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01 mars 2019

EN ROUTE POUR LA RECHERCHE DE DÉFENSE EUROPÉENNE
OU COMMENT LES ÉVÉNEMENTS À L’ÉCHELLE EUROPÉENNE CHANGENT LA DONNE

A l’avant-garde des évolutions dans le volet européen des questions de défense, la recherche de défense en coopération voit son paysage se transformer en profondeur. Voici donc un éclairage, non exhaustif tant le domaine est vaste, sur ces mouvements qui touchent de nombreux acteurs : Commission européenne, industrie, DGA, Agence européenne de la défense…


Jusqu’à ce jour, l’investissement européen en matière de recherche de défense (Science et Technolo­gie, S&T dans le jargon consacré, qui recouvre les travaux scien­tifiques, de R&T et d’innovation mais pas les développements au titre des programmes d’armement) est principalement porté par trois pays, dans l’ordre : la France, le Royaume-Uni et l’Allemagne. A eux trois, cela représente environ 85 % du montant des investisse­ments dans le domaine. Si l’on ajoute les autres pays dits de la « LoI » (Espagne, Italie et Suède) ainsi que les Pays-Bas ou l’Au­triche, le total avoisine les 95 %. C’est dire si l’effort en la ma­tière ne repose que sur quelques membres de l’Union et sans sur­prise, au niveau européen, l’ob­jectif de consacrer environ 2 % des budgets de défense à la S&T de défense n’est pas atteint. Le constat est même à la décrois­sance de la part de la recherche dans les investissements de dé­fense, à l’exception de la France qui a fait de l’innovation au sens large une de ses priorités de la loi de programmation militaire 2019 - 2025.

Le taux de coopération euro­péenne en matière de recherche de défense varie entre 10 et 15 % ces dernières années. Cela comprend aussi bien des études bilatérales avec nos partenaires telles que celles menées avec le Royaume- Uni sur les futurs missiles à longue portée (missiles antinavires et mis­siles de croisière), que des projets gérés par l’Agence Européenne de Défense (AED). Au sein de cette dernière, les projets dits de « ca­tégorie B » (participation volontaire des États-membres) auxquels la France contribue sont en général appréciés des participants, même si leur ampleur reste en moyenne relativement modeste (budget to­tal de la classe 5 M€ pour deux à six pays, part France entre un quart et un tiers du budget). La plupart des travaux sur l’insertion des drones dans la circulation aé­rienne ont par exemple été menés dans ce cadre.

Ce qui (va) change(r)

Si l’on considère le périmètre l’Union européenne (UE), le Brexit modifie les équilibres de manière drastique. Au sein d’une Union à vingt-sept et avant même l’aug­mentation de son budget de re­cherche prévue dans la LPM, la France pèsera près de 50 % de l’effort global. Seule l’Allemagne aura un budget comparable bien qu’environ 30 % inférieur.

Dans ce contexte, et après plu­sieurs tentatives infructueuses, la Commission européenne a obtenu le feu vert des parties prenantes (États-membres, parlement eu­ropéen…) pour intervenir dans le domaine de la recherche de dé­fense. Le premier enjeu était de démontrer que l’UE pouvait, au sens légal et au sens pratique du terme, engager ce type de dé­pense. Ce fut l’objet des « projets pilotes », lancés en 2016 pour une durée légèrement supérieure à un an, chaque projet étant financé à hauteur d’environ 500 k€. Dans un deuxième temps, une « action préparatoire » a été mise en place sur la période 2017 - 2020 avec un budget total de 90 M€ dans le but d’explorer plus avant les thématiques pour lesquelles une action de recherche de défense à l’échelle européenne apporte une plus-value et dans celui d’ap­profondir les mécanismes de pi­lotage de ce type d’intervention. Une première subvention a été attribuée fin 2017 au consortium Ocean 2020 pour une démonstra­tion de tenue de situation pour la surveillance maritime impliquant de nombreux systèmes, parmi les­quels des drones de tous milieux. Pour 2018, des appels à projets concernant les composants élec­troniques programmables et les lasers de puissance sont en cours de finalisation. La discussion sur le programme de travail 2019 touche également à sa fin.

Le drone patroller de Safran (20h d'autonomie, 250 kg de charge, sera adapté pour la surveillance maritime dans le cadre Ocean 2020 (photo Philippe Wodka-Gallien / Safran)

Que ce soit pour les projets pilotes ou pour l’action préparatoire, il est à noter que la maîtrise d’ou­vrage a été déléguée à l’AED par la Commission. Dès cette phase de « test » de la transposition des mécanismes communautaires au domaine de la défense, nous (ad­ministrations et industriels) avons collectivement pu nous confronter à quelques questions pratiques dimensionnantes. Par exemple, comment concilier la protection du savoir-faire des industriels na­tionaux et le nécessaire travail en consortium transfrontalier ? La robustesse de la solution trouvée (un « special report » ou pour filer la métaphore cuisinière, le gâteau mais pas la recette) demande à être testée avec les premiers li­vrables dans les mois à venir.

Perspectives

Dans son projet pour le cadre fi­nancier pluriannuel 2021 - 2027, la Commission prévoit la mise en place d’un Fonds européen de défense (Fedef) comprenant en particulier un volet recherche doté d’une enveloppe de 4,1 G€ (à confirmer lors des négociations budgétaires à venir). Ce montant est important dans l’absolu mais dans le périmètre de l’UE, il ne fait que compenser le départ du Royaume-Uni. C’est donc plus dans la pérennisation de la place de ce nouvel acteur qu’il faut cher­cher le changement, d’autant plus que cela s’accompagne de la mise en place d’un volet « développe­ment » au sein du Fedef.

L’AED figure naturellement en bonne place parmi les acteurs impactés par ce changement. La nécessité reconnue de disposer d’un forum où les représentants des États-membres (DGA pour la France) et de l’industrie s’ac­cordent sur les domaines de re­cherche à soutenir en priorité au niveau européen, fournit à l’agence une opportunité idéale de conso­lider son rôle dans l’amont des processus européens. Cela devrait principalement se concrétiser par une (re)dynamisation des « cap­techs », ces espaces d’échange animés par l’AED dans le but de construire des feuilles de route (« strategic research agenda » ou SRA) dans un domaine technique considéré. De plus, l’agence a en­gagé l’orientation globale dans la perspective du Fedef qui se traduit par l’établissement d’un document portant la vision globale des prio­rités (OSRA, « overarching SRA).

Enfin, j’évoquerai un dernier point pour lequel il faut, selon moi, s’at­tendre à du changement dans ce contexte : celui des relations de la DGA avec l’industrie et les insti­tuts de recherche et des maîtres d’oeuvre industriels avec leurs par­tenaires et sous-traitants. En effet, pour obtenir un financement pour des activités de recherche dans le cadre du Fedef, il faudra réunir des consortiums transfrontaliers (au moins trois entités légales diffé­rentes dans trois pays de l’UE dif­férents). De plus, les instances eu­ropéennes devront se poser pour chaque domaine technologique soutenu la question de l’opportu­nité de privilégier un « champion » européen ou bien d’entretenir de manière équitable une compéti­tion. La logique de monopole bi­latéral (un seul acheteur et un seul fournisseur) qui régit par nécessité budgétaire plusieurs secteurs de l’armement au niveau national ain­si que la commodité de chaînes de sous-traitances nationales de­vraient s’en trouver ébranlées. A chacun de s’adapter à cette nou­velle donne.

 

 

 

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