territoire français, pour une simple raison qui pointe le nez : de plus en plus gavés d’informatique, ils risquent d’échapper à notre connaissance, voire à notre contrôle. Si la guerre électronique et la guerre informatique montent à bord, danger !

Il est clair que nous devons nous efforcer de maîtriser les technologies de nos armements, mais on ne peut pas tout faire Il y donc un juste compromis à trouver pour sauvegarder notre souveraineté mais à un prix raisonnable… Cela étant notre « souveraineté » permet aussi de vendre nos armements sans avoir à demander l’accord de qui que ce soit (quoique…) et de gros succès à l’exportation contribuent à financer notre base technologique « indépendante » sur l’essentiel.

En conclusion je dirai que nos efforts de « souveraineté » quant à notre principal outil de diplomatie et de défense, le porte-avions et son armement laissent encore une bonne marge de progrès !

 

 

Le porte-avions Charle De Gaulle en rade de Toulon.

 

    
Xavier Lebacq, IGA, Président de la SAS XavierLebacq Conseil
Xavier Lebacq a effectué une grande partie de sa carrière à la DGA dans une large palette de métiers, dont celui de directeur de programme du PA CDG. Après avoir supervisé les études du second porte-avions, avorté faute de budget et de coopération des Britanniques, il s’attela au démantèlement du Clémenceau puis de tous les matériels militaires avant de quitter l’administration en 2010.
 

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