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Installation du comité d’éthique par la ministre des Armées Florence Parly en janvier 2020
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09 mars 2023

ARMEMENT ET ÉTHIQUE
QUELS ENJEUX ÉTHIQUES LIÉS À L’ÉMERGENCE DE NOUVELLES TECHNOLOGIES DE DÉFENSE ?

L’IGA Michel Gostiaux est membre du comité d’éthique de la défense depuis son installation en janvier 2020. Ce comité composé de 18 membres, issus du ministère des armées ou choisis en tant que personnalités qualifiées extérieures, est mandaté par le ministre des armées pour produire un avis sur des thématiques dont les enjeux liés à l’évolution du métier des armes ou à l’émergence de nouvelles technologies dans le domaine de la défense suscitent des questionnements éthiques et nécessitent un éclairage approprié.


La CAIA : En tant qu’ingénieur de l’armement, tu as exercé de multiples responsabilités au sein de la DGA. Quelle appréciation portes-tu sur la compatibilité entre armement et éthique ?

Michel Gostiaux : Comme l’a précisé la ministre des armées en janvier 2020, lorsqu’elle a installé le comité d’éthique de la défense : « l’éthique, c’est avant tout la science de la morale. C’est une réflexion continue sur les valeurs de l’existence, qui vise à guider nos actions pour qu’elles respectent nos valeurs. L’éthique est au fondement même de la raison d’être du militaire. C’est la boussole qui subsiste lorsque le droit disparaît. Le droit est son garde-corps et l’éthique est son garde-cœur. »

L’éthique se traduit, historiquement et culturellement, dans le domaine militaire, par un système de valeurs et de questionnements, qui constitue, pour les militaires eux-mêmes mais également pour nos concitoyens, un des marqueurs forts de l’identité militaire (cf. à cet égard le nouveau code d’honneur du soldat de l’armée de Terre daté de septembre 2020, avec ses 10 principes fondamentaux). L’éthique militaire est également ancrée dans l’état militaire - c’est à dire le régime juridique singulier qui commande le statut général des militaires et les obligations qui en résultent - ainsi que dans le cadre normatif de droit interne ou de droit international qui régit l’usage de la force par nos armées.

Pour moi, l’éthique dans le domaine de l’armement se rapporte aux principes moraux qui doivent régir l’action des personnels de la DGA et notamment des ingénieurs des corps de l’armement dans la conduite des programmes d’armement, celle des acteurs industriels dans la réalisation et le commerce des armes, ainsi que celle des militaires des forces, qui concentrent leur vigilance sur l’emploi des armes et le respect du droit des conflits armés.

Que retires-tu, à titre personnel et à titre professionnel, de ta participation en tant qu’IA au comité d’éthique de la défense ? Qu’y apportes-tu de spécifique en tant qu’IA ?

MG : Même si j’interviens intuitu personae au sein de ce comité, comme tous les autres membres, ma formation et mon expérience permettent je l’espère d’apporter un éclairage spécifique en termes de préparation de l’avenir, de pérennité capacitaire, de connaissance du milieu considéré.
Les échanges au sein du comité offrent l’intérêt de se confronter à d’autres angles de vue, moins présents dans notre activité professionnelle quotidienne, ainsi qu’aux acteurs de la société civile. Ils m’ont davantage sensibilisé aux enjeux éthiques opérationnels, à l’importance des règles d’engagement, morales et légales, ainsi qu’à la nécessité de préservation de l’autonomie d’appréciation et de décision des acteurs qui en découle.

Le comité a produit à ce jour un avis sur quatre thématiques particulières, assorti de recommandations. Quel impact ces recommandations ont-elles sur les orientations du ministère en matière d’innovation de défense, de prospective capacitaire ?

MG : Les avis formulés par le comité, qui permettent de cristalliser la réflexion à un moment donné, sont adressés au ministre qui peut décider de les faire étudier par ses grands subordonnés et de solliciter ainsi leurs réactions. Ces avis du comité peuvent être repris par le ministre lui-même (ce fut le cas pour l’avis sur l’intégration de l’autonomie sur les systèmes d’armes létaux) ou présentés à la communauté du ministère dans ses écoles ou lors de colloques.

Les recommandations du comité peuvent ainsi susciter des débats et alimenter la réflexion des acteurs en charge de définir ou préciser le cadre normatif considéré.
Le comité prend bien garde à ne pas brider la connaissance prospective capacitaire et la réflexion notamment sur les menaces. Il n’a cependant pas mandat pour s’assurer de la mise en œuvre des recommandations qu’il a émises.

Quel impact ces avis peuvent-ils avoir sur les programmes d’armement, voire sur l’industrie d’armement ?

MG : Nombre de ces recommandations ont un caractère assez concret ; elles participent en particulier à l’éthique de conception, avec l’objectif d’une maîtrise de la définition et de la qualification des systèmes, en y incluant une dimension de souveraineté (en conception, réalisation, entretien) s’il s’agit de fonctions critiques sur le plan éthique dont il est nécessaire de garantir la bonne tenue. Certaines d’entre elles ont trait à la maîtrise de la chaîne d’action, en visant à préserver l’autonomie de jugement et la responsabilisation de l’homme, l’ergonomie cognitive prenant alors toute son importance.

A titre d’exemple, l’avis sur l’environnement numérique des combattants mentionne comme axe d’effort la performance dans l’aide à la décision associée à la maîtrise par l’être humain et par le commandement en particulier, et préconise que la responsabilité humaine dans la conception, le déploiement et l’emploi d’outils numériques constitue un principe indérogeable. L’avis souligne notamment la nécessité d’évaluer systématiquement lors de la recherche, de la conception, du développement et de l’emploi de systèmes numériques, les effets sur la psychologie et les comportements humains.

Dans son avis porté sur l’intégration de l’autonomie sur les systèmes d’armes létaux, le comité recommande d’évaluer systématiquement, lors de la recherche, de la conception, du développement et de l’emploi de ces systèmes d’armes, les risques d’altération du contrôle humain et l’acceptabilité de l’affectation de l’usage de la force à la machine.

Les travaux du comité contribuent-ils à mieux faire accepter l’industrie de défense au plan national ?

MG : les avis produits par le comité procèdent de l’engagement global de la nation vis-à-vis de sa défense et permettent de facto un accompagnement éthique de l’industrie de défense nationale et une reconnaissance de l’importance de ces sujets par l’État français. Avec une dimension qui n’est pas seulement nationale, il y a également un enjeu d’accompagnement de l’action diplomatique de la France en Europe ou, par exemple, dans les forums des Nations Unies.

Tu diriges au sein de la DGA, l’UM NBC, une unité de management particulière. Comment apprécies-tu les problématiques d’éthique qui s’y rapportent ?

MG : En fait, ces responsabilités s’exercent dans un champ qui est déjà très balisé sur le plan de la réflexion éthique. Mon domaine d’action couvre globalement le contrôle des activités militaires du CEA, directement lié au domaine de la dissuasion nucléaire, avec ses enjeux spécifiques sur lesquels la littérature ne manque pas ; ainsi que la défense contre les menaces biologiques et chimiques, domaine caractérisé par des conventions internationales sur l’interdiction de telles armes, que la France a ratifiées respectivement en 1984 (CIABT) et en 1995 (CIAC).

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