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01 mars 2019

EPPUR SI MUOVE !!!
GALILEO : LES PÉRIPÉTIES D’UN GRAND PROGRAMME D’AUTONOMIE EUROPÉENNE

Parler d’autonomie Européenne sans évoquer le programme Galileo serait une gageure tant cette notion est depuis le début au cœur des décisions qui ont conduit à créer cette constellation de trente satellites fournissant un service de positionnement par satellite mondialement accessible et à la pointe de la technologie. Nous retraçons les péripéties de ce programme majeur, révélateur de l’évolution de la perception de la notion d’autonomie européenne et de l’ambiguïté des relations civilo-militaires au sein de l’Union.


Une naissance chaotique...

La fin du XXe siècle a été l’occasion pour l’ensemble des grandes puissances de prendre conscience de l’intérêt stratégique qu’apportaient les systèmes de radionavigation par satellites à la fois pour des fins civiles et militaires. Si les USA avec leur GPS s’y sont lancés en premier (lancement en 1973 pour une constellation mondiale et opérationnelle en 1995 et une ouverture au public en 2000), il était bien évidemment inacceptable pour les autres de se contenter de la dépendance aux USA. La Russie met en œuvre sa propre constellation Glonass en 1995, mais suite aux difficultés financières de la période, ne parvient à atteindre une pleine capacité qu’en 2010. La Chine opte initialement pour un service Beidou/Compass de couverture régionale en 2003 et une couverture mondiale opérationnelle en 2020. Chacune de ces constellations dispose d’un service ouvert au public et d’un service sécurisé, dont la vocation est clairement militaire (voir encadré).

En Europe, la situation est plus complexe : s’il est bien évident que l’Europe ne doit pas être laissée pour compte dans ce mouvement, aucun État-membre ne dispose de la volonté de financer sa constellation seul (les estimations initiales étaient de 3,5 milliard d’euros et par ailleurs se sont trouvées être bien en deçà de la réalité), et les États-membres font le choix singulier de confier le programme à une entité entièrement civile, l’Union Européenne. Le programme est lancé en 2003 avec l’accord signé entre l’UE et l’Agence spatiale européenne. Le caractère civil du programme est alors affirmé avec force, comme pour faire écho à l’intense lobbying américain contre le projet. Les raisons officiellement invoquées concernaient l’usage militaire par une puissance rivale des services Galileo, mais le maintien de la dépendance européenne au GPS était vraisemblablement le but recherché.

Le programme initialement pensé comme un partenariat public privé fait face très vite à de nombreuses difficultés, en particulier des rivalités exacerbées entre États-membres et industriels concurrents, conduisant l’Union en 2007 à décider d’un financement à 100 % par elle-même, un pilotage du programme par la Commission avec le soutien de l’ESA. Cette gouvernance n’efface bien sûr pas les rivalités mais les place au second rang (choix des lanceurs, des satellites) et offre au projet la volonté politique dont il a besoin. Cela ne dispensera bien entendu pas le programme des aléas techniques et budgétaires bien connus de ce type de programme, avec une capacité opérationnelle finale qui a été reportée de 2012 à 2020 et une facture passant de 3,5 à plus de 10 milliards d’euros.

 

Vers un programme civil aux caractéristiques très militaires


L’idée de disposer d’un signal sécurisé à usage réservé gouvernemental existe dès le début du programme, le Public Regulated Service ou PRS. Un pas décisif est franchi en 2011 avec la décision 2011/1104 qui apporte le cadre normatif essentiel pour favoriser l’usage du PRS dans un contexte militaire.

L’indépendance dans l’usage (y compris militaire) du PRS pour les États membres est garantie. Il incombe à chaque État-membre d’assurer la protection du service PRS et une autorité PRS responsable (APR) est nommée pour en assumer la charge (en France il s’agit du SGDSN).

La décision prévoit l’élaboration de normes minimales communes, cadre technique normatif contraignant le développement des récepteurs, et en particulier des modules de sécurité dont la vocation est de protéger les clés cryptographiques nécessaires à l’accès au service. Il incombe à la Commission de s’assurer du respect de ces normes par les Étatsmembres, au travers d’inspection et d’audits ; les normes minimales communes seront finalement adoptées en 2015, et bâties sur le modèle des normes les plus exigeantes de protection des informations classifiées de défense.

Enfin l’accès des États non membres et des organisations internationales est limité et assujetti à un accord international avec l’Union. En particulier, la fabrication des modules de sécurité leur est interdite.

Le cœur du système n’est pas oublié avec en 2013 la création du conseil d’homologation de sécurité composé des États-membres en charge de vérifier la conformité du système avec les exigences du sécurité, et du centre de surveillance de la sécurité de Galileo en charge de superviser la sécurité du système et des services fournis et de gérer l’accès au PRS dont le centre principal se trouve sur le territoire français, au camp des loges de Saint-Germain-en-Laye.

Galileo au cœur de l’Europe de la défense


Si l’usage militaire du signal PRS fait l’objet d’études de défense dans plusieurs pays (dont la France), ce n’est que très récemment, fin 2018, que son usage à des fins militaires est clairement et distinctement assumé par les États-membres. Elle prend en particulier la forme d’une coopération naissante dans le cadre de la coopération structurée permanente et de propositions de projet pour le tout nouveau fond Européen de défense. La France, à l’initiative de cette démarche, n’a eu aucun mal à fédérer de nombreux Étatsmembres, preuve que le potentiel militaire de Galileo est bien compris par tous. La poursuite de la participation britannique à Galileo a été par ailleurs une pomme de discorde dans les négociations sur le Brexit, le Royaume-Uni commençant par accuser l’Union de sacrifier la défense commune pour préserver ses intérêts économiques, et annonçant finalement qu’elle envisage de construire son propre système pour répondre à ses besoins défense.

Alors que le système n’est pas encore opérationnel, les travaux pour construire la deuxième génération à l’horizon 2030 ont déjà débuté. A ce stade, plusieurs options capacitaires sont sur la table. Certaines favorisent fortement l’usage militaire via une augmentation de la robustesse et de l’agilité du service PRS et la création de nouveaux services comme le « combat search and rescue » permettant la géolocalisation d’émetteurs en présence de menaces (interception électromagnétique, goniométrie, etc.). Nul doute dans ce contexte que l’usage de Galileo pour les applications défense continuera à s’intensifier ces prochaines années !

 

 

Radionavigation : les spécificités du besoin militaire

Le fonctionnement de la radionavigation est simple. Les satellites synchronisés émettent un signal connu à un temps déterminé. Un récepteur disposant de leur position peut mesurer les délais de réception et reconstruire avec quatre signaux de quatre satellites la date et sa position (quatre équations, quatre inconnues). La précision de la mesure dépend donc de la précision de la synchronisation de l’émission (1 à 2 mètres pour Galileo).Si le besoin militaire n’est pas différent du besoin civil en termes de précision, celui-ci doit en revanche résister aux menaces bien connues qui touchent les programmes de télécommunication : le brouillage, le leurrage et les agressions, y compris cyber, sur les infrastructures qui portent le service. La réponse technique est donc traditionnelle : puissance d’émission, étalement de spectre et contrôle d’accès au travers d’une utilisation massive de la cryptographie, robustesse et résilience du système. Le service PRS de Galileo dispose de l’ensemble de ces atouts et le rend donc très compatible d’un usage militaire. Il apporte pour la France des garanties d’accès qui n’existent pas avec les autres constellations sous contrôle d’États tiers, en particulier le GPS.  

 

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