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La sauvegarde de nos navires passe par la qualité des soudures.
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01 octobre 2016

LA FILIÈRE NAVALE : AVANCER OU RENONCER ?

Le naval et plus largement l’économie maritime constituent une manne d’opportunités qui reste hélas insuffisamment exploitée.


Un potentiel de développement

La mer est le gisement de plus de 30 % des réserves mondiales de pétrole et de gaz mais aussi celui de minerais et de métaux rares indispensables au développement de technologies futures. Elle représente aussi un espace économique à part entière avec plus de la moitié de la population mondiale vivant à moins de 100 km des côtes, un volume d’activité supérieur à 1500 milliards d’euros par an (soit plus de 3 % du PIB mondial) ainsi que des perspectives de développement très importantes avec une projection d’activité en 2030 dépassant les 3 000 milliards de $ et 40 millions d’emplois à temps plein (OCDE 2016 – The Ocean Economy in 2030).

La France doit prendre toute sa place dans ce développement : elle dispose de la deuxième (après les Etats-Unis) zone exclusive économique (ZEE) mondiale avec une surface de plus de 11 millions de km2 et son économie maritime représente 70 milliards d'euros d'activité et 300 000 emplois. Mais elle dispose surtout d’une activité industrielle de construction navale au meilleur niveau mondial tant dans le domaine des navires civils que dans celui des navires militaires.

La France possède en effet avec DCNS l’une des seules entreprises du domaine naval militaire au monde maîtrisant l’ensemble des composantes de souveraineté navale, allant des navires de combat (corvettes, frégates, sous-marins d’attaque…) et de projection de puissance (porte-avions, bâtiments de transport…) jusqu’à la force de dissuasion nucléaire (SNLE - sous-marins nucléaires lanceurs d’engins) … et naturellement leur maintien en condition opérationnelle. DCNS intègre également une des plus importantes structures d’ingénierie temps réel au monde pour réaliser ses systèmes de combat dont la complexité excède dans un facteur 10 celle des avions militaires. Tant par sa taille que par la complétude de son périmètre et des technologies maîtrisées, DCNS est incontestablement un des leaders mondiaux du naval militaire.

 

Des besoins de compétences

Cette activité navale militaire constitue un formidable levier de dynamisation du secteur – illustré par les récents contrats exports obtenus – et de développement technologique : la compétition mondiale s’intensifiant, les méthodes industrielles doivent évoluer rapidement (pour réduire les coûts) et des solutions techniques / technologiques innovantes doivent être développées (pour augmenter les performances). Mais cela nécessite l’existence d’un potentiel humain capable de soutenir une véritable ambition de croissance du secteur, car, plus qu’aucune autre industrie, la construction navale militaire requiert des compétences rares, sophistiquées, qui doivent être acquises dans la durée (parfois plus de 10 années), au fil de l’expérience gagnée sur les différents projets.

Force est de constater, qu’à ce jour, il n’existe pas de réelle dynamique autour de ces « métiers du naval », pas plus que n’existe d’ailleurs une communauté soudée des grands acteurs pour développer une véritable « base industrielle et technologique navale ». En comparaison de la filière aéronautique – y compris de maintenance – le secteur naval fait figure de « parent pauvre » : les groupements professionnels (GICAN…) n'ont jamais réussi jusqu'à présent à relever le défi. Seules des initiatives volontaristes d'une ou plusieurs entreprises leader avec le soutien d’une ou plusieurs Régions permettraient de changer la donne.

 

Former pour développer

La dynamisation économique d'une région repose en grande partie sur l'existence d'unités de formations spécialisées dans un secteur industriel bénéficiant d’un environnement local favorable (entreprises, savoir-faire, environnement...) et qu'il s’agit de développer pour en faire un pôle d'excellence.

L'évolution qualitative des métiers navals est rapide et nécessite une coordination importante entre unités de formation et entreprises. Ce n’est pas le cas aujourd’hui : à titre d’exemple, pour les métiers de soudeur "naval", d'usineur "naval", d'électricien "naval", le développement de la robotisation, de la programmation et des automatismes nécessite de repenser les cursus … et donc de discuter avec une multitude d'organismes de formation répartis sur le territoire. L’absence d’approche structurée « filière navale » se traduit non seulement par une déperdition importante d’énergie et de moyens mais surtout par un déficit fort d’attractivité des jeunes vers le secteur naval et ses métiers.

L'offre de formation initiale est très limitée. L'absence de bac professionnel « construction navale » constitue un réel handicap car les formations initiales actuelles ne comportent pas d’enseignements sur la connaissance du milieu marin et de ses spécificités, sur l'environnement de travail dans les chantiers, sur les exigences spécifiques (sûreté nucléaire, sécurité plongée, pyrotechnie...), sur la mise en œuvre de matériaux avancés (alliages, aciers, composites) ou sur les processus de construction (technologies du navire, propulsion, systèmes embarqués...). Cet écart entre l'offre de formation et les besoins en qualifications des entreprises ne cesse de s'accroître et les entreprises y pallient en créant des « écoles dans l'atelier » et en organisant la transmission interne des savoirs (matelotage, tutorat au regard des volumes d'accueil d'alternants). Toutefois, cela devient plus délicat lorsqu’il s’agit d’acquérir des compétences normatives (qualifications/habilitations) complémentaires au cœur de métier (soudeur coque/chaudronnier, tuyauteur, mécanicien/appareilleur...) pour des activités particulières : même si plus de 50 CQPM existent, ils sont loin de répondre aux besoins et un investissement bien supérieur serait nécessaire de la part des organismes de formation.

Il en va de même pour la formation du management intermédiaire (responsable d'équipe, management technique…). En l'absence de parcours de formation et/ou professionnalisation organisé et certifié, le gréement des métiers de préparation du travail, de techniciens de méthodes industrielles … constituent une réelle fragilité pour les entreprises et la licence professionnelle construction navale (IUT de Lorient) ne saurait répondre, seule, aux besoins de la filière.

Le niveau « master 2 / ingénieur » souffre des mêmes maux même si des actions ont été engagées pour préserver dans la durée l’existence d’une communauté scientifique et technique navale. Un premier axe avait été tracé avec le rapprochement entre l’Ensta Paristech et l’Ensta Bretagne pour attirer les meilleurs ingénieurs vers les sciences navales dans le cadre d’un master à ambition Européenne (Université de Bretagne Ouest à Brest) et pour constituer l’embryon d’un « cluster » d’écoles d’ingénieurs parties prenantes de la filière navale. Cette initiative n’est pas allée à son terme et le recrutement s’effectue aujourd’hui auprès d’une dizaine d’écoles d’ingénieurs dont les enseignements fondamentaux correspondent aux attendus mais dont les contenus pédagogiques détaillés doivent être discutés en amont avec chaque école concernée (INPG, Supelec, Centrale...), tout particulièrement s’agissant des nouvelles activités / technologies (réalité virtuelle, réalité augmentée, cyber-sécurité navale…). Cela rend illusoire la constitution de communautés de compétences et d’expertises navales structurées et appuyées par des structures d’enseignement supérieur – université et écoles d’ingénieurs – à l’image de la filière aéronautique par exemple.

 

Construire le futur

Au quotidien, l’absence de tout socle cohérent – de l’ouvrier à l’ingénieur - de formation navale se traduit donc par une grande dispersion des savoir-faire, une déperdition de compétences et d'énergie au détriment de la constitution d’une base industrielle et de sous-traitance centrée autour du naval. L’expérience a montré qu’il était illusoire de compter sur les structures classiques de formation pour prendre l’initiative d’une telle démarche. C’est donc du côté des industriels et des conseils régionaux qu’il faut plutôt aller rechercher les volontés et l’énergie nécessaires pour bâtir un tel projet.

C'est d’ailleurs la démarche qu'a conduit Alain Rousset, Président de la Région Nouvelle Aquitaine, lorsqu'il a choisi de reprendre un des centres historiques de formation à la maintenance aéronautique de la DGA. Fort d'une certification européenne, de formateurs compétents et du soutien du ministère de La Défense, le centre de Latresne constitue l'exemple même d'une collaboration réussie entre l’Etat (DGA, EMAA, SIAé…), les entreprises (Dassault, Safran…), l’Education Nationale (Bac Pro), des écoles d’ingénieurs (Isaé…) et la Région. Le site de Latresne, à la fois centre de formations (du bac professionnel au master 2) et de conférences, est aujourd’hui devenu un pôle d’attractivité et de regroupement pour l’ensemble de la filière de maintenance aéronautique.

Pour le maritime, plusieurs régions pourraient s’inscrire dans une telle perspective : Bretagne, Pays de La Loire, Normandie, Nouvelle Aquitaine ou PACA, chacune dispose d'atouts spécifiques même si la Bretagne – avec ses grandes unités industrielles de conception et de réalisation DCNS, STX, Piriou... – possède toutefois des arguments forts.

Dès lors, pourrait-on envisager un centre dédié aux métiers du naval pensé sur le même modèle que celui de Latresne, regroupant dans un cadre ad-hoc toutes les initiatives engagées : bac pro, licence pro, master 2 ... avec un environnement favorisant l’accueil des industriels navals, de conférences … ?

Un tel centre pourrait accueillir les « apprentis du naval » et constituer un creuset pour la formation technique et les valeurs comportementales (culture navale). Il pourrait nouer des partenariats étroits avec les écoles d'ingénieurs dont le périmètre recoupe celui des besoins du secteur : architecture navale, systèmes complexes, informatique temps réel, nucléaire, télécommunications, recherche opérationnelle... Il pourrait enfin associer tous les industriels du secteur au titre d'une « charte des métiers navals » et les inscrire dans une démarche de compagnonnage faisant des nouvelles générations ainsi formées l’ossature d’une véritable filière navale.

Alors faut-il avancer ou renoncer ?

 

    
Alain Guillou, IGA, Directeur RH et Opérations de DCNS
Alain Guillou a débuté à DCN Lorient en 1984. Après divers emplois de responsabilité à la DGA, il rejoint le cabinet du ministre de la Défense comme conseiller social en 2004. Nommé DRH de la DGA en 2007, il est recruté, en 2011, comme DRH du groupe DCNS et parallèlement (2013) directeur de l’Excellence Opérationnelle puis directeur RH et Opérations (2015).
 

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