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Le Petit Duc AVE, prototype de drone furtif lancé en 1999 par Dassault Aviation. La signature radar est celle d’un moineau
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06 mars 2022

UNE CARRIERE DANS LES DRONES
INTERVIEW DE DAMIEN RABY

Damien Raby, X88, SUPAERO, Ecole de l’Air, a été ingénieur de marque Mirage 2000-5 export puis France au CEV d’Istres. Il rejoint Naval Group en 2002 comme chef de projet systèmes de combat Barracuda puis directeur de la R & D et de l’Innovation. Il est maintenant Directeur de la Business Unit Armes sous-marines.


La CAIA : Damien, tu es passé de pilote de chasse à expert en aéronefs sans pilotes, peux-tu nous raconter ton parcours ?

Damien Raby : Entré à la DGA par le Centre d’Essais en Vol, j’ai eu la chance de suivre la formation de pilote militaire. Bien que ce fut une expérience exaltante, je trouvai rapidement que quelque chose « clochait ». Être aux commandes d’un engin m’imposant des facteurs de charge susceptibles de causer mon évanouissement, être soumis pendant la mise en route, voire au roulage, à une température de 40°C en été et 10°C en hiver, ne pas avoir le droit de porter des lunettes, pouvoir difficilement manger et boire, sans parler du reste…, perdre 1 à 2 litres d’eau par heure de mission… Et tout cela en mobilisant égoïstement un volume de près d’1 m3 dans un avion où chaque litre est compté. Jusqu’à quel point étais-je réellement nécessaire à bord ? Dès cette époque (1995), je me dis que le progrès technologique ne mettrait pas longtemps à sortir l’homme du cockpit et que je faisais probablement partie des derniers « dinosaures » à se faire épingler deux ailes sur son uniforme d’apparat. 

Pour ce qui est de la vitesse de cette révolution, j’avoue que je me suis un peu trompé !

Pour autant, en 2000, en marge de mes autres attributions, je fus chargé d’instruire la demande d’une équipe de type « skunk works» de Dassault Aviation qui voulait faire voler son drone à réaction Petit Duc depuis la base d’essais d’Istres. Ce drone était le précurseur du démonstrateur nEUROn. Le but de Dassault Aviation était de profiter des moyens du Centre d’Essais en Vol pour explorer tout le potentiel de son drone, notamment en termes de rayon d’action et de manoeuvrabilité ; cela impliquait un survol inévitable de populations. 

Au fil de l’instruction de cette demande, en liaison avec la DGAC, et jusqu’au jour du 1er vol quelques mois plus tard, je pris davantage conscience de la transformation qu’allaient apporter les drones. Cette même année, Daniel Reydellet, qui dirigeait alors la Direction des Centres d’Expertise et d’Essais (DCE), décida de mettre en place des Responsables de Domaines d’Expertise (RDE). Je fus le 1er RDE « drones ». Je visitai, à ce titre, le GESMA, le GERBAM, le CEPR, le LRBA, le CEL et rencontrai les industriels français pionniers dans le domaine des drones de tous milieux, pour établir la première cartographie de la BITD associée.

Dix ans plus tard, en 2010, l’USAF achetait davantage de drones que d’aéronefs habités et pour l’Armée de l’Air Française il faudra encore attendre quelques années.

La CAIA : Tu as ensuite rejoint le milieu naval avec une mission clairement orientée « drones ». Quelles étaient tes convictions ? 

DR : En 2002 en effet, j’entre à Naval Group, à la Direction des Systèmes de Combat.

Pour découvrir l’entreprise et assurer une bonne transition entre le milieu que je quittais et celui que je découvrais, je fus chargé d’esquisser ce que les drones « organiques » (cf. article d’Eric Papin) pourraient apporter à la Marine Nationale et à ses partenaires s’ils étaient bien intégrés à leur porteur. Je rédigeai alors, avec l’aide d’un collègue de Lorient qui connaissait parfaitement le monde sous-marin, un ensemble de documents de différentes natures : concepts d’emploi des drones aériens et sous-marins, recommandations pour l’intégration physique et fonctionnelle de ceux-ci, proposition de feuille de route pour leur développement.

Peu de temps après, pour achever l’appropriation de mon nouveau milieu, et avant de prendre le poste de chef de projet du Système de Combat du SNA type Barracuda, j’eus la chance d’embarquer une dizaine de jours sur un SNA type Améthyste et d’être témoin d’une intense période d’entraînement de l’équipage qui m’accueillit. J’en ressortis avec un avis moins formel que celui que je formai sur les aéronefs. Toutefois, la rigueur de la vie de sous-marinier me convainquit que cette population de marins ne serait probablement pas en expansion au 21ème siècle et que des drones viendraient très rapidement les épauler pour les délivrer des missions les plus « dirty, dull and dangerous ».

 

Le D19 présenté par Naval Group sur le site d’Ollioules (Photo : Jean-Marc Tanguy)

La CAIA : « Très rapidement » peut être relatif en matière de programmes d’armement… Quels sont les changements dont tu as été témoin ou acteur ? 

DR : De nombreux petits pas ont été réalisés depuis vingt ans. 

Parmi ceux qui m’ont le plus marqué, je citerais d’abord le premier essai réussi, par une équipe varoise, de docking autonome d’un drone de forme torpille sur une station posée sur le fond, en 2008, à l’aide d’une combinaison de capteurs et émetteurs LASER et acoustiques, pour le positionnement et la communication. A la même époque, nos collègues de Lorient faisaient atterrir un drone aérien S100 de la société Schiebel sur la frégate Montcalm. Quelques années plus tard, en partenariat avec la société RTSys, avec une autre équipe, nous fîmes docker un petit drone sous-marin sur une station en mouvement. Et avec une autre encore, nous démontrâmes expérimentalement la possibilité de transférer de l’énergie par induction entre la station de docking et un drone. 

En 2017, une équipe tropézienne fit la démonstration de son dernier drone D19 devant plusieurs autorités de la DGA. La même année, il participa à une démonstration de mission multi-drones en rade de Toulon.

Et en 2021 enfin, le Démonstrateur de Drone sous-marin Océanique fit sa première sortie en mer, moins de 3 ans après le lancement du projet.

La CAIA : Qu’est-ce qui te pousse à avancer dans ce domaine et vers quoi allons-nous selon toi ? 

DR : Dans tous les postes que j’ai occupés jusqu’à ce jour, j’ai tenté de contribuer, à travers mes travaux d’ingénieur, mes arbitrages de manager ou simplement par un travail de conviction, à ce que la France tienne son rang dans le domaine naissant des drones de tous les milieux. J’ai souvent été trop optimiste sur la célérité de la transformation associée, mais celle-ci s’accomplit malgré tout et je suis convaincu qu’elle s’accélèrera encore. J’espère en être encore très souvent le témoin et l’acteur.

Dans le domaine des drones sous-marins, la parution récente de la réglementation permettant d’encadrer la navigation en autonomie supervisée des drones sous-marins est une opportunité qu’il ne faut pas négliger et qui va permettre d’amplifier la transformation. Le plan Mercator de la Marine Nationale, qui prévoit que tout navire soit équipé d’au moins un drone organique d’ici 2030, sera également, à n’en pas douter, un puissant moteur. 

 

 

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