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01 octobre 2018

GÉNOMIQUE ET BIG DATA
UNE RÉVOLUTION DE LA MÉDECINE À NOTRE PORTE

Pierre Tambourin, X66, chercheur au CNRS est l’un des fondateurs du pôle français de génomique. Il nous livre sa vision des apports à attendre de la médecine personnalisée génétique, en plein développement.


La CAIA : Pourquoi parle t-on autant de génomique actuellement ? 
Pierre Tambourin : Le génome est le système d’information du vivant, présent dans toutes les cellules des êtres vivants y compris bactéries et virus et la génomique est la science qui se propose de comprendre la structure, l’évolution et le fonctionnement des génomes, autrement dit le fonctionnement du vivant.

Le génome est formé d’ADN, un copolymère géant constitué de 4 sous-unités, dénommées bases ou nucléotides, dont l’ordre précis détermine l’information codée dans la cellule. La découverte de ce rôle essentiel de l’ADN n’est pas très ancienne. Elle date des années 1940 et l’élucidation de sa structure en double hélice de l’année 1953, date considérée comme l’une des plus importantes de l’histoire de la biologie et de la médecine et peut être de la science.

A côté des études innombrables portant sur les propriétés de cette molécule singulièrement complexe (réplication, transcription, régulation de sa lecture ou expression, traduction en protéines, rôle princeps dans l’hérédité et donc dans nombres de maladies dont les maladies génétiques rares), on se rendit très vite compte que les applications dérivées de l’utilisation des propriétés de l’ADN seraient très nombreuses en médecine et dans l’industrie.

C’est pourquoi dès le milieu des années 80, une réflexion se développa au niveau mondial sur le séquençage complet du génome humain. A l’époque, séquencer un morceau d’ADN de 104 bases (ou nucléotides), taille du génome de petits virus, représentait plusieurs

mois ou années de travail. Or le génome de l’homme comptabilise 3x109 éléments. Cette ambition paraissait totalement hors de portée des laboratoires. De là le programme international, Human Genome Project, qui répartit le travail entre quelques très gros laboratoires dans le monde et qui, à grand renfort de robots et une informatisation très sophistiquée des procédés et du stockage des résultats, permit de finir ce travail en un peu plus de 10 ans.! En 2003, cinquante ans après la découverte de sa structure, la molécule de l’ADN humain était quasi complètement connue. (seules quelques petites parties restaient à élucider). Coût total : 3 Mds $.

L’effervescence actuelle autour de la génomique tient à trois facteurs : L’effondrement du coût du

séquençage (1000 USD par génome complet) qui permet une large utilisation de ces méthodes et leur entrée dans la pratique hospitalière, bientôt quotidienne ;

l’accumulation de données sur le rôle de nombreux gènes dans toutes les maladies et dans les différences d’efficacité des médicaments, selon les individus ;

le développement de l’informatique sous toutes ses formes qui permet d’exploiter des bases de données gigantesques grâce aux méthodes du Big data et demain de l’IA

La CAIA : Quelles sont les initiatives en cours et les retombées attendues ?
PT : La lutte contre le cancer est le domaine où les efforts en génomique sont actuellement les plus intenses et les plus pertinents.

Une tumeur ou une leucémie est toujours le résultat de lésions au sein de l’ADN d’une cellule qui se sont accumulées au cours du temps, lésions provoquées par des substances chimiques, des agents physiques tels que rayons X ou Ultraviolet ou encore par certains virus ou bactéries.

Depuis que l’on observe des tumeurs au microscope pour en identifier la nature, les médecins se posent la question redoutable suivante : pourquoi deux tumeurs qui semblent identiques au microscope donc composées de cellules apparemment identiques répondent elles si différemment à un médicament ? Pourquoi encore autant d’échecs à côté de succès, imprévisibles le plus souvent. Pourquoi certains types de cancers sont assez simples à traiter et guérissent dans 80 à 95 % des cas, pourquoi d’autres sont-ils si réfractaires a nos traitements ? Comment passer dans ces cas d’un taux de guérison typiquement de 30-50% ou moins à 80-95%.

Nombreuses sont les raisons qui participent à ces différences comme le caractère précoce ou non de la détection de la tumeur, son tissu d’origine, etc. Mais l’une des raisons

« CIBLER LES MÉDICAMENTS EN CONNAISSANT LES LÉSIONS DE L’ADN DES TUMEURS CANCÉREUSES »

principales tient à la présence de lésions différentes dans l’ADN de chaque tumeur. Connaitre ces lésions pour chaque tumeur constitue donc une information essentielle pour le médecin d’autant que des médicaments agissent sur certaines lésions et pas sur d’autres. A une combinatoire de lésions correspondra, à terme, une combinatoire de médicaments.

Il devient donc indispensable de caractériser les très nombreuses mutations et altérations du génome dans son ensemble (de quelques unes à des milliers) si l’on veut être efficace et en plus éviter des traitements lourds totalement inutiles. En résumé, il faut séquencer le génome des cellules de la tumeur, comparer cette séquence à celle des cellules normales du patient, identifier les anomalies puis choisir les bons médicaments, quand ils existent. Malheureusement, en effet, face à plusieurs centaines de mutations possibles nous ne disposons aujourd’hui que d’un peu plus d’une trentaine de médicaments dits ciblés. Ce nombre augmentera rapidement dans les années qui sont devant nous tant cette approche nouvelle nous parait devoir s’imposer.

Cette démarche, rendue possible du fait de la diminution des coûts du séquençage, est à l’origine de ce que l’on appelle la médecine personnalisée génétique ou génomique que l’on peut définir comme suit : la médecine personnalisée vise à définir le bon médicament, la bonne dose, le bon moment de la prise en fonction des caractéristiques biologiques, dans notre cas génomiques de chaque individu, associées dans le cas des cancers au génome de la tumeur.

Dans le cas des maladies rares d’origine génétique, cette analyse constitue l’élément essentiel du diagnostic et de la thérapeutique quand elle existe. Elle permettra d’éviter également ce qu’on appelle l’errance diagnostique, qui peut

durer jusqu’a 5 ans ou plus. Dans le cas du diabète, par exemple, la médecine personnalisée cherchera à adapter les prises d’insuline et les doses pour chaque patient.

Cette démarche contribue aussi à la médecine dite de précision qui se propose de combiner données génétiques, données biologiques, imagerie, bibliographie, etc, afin d’approfondir nos connaissances des maladies. Grace à un suivi tout au long de la vie, une nouvelle forme de médecine prédictive pourra parfois déceler les problèmes bien avant les premiers symptômes, et les prévenir. La puissance statistique d’un grand nombre d’échantillons provenant d’individus malades ou non, permettra de découvrir et valider plus vite de nouveaux traitements.

Dans cette optique, il faudra, cela va de soi, garantir un bon équilibre entre innovation, total respect des règles éthiques et juridiques, et efficacité économique.

Autant d’enjeux portés par le plan génomique 2025 (encadré ci-dessous).

Pour revenir au cancer, première cible, avec les maladies rares, du plan, la comparaison des données individuelles avec des « signatures » répertoriées permet déjà, et permettra de mieux en mieux : d’évaluer les prédispositions de

l’individu sain (et lui proposer des

solutions visant à la réduire) ;
de diagnostiquer le cancer à un stade très précoce (levier crucial

pour réduire la mortalité) ;
d’élaborer la meilleure stratégie de traitement en fonction des médicaments disponibles (notamment chirurgie et drogues1), en exploitant notre connaissance (très incomplète) des interactions entre les drogues administrées,

la tumeur et l’organisme ;

Par agrégation de données individuelles et retour d’expérience, on pourra plus facilement cerner les sous-types de cancers, développer puis certifier de nouvelles drogues, et valider des signatures.

La CAIA : Quelles sont à tes yeux les principales difficultés ? PT : Je vois plusieurs défis de taille. Beaucoup concernent les projets de numérisation d’envergure, d’autres tiennent à la complexité de l’organisation médicale et à l’interaction forte nécessaire entre recherche et applications.

 

Comme dans tout projet de numérisation d’envergure, il faut réorganiser le travail si l’on veut bien exploiter l’information. Au-delà de la nécessaire revue des rôles et des responsabilités que cela suppose, il faudra réasseoir le socle de gouvernance des données. Le plus tôt sera le mieux compte tenu de l’importance de faire les bons choix et de la diversité des enjeux. Il en va de la maîtrise de la dépense, de notre santé et de notre qualité de vie et de la marge d’autonomie nationale.

Les questions essentielles de stockage, structuration, qualité et partage des données sont cruciales. Le fait que la France soit passée pendant 25 ans à côté du projet de Dossier Médical Partagé, là où d’autres pays ont réussi (Europe du nord, Estonie par exemple), n’est pas du tout irrémédiable parce que la problématique de maîtrise du Big Data se pose partout. Simplement, cette fois il ne faudra surtout pas louper le coche. La relative homogénéité de notre système de santé, structuré autour du socle solide de la CNAM, pourrait être un avantage comparatif important. D’autres pays que la France privilégient une approche mutualisée de la collecte et l’analyse de données : les pays nordiques, où la centralisation est culturellement bien acceptée, le Royaume-Uni, probablement aussi la Chine. Cette approche présente un grand intérêt en termes de puissance et de sécurité. Mais elle se heurte aux questions du respect de l’individu, très prégnantes en France.

Les problématiques d’interprétation et exploitation des données sont également très lourdes. La notion de signature (ou pattern), qui permettra de dépasser les kits de tests actuels, appelle au

renouvellement complet de l’arsenal mathématique et informatique actuel. Le principal défi est celui de la formation des spécialistes de santé, pour qu’ils puissent travailler efficacement avec ceux de l’intelligence artificielle et du big data. Heureusement, le rapport Villani rend bien compte de ce défi. Le Génopole développe une coopération forte avec le pôle Teratec.

Le plan France-médecine génomique 2025 permettra, je l’espère,

de regrouper les forces, les ressources et les compétences dans ces domaines, qui sont importantes en France, pour la propulser comme l’un des leader mondiaux. Toutefois, comment ne pas regretter l’absence d’acteurs européens tels que les américains Illumina, Agilent, Amazon Santé ou google Santé, ou le chinois BGI, qui emploie 7000 personnes ?

Propos recueillis par Frédéric Tatout, ICA

 

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