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01 mars 2019

VERTUS ET VICES DE L’UNION EUROPÉENNE

Ayant fêté il y a peu le centenaire de la fin du conflit le plus meurtrier de l’histoire et le soixantième anniversaire du Traité de Rome et en cette année qui marque les 90 ans de la grande crise de 1929 et les 20 ans de l’introduction de l’euro, revenons quelque peu en arrière et considérons ce que l’Union européenne et les initiatives associées nous ont apporté de plus fondamental.


  1. L’Europe, sortant pourtant de 40 années de prospérité économique inégalée portée par la révolution industrielle et les idées libérales classiques, voit en quelques semaines une génération entière se jeter avec entrain dans un bain de sang innommable qui portera en germe un siècle voué aux extrémismes, associant divers degrés de fanatisme et de nationalisme malsain avec en commun une ignorance crasse de l’économie.

1945 2019 : 74 ans de paix, si ce n’est en Europe, tout du moins dans la communauté économique européenne et une monnaie unique qui a mis fin aux « dévaluations compétitives » ayant ruiné les économies de nos aïeux.

Serait-ce qu’une bureaucratie tentaculaire et non élue mais éclairée nous a sauvé des affres du nationalisme voire d’un libéralisme forcément débridé ?

La paix

Force est de constater que le dialogue nourrit la paix. Les gouvernements du début du XXe siècle en étaient réduits aux conjectures quant aux intentions forcément malicieuses de leurs voisins, ce qui contribua à une course aux armements et nourrit un sentiment d’inéluctabilité de la guerre.

Désormais nos bons ministres se voient tous les mois à Bruxelles, voire dans une capitale plus exotique de l’Union, et faute de converger sur le texte abscons que leur propose la Commission et leur remixe le Conseil, sont au moins forcés de constater que leur collègue, s’il défend un intérêt national bien compris, a d’autres chats à fouetter que de planifier l’annexion de son plus proche voisin.

La prospérité

On dit parfois que Bruxelles est le rempart contre le n’importe quoi économique. Si le pacte de stabilité « et de croissance » a subi diverses avanies au cours de sa vingtaine d’années d’existence et si le marché unique n’est encore pas totalement unique, aucun État-membre – même hors de l’euro – n’aura ruiné sa monnaie ni se sera réfugié dans un protectionnisme étouffant les échanges économiques, comme cela a pu se produire après la crise de 1929.

Dix ans après, la grande crise de 2008 n’est plus qu’un lointain souvenir et cette année aucun État-membre ne devrait connaître de déficit excessif, alors que le chômage de masse a disparu dans la plupart des pays ayant eu le bon goût de contenir la dépense publique et de conduire il y a suffisamment longtemps des réformes du marché du travail ambitieuses, comme recommandé par la Commission européenne.

Brexit et nationalisme

Si tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles, pourquoi le Brexit et la montée d’un certain nationalisme à l’Est de l’Europe ? A ses missions premières de paix et de prospérité qui – on l’a vu – tiennent finalement à peu d’instruments, l’Union européenne a développé sa mainmise sur beaucoup de domaines. Règlementation à outrance (« pas de libéralisation sans harmonisation »), immixtions pas forcément bien vécues dans des domaines régaliens jusqu’ici dévolus aux États-Nations (affaires étrangères, défense, immigration, etc.), la « pieuvre » bruxelloise conquiert chaque année un territoire plus important et comme le constatent les Britanniques, il devient quasiment impossible de la quitter, nourrissant dans divers quartiers de l’Europe des plaintes de déficit démocratique et des tentations de repli identitaires.

L’Union européenne, portrait de Dorian Gray de la France

En bien des aspects, l’Union européenne a été modelée suivant le modèle français. Administration pléthorique dirigée par une caste de hauts fonctionnaires ? Centralisation à outrance ? Faible rôle laissé au Parlement ? Ces reproches que l’on fait à l’UE pourraient tout aussi bien être faits à notre doux pays.

Austérité « imposée par Bruxelles » alors que mille fois nécessaire ? Libéralisation qu’on sait inéluctable mais qu’on ne veut assumer ? Il est toujours tentant de laisser faire et d’accuser l’Union européenne plutôt que de prendre ses responsabilités.

Et à chaque fois, c’est l’image de l’Europe qui se flétrit pour éviter d’affronter les vices qui nous affligent, tel un portrait de Dorian Gray de la France.

L’avenir

Il semble illusoire d’espérer un aggiornamento significatif de la part de l’Union européenne, ni un approfondissement significatif de l’intégration, tant sont grandes les divergences France Allemagne sur l’Union économique et monétaire et entre grosso modo l’Ouest et l’Est sur les questions migratoires. Nous sommes donc condamnés aux petits pas, ou au « mission creep » selon le point de vue. La principale question est de savoir si l’Union européenne arrivera à susciter suffisamment d’adhésion pour continuer son chemin ou si les tensions n’iront qu’en croissant.

Un test sera sûrement la prochaine crise financière qui semble pointer son nez, tant le secteur privé mondial croule chaque jour davantage sous les dettes, encouragé par des banques centrales trop craintives de casser une croissance dont elles savent qu’elle est largement dépendante de leurs politiques de taux ultra-bas. Alors que la Chine montre de plus en plus les limites d’une économie commandée, il semble illusoire de penser que « cette fois ce sera différent ».

Or les marges de manœuvre budgétaires des pays du « Club Med » y compris malheureusement la Franceont été insuffisamment reconstituées et leurs finances publiques auront toutes les difficultés à encaisser un nouveau choc. Il est donc à craindre que les banques centrales aient à développer un arsenal encore plus insensé de mesures non conventionnelles, qui testeront sans nul doute les limites de notre système monétaire.

Vu de la lorgnette d’un ingénieur de l’armement, difficile de parler d’Europe sans parler de l’Europe de la Défense, nous commencerons donc ce magazine par un article sur les progrès de la politique européenne de sécurité et de défense. Nous élargirons ensuite à d’autres domaines d’avenir : maritime, sécurité aérienne, cyber-sécurité... ainsi que sur ce qui fait le pain quotidien des instances bruxelloises : lobbying et think tanks. Nous évoquerons aussi comment est vue l’Europe de différents coins de la planète (Chine, États-Unis, Algérie) avant d’aborder des sujets qui tiennent plus particulièrement à cœur à la France : patriotisme européen, français langue officielle de l’Europe, l’émergence de champions européens ou l’harmonisation des politiques de contrôle export.

Nous reviendrons ensuite sur notre cœur de métier avec un zoom sur les différentes initiatives en matière d’Europe de défense, dont bien sûr le Fonds européen de défense, vu de Balard et de notre expert national détaché sur place à Bruxelles. Nous évoquerons également l’actualité de deux acteurs bien connus que sont l’Agence européenne de défense et l’OCCAR mais également des développements moins connus comme celui de parcours européens dans la formation des officiers français.

Enfin nous aborderons les projets européens concrets dans le domaine de l’industrie de défense, qui ne pourront qu’être amenés à se développer avec les avancées de l’Europe institutionnelle de la défense évoqués plus haut : alliance de Naval Group et de Fincantieri, projets d’Airbus, programme Galileo, MBDA, projet de char franco-allemand MGCS, etc.

Pour conclure, nous laisserons la parole à deux auteurs bien connus des fidèles lecteurs de cette revue : Daniel Jouan, qui reviendra sur les chroniques qu’a écrites Michel Clamen pour notre magazine, et Denis Plane, qui nous aidera à naviguer entre les différentes sortes d’Europe pour distinguer le bon grain de l’ivraie.

 

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