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La fameuse « maison des examens » d’Arcueil.
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01 octobre 2016

COMMENT J’AI ÉTÉ RECALÉ AU CAPES DE MATHS
DESCARTES, ARAGO, OÙ ÊTES-VOUS ?

Jusqu’alors, je considérais l’Education Nationale comme une institution fatiguée, parfois coupée des réalités. Depuis mon aventure au CAPES 2015, je sais que c’est beaucoup plus grave et mon indifférence désabusée s’est muée en franche inquiétude pour l’avenir de mes petits-enfants et de mon pays.


Tout a commencé par un pari. J’étais chez un éditeur pour réfléchir à la numérisation des manuels scolaires. Après deux ou trois séances de mathématiques amusantes avec mes collègues, ceux-ci lâchèrent la phrase fatidique « tu devrais faire prof ». Et une chose en entraînant une autre, je finis par accepter le défi de présenter le CAPES de mathématiques. N’ayant pas passé d’épreuve de math depuis l’X, impressionné par le niveau affiché du concours (bac +5 quand même) et soucieux de ne pas me ridiculiser complètement, je fis deux annales et en tirais la conclusion que l’écrit devait être jouable.

Je me retrouvai donc un beau matin de juin au septième étage de la maison des examens. Si la force des grandes Administrations est de résister au temps, la maison des examens est d’une force peu commune. Je n’ai remarqué aucun changement notable depuis la lointaine époque de mes concours. Dès l’entrée, le ton est donné : le candidat est un assujetti. Pour monter au septième étage, escalier obligatoire. L’ascenseur est réservé à « Mesdames et Messieurs les Surveillants » (sic).

Première impression, la carrière de prof de maths n’attire visiblement pas les foules. Le CAPES d’histoire qui se passait en même temps, monopolisait la moitié de l’immeuble. Pour les matheux, deux plateaux seulement et encore à moitié vides.

J’ai retrouvé ce picotement qui précède l’ouverture des sujets. J’avoue en revanche ne pas avoir été impressionné par leur difficulté. Les concours des écoles d’ingénieurs étaient plus durs. Quoiqu’il en soit, vu mon faible niveau de préparation, j’ai répondu à la moitié des questions. Le lendemain nous étions nettement moins nombreux. L’épreuve était donc visiblement plus difficile que je ne l’avais pensé !

Un mois plus tard, les résultats arrivèrent et c’est là que je pris conscience de l’ampleur du problème : la barre d’admissibilité avait été fixée à 5,7/20. Autrement dit, pour recruter ses professeurs de mathématiques, l’Education Nationale déclare admissibles des candidats dont le niveau mathématique à bac + 5 aurait été jugé faible à mon époque. Le rapport du concours le reconnaît d’ailleurs, qui explique que « 17 % ont su mettre en place et rédiger correctement un raisonnement par l’absurde » et « 14 % de candidats ont rédigé correctement au moins un raisonnement par récurrence » et en conclusion que « La réussite aux épreuves écrites nécessite [de] maîtriser et énoncer avec précision, lorsqu’elles sont utilisées, les connaissances mathématiques de base ». Fermez le ban !

 

Comment savoir si la droite est tangente à la courbe ?
Réponse : utilisez le zoom !

 

Je dois reconnaitre que ma note (18) a boosté mon orgueil, même si je la considère comme parfaitement scandaleuse compte tenu du peu de travail que j’avais fourni pour préparer l’écrit. J’étais donc admissible et convoqué pour la fin juin à Lille. Vu mon avance à l’admissibilité, je n’ai pas vraiment préparé l’oral. Mal m’en a pris.

Le premier incident qui m’a ramené à la réalité de l’EN fut la rencontre des autres candidats. J’ai rencontré des jeunes motivés, pas particulièrement matheux, mais spécialistes des arcanes de l’Administration et incollables sur le jargon pédagogique. Ils avaient clairement été préparés à passer l’épreuve en racontant ce que le jury voulait entendre et visiblement, pour ceux qui les avaient préparés, le niveau de math n’était pas le point majeur.

La première planche est arrivée et on nous a fait mettre en rang (Le CAPES est vraiment le rêve pour les surveillants). Quatre heures à préparer un cours sans accès à Internet. On se demande vraiment pourquoi le Ministère considère qu’un bon professeur doit s’interdire de consulter Internet pour préparer son cours ! La planche s’est déroulée sans incident majeur sauf un : à un moment donné j’ai utilisé le symbole ==> pour enchaîner les étapes du raisonnement et me suis fait vertement rabrouer. Les élèves de première n’ont jamais vu l’implication. Sans commentaire…

La situation s’est gâtée à la deuxième planche. Il s’agissait de corriger un exercice dont voici l’énoncé : « Un élève trace une fonction et une droite sur sa calculatrice. Il semble que la droite est tangente à la courbe. Est-ce vrai ? » J’ai entamé un raisonnement pour montrer que la courbe n’était pas tangente. Le jury n’a visiblement pas apprécié l’Analyse et Synthèse en première S et un des examinateurs m’a dit en substance : « Pourquoi n’avez-vous pas simplement utilisé la fonction zoom de la calculatrice ? ». Je dois avouer que n’ai pas vraiment bien réagi. J’ai eu zéro à l’épreuve, ce qui est éliminatoire (avec 1/20 j’étais admis) et le rapport du concours met en garde « certains candidats contre l’arrogance ».

L’Institution est donc sauve et le dangereux idéaliste que je suis ne perturbera pas nos collèges et lycées. Tout ceci ne serait qu’une amusante anecdote sur les illusions que nourrissent sur eux-mêmes certains X sur le retour si cela ne concernait que moi. Mais la conclusion qui ressort de mon aventure est que l’Education Nationale refuse tout ce qui est raisonnement au point de transformer un cours de maths de première S en une leçon de choses et une collection de recettes. Ce constat ne concerne pas que les maths, le français est touché avec l’abandon de la grammaire, et la physique aussi évite soigneusement les domaines qui, comme la mécanique, nécessitent une mise en équation. L’utilisation du monde extérieur est inconcevable et l’Internet est inutile.

Les esprits forts qui osent proposer d’utiliser son cerveau, de poser des devoirs à la maison, de faire un travail de recherche ouverte, voire simplement de démontrer les résultats du cours, ne sont pas dans la norme. Résultat : mon fils a parfois considéré ses profs comme une source d’information parmi d’autres, au même titre qu’Arte ou Wikipedia et je commence à comprendre pourquoi.

 

Arrêté du 2 novembre 2015 fixant les modalités d’organisation des concours du certificat d’aptitude au professorat de l’enseignement du second degré

B2 Epreuve sur dossier

[…] L’entretien permet aussi d’évaluer la capacité du candidat à prendre en compte les acquis et les besoins des élèves, à se représenter la diversité des conditions d’exercice de son métier futur, à en connaître de façon réfléchie le contexte dans ses différentes dimensions (classe, équipe éducative, établissement, institution scolaire, société) et les valeurs qui le portent, dont celles de la République. …… 0/20 !

 

Je racontais cette histoire à des camarades qui travaillent dans l’enseignement privé et l’un d’entre eux me disait qu’aujourd’hui, être sous contrat n’est plus un argument « vendeur » pour un établissement privé. Les parents eux-mêmes semblent s’interroger.

Ceci me pose deux problèmes : le premier est que, si cela continue, nous ne formerons plus (ou plus assez) les ingénieurs compétents qui font la force de notre économie. Le second est que cela mine les fondements mêmes de notre système méritocratique républicain. A l’exception notable des fils de profs, aujourd’hui, pour avoir un diplôme prestigieux, l’épaisseur du portefeuille familial devient aussi, voire plus, importante que la valeur scolaire. Ce n’est pas une bonne nouvelle, surtout quand on pense que l’éducation a toujours été considérée comme le principal moteur de l’ascenseur social.

L’Ecole n’est plus un sujet de société et aucun homme politique n’en fait un point majeur de son programme. Les citoyens ne lui demandent souvent plus que de garder leurs enfants pendant qu’ils travaillent et personne ne semble plus attendre grand-chose de notre système éducatif. Il est peut-être temps que cela change. N’oublions pas que la connaissance est une forme d’information et donc que l’école est un media. Le succès des MOOC et autres auto-formations devrait inquiéter nos profs. La presse aussi se croyait à l’abri.

 

    
Philippe Gendreau, IPA, Délégué adjoint sécurité au GICAT
Après une carrière à la DGA, Philippe Gendreau a rejoint Rockwell et Thalès. En 1996, analyste financier, il a suivi les secteurs des Télécoms, de l’Informatique et des medias. Depuis 2009, il a été consultant indépendant spécialisé dans les problématiques de passage au numérique et d’économie digitale, avant de devenir Délégué adjoint à la sécurité au GICAT.
 

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