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Patrouilleur El Bechir de la marine royale marocaine refondu par Raidco à Lorient
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01 octobre 2019

L’entretien des flottes militaires à l'export

Publié par Louis LE PIVAIN (1952) et Olivier Pillard | N° 119 - Le MCO

Une belle opportunité pour le tissu industriel français

 

Grands groupes et PME françaises cohabitent dans les activités de soutien des flottes étrangères qui utilisent des bateaux fournis par des chantiers français. Plutôt que de vivre des confrontations parfois destructrices, n’est-il pas préférable d’avoir des approches gagnant-gagnant, les PME se positionnant sur les marchés où les grands groupes ont du mal à être réactifs et compétitifs ?


La Marine a acquis la maîtrise du MCO des grands programmes d’armement. La maintenance comprend les pièces de rechange et le personnel technique. Ce besoin s’étend sur la longue durée de vie des bâtiments.

Les pays clients

Les attentes des clients - historiques ou nouveaux - sont très fortes, en termes de compétence, de qualité et de réactivité. Aujourd’hui plus qu’hier, ils ont des objectifs de maîtrise des coûts. S’ils remettent en cause les solutions logistiques qui leur sont imposées en début de programme, ils n’hésitent pas à faire appel à la concurrence.

De plus, possédant la propriété intellectuelle et industrielle des navires, les clients sont en droit de spécifier eux-mêmes leurs besoins logistiques, auprès de fournisseurs de leur choix, s’ils estiment trop prégnante la dépendance du constructeur. Ils savent organiser la logistique. Cette évolution s’est bien vue dans d’autres secteurs de l’industrie, par exemple l’automobile. Le marché commande ! En l’occurrence, le marché passe de vendeur à acheteur.

Nous avons bien connu ce phénomène, avec les sous-marins, lorsque lasse des insuffisances structurelles de l’industrie historique, la Marine a mis en place le Service de Soutien de la Flotte. Dès la fin des années 90, le SSF a créé les conditions d’une saine mise en concurrence. Cela a bousculé les pratiques, mais a contribué à la maîtrise des coûts. C’est dans ces années-là que la Marine a commencé à raisonner en « coût de possession » et non plus seulement en « coût d’achat ». Les marines étrangères suivent le même chemin.

Une offre française

L’offre de MCO est dispersée et perfectible. Ceci concerne la logistique des équipements et pièces de rechanges (Coque, machine, électricité et Systèmes d’armes). Parfois les acteurs français sont en concurrence entre eux. Une telle concurrence est contre-productive, voire dévastatrice, si le Client n’y trouve pas son intérêt. La déception vient du manque de qualité, du manque de réactivité, du manque de compétence, dans tous les cas de prix inappropriés.

C’est comme cela que l’export de l’EPR dans le Golfe, porté par deux industriels français de premier rang mondial, fut un échec cuisant et retentissant.

Ce vaste tissu industriel mérite de s’organiser pour mettre en place, en parallèle des ventes de navires, une offre logistique performante, crédible et rassurante pour le Client, donc durable.

Les grilles de prix doivent être raisonnables, dans un marché qui devient de plus en plus concurrentiel. Que les acteurs concernés bannissent les luttes fratricides qui font fuir le Client, qu’ils acceptent de s’asseoir autour de la même table, dans une alliance objective, fût-elle informelle, pour éviter de perdre les clients.

Une telle évolution sera d’autant plus aisée que ces acteurs français partagent la même culture, étant souvent frères d’armes dans le passé. Ils admettront qu’ils doivent agir pour leur intérêt commun, c’est-à-dire la survie d’un tissu industriel français prospère, à la dimension internationale.

Dans cette démarche, le soutien des institutions est une nécessité, compte tenu non seulement de la sensibilité du domaine, des enjeux des marchés d’export, mais aussi de l’importance de préserver la complémentarité des différents acteurs français.

Des exemples montrent que des solutions sont viables. Des marines amies ont fait réaliser du MCO en France, dans le chantier constructeur. Le Maroc a confié la refonte d’une série de 5 patrouilleurs construits en Espagne à Raidco Marine, PME lorientaise réputée au Maroc. Les autorités marocaines satisfaites ont alors découvert que des défauts de conception du constructeur espagnol ont été rectifiés par Raidco !

De même, pour 4 chasseurs de mines tripartites construits à Lorient puis livrés au Pakistan, la logistique est assurée par une PME quimpéroise, « Tripartite ». Cette PME spécialisée dans la recherche de pièces de rechanges pour bateaux, avions et hélicoptères, livre des pièces à des clients opérant encore des sous-marins Agosta. La raréfaction des pièces a conduit l’entreprise à se rapprocher d’industriels de la déconstruction, tels que Topp Decide, pour récupérer des composants dont les fabricants n’ont parfois même plus les plans ou ont disparu. Ainsi des tubes lance-torpilles de sous-marins français retirés du service pourront être réutilisés à bord de sous-marins livrés autrefois à des pays amis.

Enfin, pour les pièces atteintes d’obsolescence, la fabrication par impression 3D n’est-elle pas une solution à envisager ? Dans ce cas, des savoir-faire nouveaux seront agrégés au tissu industriel existant. Une filiale du groupe ECA se positionne avec succès sur ce créneau novateur.

Recyclage des équipements obsolètes

La filière de déconstruction et de recyclage de navires en fin de vie se met en place en France. Outre la valorisation des matières premières secondaires (acier et autres métaux) elle prévoit de valoriser les équipements et les pièces de rechanges récupérés sur des bâtiments désarmés en France. Le flux généré, certes faible en nombre, peut s’avérer très significatif pour les matériels obsolètes en France, mais encore en service dans les pays clients.

La synergie évidente entre ces deux secteurs de l’industrie - logistique d’un côté, recyclage de l’autre – est un axe concret qui a conduit TOPP DECIDE à se rapprocher des acteurs impliqués et disposant déjà d’un fort réseau de commercialisation des pièces de rechange. Le recyclage des bâtiments de la Marine française, comme des autres marines, devient en fait une ressource intéressant le MCO à l’export.

Cette synergie se concrétise tant dans le domaine aéronautique que dans celui du naval : il n’est pas rare, sur la Base de Châteaudun, spécialisée dans le démantèlement des aéronefs, de voir tel ou tel client étranger venir prélever des pièces des Jaguar ou Mirage.

Conclusion

L’industrie française de l’armement est active dans le domaine du MCO auprès de ses clients étrangers. Une large palette de possibilités s’offre aux marines amies et clientes de la France, avec une complémentarité des offres entre celles des grands industriels et celle des petits, plus souples, plus réactifs, moins chers et plus adaptés notamment pour trouver des solutions performantes pour les matériels anciens ou obsolètes.

Cette complémentarité est une richesse. Il appartient aux acteurs concernés, comme aux institutions, de la préserver et de la faire fructifier.

Auteurs

IGA, Vice-président du GICAN
Membre de l’Academie de marine
Président de Kermenez SAS
Conseiller du commerce extérieur de la France
De 1978 à 1989 a travaillé pour DCN à Lorient, en Arabie et au Canada. 1997/99 Directeur au SGDSN chargé de la coordination interministérielle de l’intelligence économique et du soutien à l’export Président de Raidco Marine de 2006 à 2018 Voir les 10 autres publications de l'auteur
Olivier Pillard

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