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Tester soi même : il n’y a rien de mieux pour un ingénieur !
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31 janvier 2021

S’ÉQUIPER AUTREMENT
BESOINS SPÉCIAUX, STRUCTURES SPÉCIALES ?

Publié par Georges Henry | N° 122 - Les Forces Spéciales

Les forces spéciales ont choisi pour emblème une arbalète. Serait-ce un bon symbole du fameux « faire autrement » et des conséquences sur l’équipement ?


Pourquoi un macaron à arbalète sur l’uniforme des forces spéciales ?

En termes de portée et de létalité, l’arbalète a depuis longtemps été surclassée par le fusil. En termes de cadence de tir, elle ne s’est pas considérablement améliorée depuis Crécy, où l’armée française a appris à ses dépens que la haute technologie ne suffisait pas à compenser une infériorité tactique et organisationnelle. L’arbalète est plutôt moins robuste qu’une arme à feu. Sa maîtrise technique demande plutôt plus d’entraînement. Destinée à des usages extrêmement spécifiques, elle ne peut correspondre qu’à une micro-dotation, avec les innombrables inconvénients logistiques que cela entraîne. Mais elle a deux avantages considérables : sa masse et sa discrétion. Elle n’est pas meilleure, elle est autre. De ce point de vue-là, elle symbolise adéquatement l’équipement des forces spéciales.

Entre un type idéal et la réalité, il y a toujours plus que de la coupe aux lèvres. L’équipement des forces spéciales ne fait pas exception à la règle. Leur matériel n’est pas systématiquement différent de celui des forces conventionnelles, et ce pour deux raisons fondamentales.

La première raison est que l’on peut faire porter le «faire autrement» par la tactique plutôt que par l’équipement. Il est en effet parfois difficile de faire beaucoup mieux que le matériel en service dans les forces conventionnelles, généralement de très bon niveau. Les premières expressions de besoin, brutes de fonderie, sont souvent du type: « je veux plus léger, plus robuste, plus performant. Je veux mieux »... mais l’on se fait alors rapidement rattraper par les dures lois de la physique. Si l’on pouvait développer en quelques mois une paire de jumelles plus légères que celles en dotation et capables de voir un lapin à 10 km en dépit des vibrations de l’air, cela se saurait.

Le fusil d'assaut à tube court 

La portée et la létalité d’une arme à tube dépendent essentiellement de deux caractéristiques: le calibre et la longueur du canon. À calibre donné, plus le tube est long, plus longtemps la balle est poussée, plus elle sort vite, plus elle va loin et plus elle est létale. La longueur d’un fusil d’assaut standard correspond à un compromis qui permet à un tireur normalement entraîné de tuer un homme à 200 m. On peut aussi raccourcir le tube, pour limiter la masse et surtout l’encombrement. On obtient une arme plus maniable, plus légère, dont la précision n’est pas tellement dégradée (un bon tireur touche encore sa cible à 200 m), mais dont la létalité s’écroule. Peut-on sacrifier la portée et la létalité habituelles à un surcroît de maniabilité ? Plusieurs expérimentations ont été conduites. Elles ont conclu à la qualité du compromis standard, tout en conduisant à une micro-dotation en fusils courts.

 

La deuxième raison, tout aussi réelle,est que les forces spéciales ne disposent pas des moyens de faire développer sur mesure tout leur matériel. Cela exigerait des capacités de maîtrise d’ouvrage et des budgets sans commune mesure avec celles dont elles disposent.

Pour appréhender la réalité d’un « s’équiper autrement », on peut alors commencer par une typologie simple du matériel des forces spéciales. On doit d’abord citer un très petit nombre de plateformes dédiées, sur mesure, justiciables d’un vrai programme ; le Caracal en est le meilleur exemple, mais on peut aussi mentionner le VPS. On peut mentionner les grandes plateformes équipant aussi les forces conventionnelles, typiquement le C130 ou le Tigre ; ces plateformes existent parfois en un standard particulier, ou du moins demandent quelques adaptations pour tel ou tel type de missions – moyens spécifiques de communication, de renseignement voire de feu. On peut ensuite signaler les plateformes et équipements rares, généralement communs aux forces spéciales et à d’autres unités spécialisées ; ce peuvent être des Twin Otter, des équipements de parachutisme pointus qui équipent aussi certains groupes commandos de la 11e BP, des moyens de radio HF qui équipent certains régiments de transmission, ou des jumelles de vision nocturne (légèrement) en avance sur celles en place. On peut enfin signaler des moyens expérimentaux, qui ne conduisent pas toujours à des dotations authentiques, mais qui demeurent importants pour garder un temps de réflexion d’avance. Cela permet aux forces spéciales de demeurer un laboratoire opérationnel. À petite échelle mais en situation concrète, elles testent des produits ou concepts qui seront en service dix ans plus tard dans les forces conventionnelles.

Mais, qu’il s’agisse de programmes spécifiques ou d’adaptations de plateformes en service, le premier véritable enjeu est de ne pas rêver à ce qui n’est pas techniquement ou physiquement possible, et de déplacer les compromis habituels, notamment entre poids, encombrement et performance. Dit autrement, que suis-je prêt à sacrifier, au bénéfice de quelle priorité ? Le deuxième véritable enjeu est garantir la cohérence technico-capacitaire des forces spéciales, ce qui implique de prendre en compte, au-delà de l’acquisition, le soutien et la capacité d’entraînement avec un équipement supplémentaire.

Un portefeuille sobre de moyens polyvalents et généralistes, manipulés quotidiennement par tous ? Un large éventail de moyens plus spécialisés, et par conséquent moins facile à maîtriser ? Tout est affaire de compromis réfléchi. Celui qui convient au COS est nécessairement spécial.

 

Réflexions sur une structure alternative 

Les forces spéciales constituent une réponse rapide à l’imprévu. Elles peuvent intervenir sans préavis sur un nouveau théâtre dont il faut ouvrir la porte. Elles peuvent, sur un théâtre déjà ouvert, mener des actions fulgurantes et loin de leurs bases. Déformation professionnelle, elles aimeraient souvent que les opérations d’armement puissent être conduites à la vitesse des raids commandos. Ce n’est évidemment pas possible.

Il ne serait toutefois pas impossible de faire mieux que le cycle classique, qui suppose rédaction d’une fiche de caractéristiques militaires, transformation en spécification technique de besoin, mise en concurrence, passation d’un marché, qualification, mise en service opérationnel. L’expérience montre que l’on ne peut guère accélérer ce processus, une fois qu’il est lancé. On peut certes gagner quelque chose avec les procédures dites « Urgence Opérations », mais, outre qu’il est délicat de recourir à la notion d’urgence alors qu’on n’a rien fait pour être à l’heure, il s’agit moins d’accélérer telle ou telle affaire que de repenser un cycle adapté.

Cela intéresserait bien sûr les forces spéciales, mais aussi l’ensemble des forces. Une plaisanterie en vigueur voici quelques années voulait qu’il y ait deux centrales d’achat au ministère des armées, la DGA et le Commissariat. « La première se consacre aux satellites, aux sous-marins nucléaires et aux missiles balistiques. La seconde s’occupe des ramettes de papier et des gants de cérémonie. Mais, lorsque vous avez besoin de quelque chose entre les deux, il n’y a rien ni personne. » C’était évidemment une caricature venimeuse, mais qui renvoyait aussi à une réalité. Les « petites opérations » n’intéressent pas grand-monde, alors qu’elles peuvent améliorer l’efficacité du combattant dans des proportions très supérieures à leur coût.

L’idée avait été avancée de créer une structure d’acquisition dédiée à l’ensemble des petites opérations, sur le modèle d’une petite UM de la DGA. Cela avait fait l’objet de diverses fiches et échanges entre les états-majors (COS, mais aussi EMxx eux aussi intéressés) et la DGA. Un archéologue les retrouvera peut-être un jour, avec leurs commentaires en vert ou en rouge. Une telle structure aurait eu la capacité de signer des marchés pour compléter l’équipement des trois armées et évidemment les forces spéciales. Orientée vers les achats sur étagère ou quasi sur étagère, elle aurait été autorisée à appliquer le code de la commande publique avec la souplesse que savent conserver les autres ministères ou les collectivités territoriales. Elle aurait été habilitée à prononcer des qualifications. Il était affirmé qu’avec moins d’un centième du titre V, une telle structure pourrait résoudre les trois quarts des problèmes de la vie quotidienne. Un tel projet n’a pas vu le jour, mais, qui sait ? Ce pourrait être une idée encore pertinente.

 

 
Georges Henry
 

Georges Henry est ingénieur diplômé de l’ENSTA et ancien auditeur de l’IHEDN. Il a travaillé pendant plus de dix ans pour les forces spéciales, à la fois dans des cercles de réflexion, comme assistant à maître d’ouvrage et comme maître d’œuvre.

 

Auteur

Georges Henry

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