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01 mars 2019

ACHATS DE DÉFENSE EN EUROPE, QUELLE LIBERTÉ CONTRACTUELLE ?

L’article 346 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE), autrefois article 223 du traité instituant la Communauté économique européenne, aurait été négocié et obtenu par le général De Gaulle pour donner toute liberté à la France concernant le développement de sa force nucléaire. Cet article est souvent présenté comme définissant les limites de souveraineté des États-membres vis-à-vis de l’Union européenne. Nous allons voir qu’au moins en ce qui concerne les achats de défense, le domaine de souveraineté est bien plus vaste que celui-ci.

Avant 2011, la plupart des États-membres avaient une vision extensive de cet article et l’utilisaient pour tous leurs achats de défense parfois jusqu’aux fournitures courantes. Ils avaient beau jeu d’expliquer que tout était confidentiel, que beaucoup d’achats devaient être négociés car complexes, qu’ils avaient des exigences de sécurité d’approvisionnement, toutes choses incompatibles des directives marchés de l’époque. La Commission européenne a donc imaginé une directive donnant aux États-membres toutes ces possibilités, sous la réserve essentielle de publier les avis de marchés au journal officiel de l’Union européenne. Elle rendait ainsi la Cour de Justice de l’UE compétente sur ces marchés. Pour les autres, la Cour reste compétente sur la justification de cette non-soumission. La directive européenne 2009/81/CE relative aux marchés de défense ou de sécurité a été publiée le 20 août 2009 et transposée deux ans plus tard. Si cette directive réduisait, par le mécanisme indiqué, le domaine de souveraineté des États-membres, la situation de la France était très particulière. En effet, celle-ci s’était déjà auto contrainte avec le décret 2004-16 dit décret spécifique défense qui l’obligeait, dans le champ de l’article 346 du TFUE, à appliquer le code des marchés publics avec une publication au seul bulletin officiel des annonces de marchés publics (BOAMP), sauf en cas de secret extrême.

La directive 2009/81/CE a permis de se débarrasser de ce décret 2004-16 et de se limiter aux contraintes européennes. Au prix d’une complexité plus grande, elle a en fait libéré les achats de la DGA. La France a pu établir une loi instituant, pour ses propres marchés de défense, une préférence européenne. La concurrence européenne est donc devenue la règle pour une partie des achats et notamment les achats intermédiaires entre les prestations courantes et les principaux programmes d’armement. La directive 2009/81/CE et aujourd’hui le code de la commande publique contiennent des exclusions qui vont bien au-delà de l’article 346 TFUE et qui élargissent d’autant le domaine de liberté des acheteurs de la défense : les achats de recherche, liés au renseignement, les achats aux établissements publics dans le cadre de leur droit exclusif notamment, peuvent être exclus. Les achats en urgence de crise, donc en urgence opérationnelle peuvent être passés sans mise en concurrence.

L’ensemble du dispositif est ainsi cohérent et laisse à la DGA une liberté assez large, pour ses achats de systèmes d’armes. Pour les achats sur étagère, la liberté est beaucoup plus limitée mais la souveraineté n’a pas à être exercée sur tout et n’importe quoi d’autant qu’elle a un coût.

Ce dispositif serait totalement acceptable s’il était partagé et respecté des autres États-membres. On ne compte plus les États européens qui préfèrent acheter directement américain plutôt que de respecter la directive qui leur impose a minima une mise en concurrence. Les motivations sont multiples : plus grande facilité à acheter grâce aux contrats « Foreign Military Sales », crainte de la Russie et croyance en la protection américaine, obtention aisée de compensations économiques. La plupart des États-membres ont maintenu des exigences d’« offsets » alors même que les traités de l’UE interdisent les discriminations. L’environnement politique européen actuel n’est pas propice à la traduction d’un État-membre devant la CJUE pour non-respect de la directive 2009/81/CE.

Dans cette perspective d’efficacité limitée de la directive 2009/81/CE, la France a réussi, grâce à sa transposition, à améliorer la cohérence de ses achats, à maîtriser le champ de la concurrence et à exercer sa souveraineté là où, probablement, elle méritait de l’être.

 

Article 346

1. Les dispositions des traités ne font pas obstacle aux règles ci-après :

a) aucun État-membre n'est tenu de fournir des renseignements dont il estimerait la divulgation contraire aux intérêts essentiels de sa sécurité ;

b) tout État-membre peut prendre les mesures qu'il estime nécessaires à la protection des intérêts essentiels de sa sécurité et qui se rapportent à la production ou au commerce d'armes, de munitions et de matériel de guerre ; ces mesures ne doivent pas altérer les conditions de la concurrence dans le marché intérieur en ce qui concerne les produits non destinés à des fins spécifiquement militaires.

2. Le Conseil, statuant à l'unanimité sur proposition de la Commission, peut apporter des modifications à la liste, qu'il a fixée le 15 avril 1958, des produits auxquels les dispositions du paragraphe 1, point b), s'appliquent.

 

 

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