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Sous-marins FSP « Attack-class » australiens
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30 septembre 2020

SOUS-MARINS AUSTRALIENS : LE « CONTRAT DU SIÈCLE »

La « distance » avec l’Australie n’est pas seulement une question d’éloignement physique ou de décalage horaire. Ce sont également des différences d’environnement et de culture qu’il est important de savoir apprécier et reconnaître, en vue ce partenariat stratégique qui va nous lier pendant des décennies.


Le 25 avril 2016, jour de l’ANZAC (Australian and New Zealand Army Corps) Day (commémoration la plus importante en Australie en souvenir de l’engagement de la jeune nation à Galipoli en 1915 et Villers-Bretonneux en 1918), le Commonwealth of Australia (CoA) annonce que Naval Group (NG DCNS à l’époque), alors en compétition avec les Japonais – pourtant partis favoris – et les Allemands, est sélectionné sur la plateforme propulsée FSP (Future Submarine Program). L’empreinte française dans le domaine de la défense australienne existait certes déjà (hélicoptères Tigre et NH90, Thales Australia implanté depuis près de 10 ans, partage des mêmes enjeux stratégiques militaires en mer de Chine et dans le Pacifique,...), mais comment expliquer cette victoire sur ce contrat de 50 GAUD (un peu plus de 30 Md€) qui va lier l’Australie et la France sur plusieurs décennies ?

Le Barracuda, le nec le plus ultra de la compétition

C’est la première fois que la France coopère autour du sous-marin nucléaire d’attaque (SNA) Barracuda en vue de proposer une solution hybride (diésel et électrique) qui, selon le CoA, offre des performances inégalées (furtivité, endurance, projections...). L’enjeu est de fournir au CoA une future capacité sous-marine supérieure sur le plan régional.

Ce contrat comprend par ailleurs un transfert important de propriété intellectuelle, de savoir-faire et de technologie pour que les 12 sous-marins soient construits en Australie. Cela sous-entend que la conception actuellement en cours à Cherbourg sera à terme transférée en Australie, en particulier au sein de Naval Group Australia, filiale créée spécifiquement pour FSP et qui comprend à ce jour plus de 200 personnes principalement de nationalité australienne. L’engagement est de soutenir le CoA pour qu’il dispose d’une capacité souveraine apte à opérer et maintenir le système.

La capacité de la France à maintenir une industrie sous-marinière sur une très longue durée d’une part et à accompagner et qualifier des programmes complexes grâce à la DGA d’autre part a été un atout indéniable pour rassurer le CoA. Ce support de la DGA est inclus dans l’accord intergouvernemental sur FSP signé en le 20 décembre 2016 par le Premier Ministre australien et le ministre de la défense français, qui comprend également plusieurs articles (contrôle export, propriété intellectuelle, sécurité,...) nécessaires à encadrer ce partenariat stratégique.

Un peu moins de 50 personnes du ministère de la défense australien sont présentes depuis environ 3 ans à Cherbourg. De son côté,
la DGA a constitué une équipe de programme spécifique et a ouvert un poste à Canberra pour assurer le suivi étatique. Cette organisation est essentielle en vue d’apprécier à son juste niveau les fortes attentes de ce client et les enjeux du programme, et cela malgré la tyrannie de la distance entre l’Australie et la France, malheureusement renforcée dans le contexte actuel CoVID.

Savoir être à la hauteur des attentes

Le CoA aurait pu opter pour une acquisition sur étagère mais il a préféré retenir un partenaire pour développer sa propre capacité en Australie. Cette décision ambitieuse et courageuse se traduit légitimement par des exigences très fortes en termes de respect des coûts, délais et performances.

La réalisation d’un sous-marin est déjà un programme extrêmement complexe, sinon le plus complexe, mais la gestion des interfaces rend la tâche encore plus ardue. Alors que Naval Group a été sélectionné sur la plateforme propulsée, la réalisation du système de combat est confiée à Lockheed Martin Australia (en lien étroit avec Lockheeed Martin Corporation). Système de combat américain, équipe de programme australienne comprenant plusieurs personnes de nationalité américaine, relations privilégiées entre les USA et les Australiens (au titre des « five eyes »), l’empreinte américaine sur FSP mérite d’être soulignée, ce qui impose par ailleurs de savoir gérer le risque International Traffic in Arms Regulations (ITAR).

Signature, le 11 février 2019 à Canberra en présence de la ministre des Armées et de la DGA, de l’accord de partenariat stratégique qui énonce les principes de coopération entre le CoA et Naval Group

La responsabilité de l’intégration du système de combat dans la plateforme incombe donc au CoA. Alors que les équipes de programme DGA sont principalement composées d’ingénieurs, les équipes de Naval Group se trouvent en face d’une équipe de programme FSP conséquente (plus de 200 personnes pour la seule phase de définition) composée non seulement de techniciens mais également de nombreux commerciaux, juristes, etc. recourant à des méthodes de management anglo-saxonnes très axées sur les processus et sur les contrats. Une adaptation aux méthodes australiennes est donc nécessaire ; mais ce n’est pas suffisant, il convient également de comprendre l’environnement australien.

Le choc des cultures

Régulièrement auditionné par le parlement (senate estimates) et faisant l’objet d’enquêtes de l’Australian National Audit Office (leur « Cour des Comptes »), plusieurs données du programme sont publiques. Les journalistes ne se gênent pas pour utiliser toute information disponible dans le seul but de faire du buzz (ainsi un report de 5 semaines d’un jalon système, pourtant sans incidence sur les grands jalons du programme, va être repris par plusieurs journaux pendant plusieurs jours...). Cet environnement ultra médiatisé n’est pas de nature à favoriser la prise d’initiatives et à encourager les marges de manœuvre de la direction de programme. Elles sont pourtant nécessaires.

Alors que le processus de décision en matière d’équipement de défense en France est ministériel, toute décision sur le programme FSP relève en Australie du National Security Committee (leur « Conseil de défense »). Le poids du Premier Ministre et des ministres membres de ce comité, ainsi que leurs administrations afférentes, influe sur la ministre de la Défense australienne et son département. Le caractère ultra médiatisé du FSP pèse également sur l’échelon politique.

Choix du parti libéral en avril 2016, le Premier Ministre a reconfirmé son engagement sur FSP en juillet 2020 en soulignant que ce programme est « on track » et « on budget », ce qui est au passage remarquable dans le contexte actuel CoVID. L’opposition travailliste ne remet pas directement en cause le choix de Naval Group ; elle saura cependant utiliser tout événement sur FSP pour critiquer les capacités du gouvernement actuel à savoir gérer un programme de cette complexité, et cela à des seules fins politiques. Les prochaines élections fédérales (tous les 3 ans en Australie) se tiendront au plus tard en mai 2022.

Vers la consolidation de notre partenariat stratégique

Si FSP représente un driver indéniable, il est important de souligner que le partenariat avec la France s’inscrit dans une dimension plus large que ce programme :

-  alliances industrielles : initiatives dites des maritime connexion days avec des PME australiennes et françaises du domaine naval...,
-  formation : master « sous-marin » entre l’ENSTA Bretagne et l’Université d’Adélaïde..., recherche : annonce d’une unité mixte internationale entre le CNRS, Naval Group et les 3 universités d’Adélaïde... etc.

Dans ce contexte, les relations entre gouvernements sur FSP prennent alors tous leurs sens et en particulier les relations avec la DGA. Le rôle de cette dernière est subtil, car il ne s’agit pas de s’immiscer dans les relations contractuelles entre le CoA et Naval Group mais au contraire d’essayer de sortir de ce cadre en apportant notre soutien sur la base de notre retour d’expérience pour rassurer le CoA, ce qui sera de nature à aider Naval Group également. La consolidation de la confiance est un élément clé dans ce partenariat stratégique. 

 

   
Yannick Cailliez, IGA Conseiller spécial FSP auprès de l’ambassadeur en Australie
 
Après un début au Centre d’Etudes de Gramat (encore DGA), Yannick Cailliez a occupé plusieurs postes au sein des programmes (architecte charge utile M51, DP ASMPA, adjoint finances, DSM UAS et DP MALE, adjoint sous-chef plan-programmes à l’EMAA), avant d’assurer les fonctions de chef de cabinet du Délégué. Il est affecté sur FSP en mai 2017 sur Paris avant de rejoindre Canberra en septembre 2018. 
 

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