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Un largage de 50 parachutistes, réalisé trois fois : industriel, certification, facteurs humains
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17 mars 2021

A400M ET PARACHUTISTES
UNE SAGA À SURSAUTS

L’A400M est un programme en coopération Européenne lancée en 2003. Il a été initié avec un objectif de grande autonomie de l’industrie pour le développement, à la manière d’un programme commercial. Il n’a néanmoins pas échappé à son lot de polémiques, surcouts et retards. Maintenant que le programme est proche de livrer les résultats attendûs, revenons sur une saga qui illustre le besoin de forte coopération des équipes industrielles et étatiques : la certification du largage simultané de parachutistes.


La genèse

L’expression de besoin de 1995 pour l’avion de transport du futur, devenu A400M, prévoit que l’on puisse embarquer jusqu’à 116 passagers et que tous les passagers puissent être largués, via 2 portes latérales, avec ouverture automatique du parachute.

Le concept est assez simple : les parachutistes accrochent la sangle d’ouverture automatique (SOA) de leur parachute à un câble d’acier. Une fois la porte ouverte, lorsque la lumière passe au vert, les parachutistes sautent avec une cadence la plus élevée possible.

Néanmoins, passer d’un concept simple et éprouvé sur les anciennes générations d’avions s’est vite avéré très ardue à certifier.

2014 : premières déconvenues

L’A400M étant un avion moderne avec un très haut objectif de sécurité, toute capacité doit être certifiée. Airbus est maitre en la matière, fort d’une grande expérience dans le domaine civil avec l’EASA en particulier.
Des critères de sécurité sont donc définis conjointement entre Airbus et les autorités.

Airbus réalise ensuite un modèle numérique et constate, que si deux parachutistes sautent simultanément des deux cotés de l’avion, eux-mêmes ou leur parachute ont une probabilité significative de se rencontrer. Cet événement ayant été défini comme étant un événement catastrophique, nait donc le premier problème : comment faire pour permettre le saut simultané de deux parachutistes ?

En parallèle, sont réalisés les premiers sauts depuis l’A400M. La sortie de l’avion se passe plutôt bien mais second problème, on se rend compte qu’au-delà d’une trentaine de parachutistes, les sangles et sacs à voile s’accumulent de plus en plus vers le bas de la porte mettant en danger un parachutiste qui resterait accroché.

Seule une première capacité de 30 parachutistes par porte et un largage alterné est donc certifiée et livrée aux nations en attendant de trouver des solutions.

2015-2016: trouver des solutions

Pour le second problème, une réponse technique est rapidement trouvée par les équipes d’Airbus : un élément amovible au niveau de la porte parachutiste est développé. Une fois en place, il forcera les SOA et sac à voile, assez légers, à remonter vers le haut de la porte alors qu’un parachutiste sera naturellement poussé dans une position plus basse par la pesanteur. Il ne reste plus alors qu’à réaliser un prototype de cette « protection de porte étendue » et à mener les essais en larguant 58 parachutistes par une porte.

Jusqu’à 116 passagers susceptibles d’être largués par les deux portes latérales


Par contre trouver une solution pour permettre au parachutistes de sauter par les deux cotés s’avère plus ardu. De nombreux modèles numériques sont réalisés, toutes les configurations de volets, train, poussée différentielle ente moteurs sont envisagées. L’adjonction d’appendices aérodynamiques fixes ou mobile est imaginée, sans grand enthousiasme, il faut le dire.

On se penche finalement sur ce qui a été fait sur les autres avions. Quelques années auparavant, les américains ont certifié cette capacité sur C-17 après plusieurs milliers de sauts.

Puis finalement la bonne question est posée : est-ce que l’interférence entre deux parachutistes est si catastrophique que ça et quel est le niveau de risque sur les avions en service ? Depuis les années 50, une quantité phénoménale de sauts ont été réalisés depuis le C130 et on ne déplore à priori qu’un nombre minime d’accident liés à l’interférence entre 2 parachutistes. Il est donc décidé de comparer le niveau de risque encouru avec un A400M par rapport à celui encouru avec un C130.

Le C130H Belge est retenu pour mener les essais de référence planifiés en juillet 2017, à Toulouse.

« FINALEMENT LA BONNE QUESTION EST POSÉE »

2017-2018 : des essais à rebondissements

La campagne débute comme prévu. 1 vol : bien. 2 vols : avancement conforme. Puis panne du C130 et retour à Melsbroek. La campagne est à replanifier. Rendez-vous est pris pour l’automne.

L’été vient et là, accident sur l’ensemble de parachutage du combattant (EPC) : le parachute est interdit de vol. Il doit faire l’objet de modification avant de revoler. Mais qui dit modification dit recertification ... et 400 sauts à réaliser.

ACCIDENT : LE PARACHUTE EST INTERDIT DE VOL

Un accord gagnant-gagnant est donc trouvé avec Airbus : Airbus fournira un avion au profit de la certification de l’EPC mais en profitera pour mener à bien ses tests de la protection de porte étendue, identifier les configurations aéronef optimales pour ce type de largage et réaliser des enregistrements pour recaler ses modèles numériques.

Fin 2017, la nouvelle version d’EPC est certifiée mais tout reste à faire coté avion ...

Mars 2018, un C130 est enfin disponible. Malgré une panne de trajectographie en cours de campagne, les 320 sauts sont réalisés conformément aux attentes.

Dépouillement: le bus de l’avion a dysfonctionné pendant certains vols. Il manque les données de vent. Les différentes équipes seront donc remobilisées pour juillet !

Diagramme comparatif C-130 vs. A400M sur le risque d’interaction entre un parachutiste (corps uniquement) et un élément d’un autre parachutiste (corps, cône de suspension, parachute)

2019 : Le dénouement

Les données d’essais étant enfin suffisantes, Airbus peut s’attaquer à la modélisation numérique et la comparaison du niveau de risque encourus sur A400M et C130. Pour limiter les risques d’erreur, Airbus utilise 3 méthodes d’analyse :

- celle utilisée par QinetiQ pour C130 au Royaume-Uni, basée sur l’analyse des vidéos des trajectoires des parachutistes, permettant de caractériser et quantifier le phénomène de rapprochement vers l’axe de l’avion des parachutistes,
- celle utilisée pour le C17 permettant de comparer des niveaux de risques,
- une développée par Airbus permettant de mesurer les interactions.

Au bilan: c’est gagné, l’A400M dans une bonne partie de son domaine de largage n’est pas plus dangereux que le C130. Il ne reste plus qu’à mettre à jour la base de certification avec les autorités et la certification sera prononcée.

Pendant ce temps là, les premiers essais avec la protection de porte sont prometteurs mais le nombre de parachutistes à larguer par passage devient très vite problématique compte tenu de la distance de saut nécessaire. L’analyse d’un grand nombre de zones potentielles de sauts, de l’Ecosse à l’Espagne en passant par l’Afrique et les USA est réalisée pour finalement aboutir à un accord avec les autorités de certification, ce sera Ger-Azet avec 50 parachutistes, avec les conditions les plus favorables, le complément à 58 étant réalisé par analyse.

Un niveau de risque par comparaison avec ce que l’on connait...


Mais quand on aime, on ne compte pas donc l’essai sera réalisé 3 fois : essai industriel, essai de certification et facteurs humains ... toujours avec les mêmes intervenants.

L’ensemble de ces capacités a été certifié et qualifié début 2020 permettant leur livraison à l’été sur l’avion Luxembourgeois. La France a reçu son premier avion rétrofité de manière anticipée début novembre 2020 permettant aux armées de mener à bien les expérimentations. Les armées devraient pouvoir prononcer la mise en service de cette capacité tant attendue en 2021, une fois qu’un nombre d’avions suffisant disposera de cette capacité.

Si cette longue saga a finalement été un succès, c’est grâce au fait que ce travail a été réalisé conjointement. Au-delà du contrat, l’ensemble des parties se sont attachées à l’obtention du résultat attendu. Si l’industrie en est le pilote, ces succès s’appuient sur les compétences uniques des centres d’essais et en particulier, dans ce cas, DGA-TA, lui-même soutenu par la STAT (section technique de l’Armée de Terre) adossée aux unités parachutistes du sud ouest.

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