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CSO-1 satellite héliosynchrone orbitant entre 480 et 800 km d'altitude
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01 juin 2019

CSO-1 : CHRONIQUE D’UN LANCEMENT

Publié par Jean-Baptiste PAING (1983) et Cyril CASSERA, IETA | N° 118 - Le Spatial

Dans le monde du spatial, un lancement constitue toujours un événement particulier. Sans doute parce qu’il concentre en quelques minutes le pouvoir de consacrer, ou au contraire de réduire à néant, de multiples années de labeur, et qu’il dramatise ainsi la dure réalité du spatial selon laquelle la frontière entre le succès et l’échec est souvent très ténue. 

Peut-être aussi parce qu’il prend place à Kourou, dans une contrée lointaine de l’hexagone, dont le décor tropical fait oublier le quotidien métropolitain, et donne le sentiment d’une parenthèse hors du temps. Probablement enfin parce qu’il reste un événement rare, et que cette exceptionnalité possède le don d’exalter les sentiments et de créer une atmosphère singulière, savant mélange d’enthousiasme et de solennité.


Le lancement de CSO-1 n’a pas échappé à l’ensemble de ces ingrédients. D’une part, parce que le chemin pour y arriver n’a pas été simple, parsemé d’embûches techniques qui ont généré beaucoup de tensions au fil du projet eu égard à la dérive calendaire qu’elles ont engendrée, même si, avec le recul, cela constitue certainement le prix à payer pour obtenir un objet à l’état de l’art, facteur d’une supériorité technologique indissociable d’un avantage opérationnel. D’autre part, parce que ce lancement a amorcé un cycle de renouvellement rapide de l’ensemble des capacités spatiales de la Défense – cinq autres lancements (CSO-2, CSO-3, Ceres, Syracuse IV A, Syracuse IV B) sont prévus au cours des quatre prochaines années – dans un contexte de fort dynamisme politique autour de l’Espace à la suite de la volonté exprimée par le président de la République à l’été 2018 de bâtir une stratégie spatiale de Défense. C’est d’ailleurs ce contexte qui a justifié la mise en place d’une communication forte à l’occasion du lancement de CSO-1. Le principe même de cette communication a fait l’objet de débats, car elle est par essence risquée : le succès d’un lancement n’est jamais garanti, et il suffit d’effectuer une recherche Internet rapide pour se persuader de la cruauté de la mémoire numérique en la matière. Néanmoins, la prise de risque l’a emporté sur la pusillanimité, et c’est donc un dispositif complet qui a été mis en place : voyage de presse à Kourou avec une délégation d’environ quatre-vingts personnes, retransmission en direct du lancement à l’Ecole Militaire et sur Internet ... toute une organisation qui a nécessité plusieurs mois de travail, pour au final ne pas forcément se dérouler totalement conformément au plan établi. C’est dans les coulisses de l’événement que nous allons vous emmener dans la suite de cet article. Morceaux choisis, relatés par Jean-Baptiste Paing depuis Kourou et Cyril Cassera depuis Toulouse.

Dimanche 16 décembre 2018 : Séquence RG4

C.C. La quatrième Répétition Générale représente l’ultime entraînement au lancement pour l’ensemble des entités impliquées et permet de réunir toutes les équipes opérationnelles en conditions représentatives deux jours avant le tir. Son but principal est de dérouler la phase de chronologie négative (i.e. l’ensemble des activités en amont du lancement), ainsi que le lancement lui-même, alors que le satellite est déjà confortablement installé sous la coiffe du lanceur Soyouz, et que ce dernier est sur le pas de tir, prêt à prendre son envol. Pour CSO-1, cet essai ne fut pas de tout repos. Lors de la chronologie négative, les équipes thermiques remontent une alarme au niveau d’une ligne de réchauffement d’un composant, qui ne parvient pas à atteindre la consigne de température demandée. Une alerte majeure, de celles qui peuvent sérieusement remettre en cause le lancement. Il est 20 h, j’en alerte le directeur de programme.

le satellite est arrimé sous la coiffe du lanceur Soyouz, sur le pas de tir de Kourou

J-B.P. ... Moment de solitude ... d’autant plus que je venais d’écrire au Délégué quelques heures plus tôt que tout se passait nominalement. Dans ma tête, je suis déjà en train d’imaginer les conséquences d’un report de lancement : la délégation doit décoller le lendemain de Charles-de-Gaulle pour se rendre à Kourou, faut-il annuler le déplacement ? De toute façon, cela ne sert à rien d’extrapoler tant que le report de lancement n’est pas confirmé, je conviens donc avec Cyril de se rappeler dès qu’il aura plus d’informations.

C.C. « Cela sera peut-être tard dans la nuit. »

J-B.P. « Pas grave, de toutes façons, je ne vais pas pouvoir dormir. »

C.C. Un véritable commando se met alors en place, composé des meilleurs thermiciens du Cnes, d’Airbus et de Thales, afin de faire toute la lumière sur cette anomalie. Après une soirée de recherches et d’investigations, la cause est enfin comprise : le réchauffeur incriminé fonctionne avec une technologie dont les rendements sont optimisés pour un fonctionnement en impesanteur, ou a minima, dans une configuration à l’horizontale afin de réaliser des tests au sol. Or, sous la coiffe, le satellite patiente paisiblement en position verticale, configuration qui n’avait encore jamais été testée pour mettre en œuvre ces lignes de réchauffement. Il ne s’agit donc que d’un effet pernicieux de la gravité. Tout le monde peut souffler, le tir aura bien lieu. Il est aux alentours de minuit, je rappelle Jean-Baptiste.

J-B.P. Soulagement en effet. Cyril m’indique que l’anomalie a pu être comprise en se replongeant dans les rapports de test de l’équipementier qui avaient mis en évidence ce comportement particulier en position verticale. On entend de manière récurrente le reproche selon lequel on demande à l’industrie une documentation trop conséquente, que l’on n’a souvent pas le temps de lire. Moi le premier, je m’en suis souvent fait la réflexion. Mais à ce moment exact, j’ai compris pourquoi il était nécessaire de le faire. Sans cela, il est probable que CSO-1 n’aurait pas été lancé en 2018.

Mardi 18 décembre 2018 : Chronologie négative jusque décision arrêt tir

J-B.P. Le jour J. Nous y sommes. Le point d’orgue du programme pour toutes les personnes ayant travaillé sur le projet CSO, pour certaines depuis plus de dix ans. Réveil matinal vers 04 h 30 à Kourou (08 h 30 heure française) pour visiter les installations du Centre Spatial Guyanais avant le lancement. La veille, toute la délégation est arrivée sous un véritable déluge à Kourou. Ce matin, la météo semble plus clémente, l’ambiance est détendue, et j’ai le sentiment que tout est aligné pour le lancement. La date même du 18 décembre, date de lancement des précédents satellites Hélios II A (en 2004) et Hélios II B (en 2009) n’est-elle pas un totem garantissant le succès du jour ?

C.C. La tension est palpable en Salle de Contrôle Prioritaire (SCP) au Cnes, où toutes les données issues du satellite sont supervisées, et d’où partira l’ensemble des commandes à monter à bord. Les premières équipes sont à pied d’œuvre depuis 5 h du matin, heure française, afin de réaliser les premières vérifications sur les liaisons réseaux entre Toulouse et Kourou.

A 10 h, tous les paramètres nécessaires à la décision de lancement sont au vert. Tous ? Non ! Car un irréductible paramètre résiste encore et toujours... La météo, puisque c’est elle dont il s’agit, est capricieuse. Les vents en altitude ne sont pas particulièrement violents, mais leur direction (de la mer vers la terre) remet en cause la sauvegarde des villages aux abords du pas de tir en cas de problème lors du lancement. Et bien évidemment, la sécurité de la population reste la priorité absolue.

J-B.P. 6 h, heure de Kourou. Je reçois l’information du « rouge météo ». La nouvelle me décontenance, je n’arrive plus vraiment à me concentrer sur la visite, mais je me raccroche à l’idée que la météo peut encore évoluer favorablement d’ici l’heure du lancement. Tout n’est pas perdu ! 

C.C. Durant la matinée, plusieurs ballons sondes seront lancés afin de rafraîchir les mesures, et espérer voir une amélioration de la situation météorologique, sans succès. En SCP, les visages se crispent. Personne ne veut réellement y croire. Et pourtant, il faudra bien s’y résoudre. A midi, heure française, après un dernier lâcher de ballon-sonde qui n’y changera rien, la décision est prise : le tir est repoussé au lendemain.

J-B.P. 8 h, heure de Kourou. Toute la délégation s’achemine dans la salle de contrôle Jupiter, d’où est supervisé le lancement, afin d’assister aux traditionnels briefings officiels d’avant lancement. Le Président du Cnes prend la parole en premier, et confirme à la fin de son discours l’information que tout le monde redoutait : le lancement est reporté. La suite des discours est un peu un pensum, autant pour les intervenants qui n’ont plus vraiment le cœur à parler que pour les auditeurs qui n’ont plus vraiment le cœur à écouter.

18 décembre, un rouge météo funeste
car les vents d’altitude vont dans le mauvais sens...

Mercredi 19 décembre 2018 : Lancement

C.C. Toutes les équipes se retrouvent ce mercredi matin, les yeux quelque peu cernés du fait d’un sommeil parfois difficile à trouver, en espérant que cette deuxième tentative sera la bonne. Cette fois-ci, tous les paramètres sont au vert. Une heure avant le tir, l’optimisme est de mise, les réservoirs du lanceur ont été remplis, et l’ensemble des activités s’est jusqu’ici déroulé tout à fait nominalement.

J-B.P. Alors que la veille personne ne misait sur une amélioration météo, je me lève en pensant que le lancement n’aurait pas lieu non plus aujourd’hui. Surprise, les voyants sont au vert, la météo guyanaise est décidément bien capricieuse ! Je ressens un mélange d’euphorie et de déception pour toutes les personnes de la délégation qui ont dû repartir la veille, car le vol spécial les ayant acheminés ne pouvait rester et tous les vols commerciaux étaient pleins à l’approche des fêtes de Noël. Heureusement, l’équipe en charge de l’organisation de la retransmission du lancement à l’Ecole militaire à Paris, a non seulement réussi à se reconfigurer pour assurer la prestation malgré le report d’une journée, mais également à intégrer au dispositif toutes les personnes qui revenaient de Kourou. Belle prouesse de leur part !

C.C. Tout semble trop beau pour être vrai, et à H-40 min (i.e. vers 17 h, heure française), l’ensemble des postes de contrôle de la SCP perd le lien avec la télémesure issue du satellite. Les équipes s’empressent de tout tenter pour rétablir la communication au plus vite : il va de soi qu’en l’état, le lancement serait de nouveau reporté. A H-30min, devant l’incompréhension de l’anomalie, la décision est prise de rebooter tous les serveurs. A H-15 min, la communication est enfin rétablie ! Même si la cause du problème ne sera comprise que quelques jours plus tard, toutes les équipes poussent alors un grand ouf de soulagement.

J-B.P. Je n’ai appris cette péripétie d’avant lancement que quelques jours plus tard. Depuis Kourou, cela a été totalement transparent. Heureusement, car la tension était déjà assez importante : le fait de lancer un satellite militaire français à partir d’un lanceur Soyouz russe ne me rassurait pas vraiment.

C.C. Il ne reste plus que quelques secondes avant le tir, le décompte est lancé. Un lourd silence envahit la salle. Tous les regards sont tournés vers l’écran principal pour voir décoller avec une finesse incomparable les 300 tonnes du lanceur Soyouz.

J-B.P. 13h37, heure de Kourou. Tout le monde s’est précipité sur le balcon de la salle Jupiter quelques minutes avant pour voir le lanceur de visu. Avec un pas de tir à 25 km, il faut bien l’avouer, on ne voit pas grand-chose, et finalement tout le monde rentre assez vite pour suivre le lancement sur grand écran. J’ai les yeux rivés sur la courbe de trajectoire du lanceur. Chaque annonce du directeur de tir – « Trajectoire nominale » – est un soulagement. Les supports de communication vidéo préparés s’égrènent un par un, le rendu est plutôt satisfaisant, la séquence est assez dynamique, et elle a le mérite d’alléger l’attente.

Retransmission en duplex du lancement à l’Ecole Militaire : chacun ressent l’émotion d’un grand moment

C.C. En exactement une heure et une minute, le satellite est mis sur une orbite située à 800 km de la Terre. Arianespace a parfaitement géré les différentes opérations émaillant le voyage de CSO1 jusqu’à la séparation entre le satellite et le lanceur. Les premiers chiffres tombent, le satellite a été injecté à moins de 100 m du point prévu, ce qui est assez extraordinaire. Tout le monde peut exulter, la mise en orbite est réussie.

J-B.P. Les applaudissements pleuvent également à Kourou. C’est d’ailleurs assez paradoxal car à ce moment, seul Arianespace peut réellement se réjouir : la mission de lancement est certes réussie mais on n’a encore aucune garantie que le satellite fonctionne. Depuis Paris, la ministre des Armées prend la parole pour se féliciter de cette réussite. Les premières bonnes nouvelles tombent rapidement en parallèle : le déploiement des panneaux solaires est réussi, ce qui assurera l’énergie nécessaire au satellite.

C.C. Le Cnes prend alors la main sur la suite des activités. Le but est de permettre au satellite d’être autonome, de façon sécurisée, lors des périodes où il ne sera plus visible des radars au sol. A 2 h du matin, heure française, toutes les opérations essentielles ont été menées, le satellite peut passer sa première nuit seul dans son nouvel environnement.

Du jeudi 20 décembre au samedi 22 décembre 2018 : premiers jours de vie jusqu’à la première image.

C.C. Les équipes ont toutes en ligne de mire le principal événement de tout satellite d’observation après son lancement : la découverte de la première image réalisée. Mais avant d’y arriver, il leur faudra évidemment patienter, le satellite n’étant pas encore dans sa configuration nominale. Ainsi, la première journée se concentre sur le démarrage des différents éléments composant la plate-forme du satellite : les roues gyroscopiques lui permettant de contrôler son attitude, les viseurs d’étoiles afin de l’aider à s’orienter dans l’espace, ou encore la centrale à inertie pour réaliser des contrôles de vitesse angulaire. Le deuxième

jour, quant à lui, permet de mettre en œuvre les composants de la charge utile (c’est-à-dire l’instrument qui réalisera les images) et notamment du sous-ensemble de détection de la voie visible, pièce maîtresse de CSO-1 composée de l’ensemble des détecteurs d’où seront captés les photons.

Le troisième jour est dédié à la réalisation des premières images. Celles-ci sont réalisées à bord en début d’après-midi, et vidées dans la foulée sur une station de réception dédiée, à Creil. Malheureusement, une anomalie dans la fonction de suivi de l’antenne empêche les images d’être entièrement reçues. Le revers est rude pour les équipes, dont le moral est clairement impacté pendant de longues minutes, jusqu’à un miraculeux appel de la station de Kiruna, en Suède, nous informant que leur antenne a pu récupérer des données issues de CSO-1 de manière automatique. La télémesure est ainsi récupérée au Cnes, où les équipes du Centre d’Exploitation et de Qualité Image (CEQI) s’empressent de traiter les données afin de fournir au plus vite un résultat exploitable.

J-B.P. En ce samedi, je suis pendu à mon téléphone dans l’attente des nouvelles concernant la première image. Je trouve assez ironique que la première image soit finalement récupérée sur la station de réception mise à disposition par nos partenaires suédois. La notion de souveraineté vient d’en prendre un coup !

Peu importe, en fin de journée, je reçois un coup de fil du Cnes, m’indiquant que les premières images sont « splendides ». Magnifique cadeau de Noël, je m’empresse de partager la nouvelle.

C.C. J’apprends que les performances image sont incroyables via le message de Jean-Baptiste. Alors que je fais le pied de grue depuis plusieurs heures devant la porte du CEQI au Cnes, qu’il est convenu de laisser les experts travailler tranquillement pour sortir la première image afin de ne pas leur mettre la pression, je reçois avec un peu d’énervement le fait de m’être fait spolier la primeur de l’annonce ! Mais j’ai tout de même le privilège de découvrir les images de CSO en premier, et je mesure l’aboutissement de tout le travail accompli jusqu’ici.

CSO-1 fournira des images d’une très haute définition

Le chemin est encore long avant de rentrer en phase d’exploitation, mais le plus dur est fait : CSO-1 est une nouvelle référence en matière d’observation spatiale.

Auteurs

Cyril CASSERA, IETA

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