

FINANCEMENT DE L’INDUSTRIE DE DÉFENSE ?
VERS UN NOUVEAU PARADIGME
L’industrie de défense, et plus particulièrement les acteurs de sa supply chain, ont longtemps dû faire face à des difficultés pour se financer en capital. Les récentes crises ont contribué à faire évoluer leur perception par le secteur financier qui a un rôle central à jouer pour soutenir l’effort de montée en cadence de la filière.
Des PME et ETI de la BITD qui ont besoin de financement pour faire face aux nouveaux enjeux du secteur
L’industrie de défense fait actuellement face à de multiples défis. Parmi eux figurent l’augmentation des cadences de production, le maintien des investissements en R&D pour conserver son avance technologique et l’accélération de son développement à l’international dans un environnement de plus en plus concurrentiel. L’accès au financement est donc un enjeu majeur pour relever ces défis, que ce soit en termes de dettes ou en fonds propres. Paradoxalement, en Europe, les entreprises du secteur ont longtemps été confrontées à des difficultés pour se financer auprès du secteur financier. Cette problématique est d’autant plus marquée pour les PME et ETI de la Base industrielle et technologique de défense (BITD), qui ne disposent ni des ressources ni des moyens des grands groupes. De plus, leur accès aux acteurs de la finance est plus restreint en raison de leur taille. Elles sont, par ailleurs, confrontées à des enjeux qui leur sont propres, comme le financement d’acquisitions dans un secteur qui reste encore très fragmenté ou l’organisation de leur transmission.
Une évolution récente de la perception de l’industrie de défense par le secteur financier européen
La réticence historique des acteurs financiers à l’égard de l’industrie de défense s’explique par plusieurs facteurs. L’un des principaux tient à une interprétation restrictive des critères ESG (environnement, social, gouvernance), qui a souvent perturbé l’examen des demandes de financement, réduit le périmètre des activités jugées finançables, voire, dans certains cas, conduit à exclure purement et simplement le secteur des politiques d’investissement. On peut ainsi se remémorer le projet de taxonomie sociale européenne de 2022 qui prévoyait d’écarter de son champ d’application toute entreprise réalisant plus de 5 % de son chiffre d’affaires dans la défense. Dans cette même logique, de nombreux labels ESG ont exclu pendant de nombreuses années l’industrie de l’armement, au même titre que le tabac ou l’alcool.
La guerre en Ukraine a conduit à une première prise de conscience quant à l’importance des enjeux de défense et de souveraineté dans un contexte de retour de la guerre sur le continent européen. Néanmoins, après des années de restrictions, la levée des contraintes sur le financement n’a été que progressive mais a conduit le secteur financier à se questionner et à faire évoluer ses pratiques. L’Association française des investisseurs institutionnels (AF2i) a ainsi publié en avril 2023 un rapport concluant à l’absence d’incompatibilité entre critères ESG et industrie de défense. En avril 2024, la Banque européenne d’investissement (BEI) a modifié sa politique d’investissement pour lever ses restrictions historiques qui lui interdisaient de financer le secteur de la défense.
L’élection de Donald Trump fin 2024 et la remise en cause par les États-Unis des alliances historiques a eu l’effet d’un électrochoc en Europe, qui a pris conscience de sa vulnérabilité. Dans la continuité des hausses de budget annoncées, la Commission européenne et les États membres ont réaffirmé leur volonté de lever les freins au financement du secteur de la défense. En France, cela s’est traduit par la tenue d’une conférence sur le financement de la BITD. Cet événement, organisé par les ministres des armées et de l’économie le 20 mars 2025, a permis de fédérer l’ensemble des acteurs autour du sujet. Cette mobilisation sans précédent des acteurs publics et privés incite à être confiant sur la levée des principaux freins institutionnels au financement du secteur.
La constitution d’un fonds d’investissement sectoriel pour apporter un accompagnement adapté aux entreprises de la BITD
Parmi les autres facteurs qui expliquent un moindre accès au financement figure une certaine méconnaissance du secteur de la défense au sein de la sphère financière. La majorité des investisseurs, souvent généralistes, peinent à en saisir les spécificités. Or cet écosystème se distingue par une forte composante technologique et industrielle, par un rôle central de l’État — à la fois client et régulateur — notamment en matière de contrôle des exportations de matériels de guerre et des investissements étrangers (en cas de prise de contrôle par un acteur étranger), ainsi que par une organisation structurée autour de grands maîtres d’œuvre pilotant les grands programmes militaires.
Cependant, ces spécificités ne doivent pas être perçues comme des freins. Chaque secteur d’activité a ses propres particularités, qui peuvent même pour certaines être des atouts pour la filière. S’agissant de l’industrie de défense, citons par exemple la visibilité offerte par les grands programmes, la dualité de la plupart des entreprises et la forte orientation vers l’international de l’industrie d’armement.
Une bonne compréhension des enjeux de la filière et de son écosystème est un véritable atout pour appréhender les entreprises du secteur, leur positionnement et leur potentiel, ainsi que pour leur offrir un accompagnement adapté à leurs besoins et pour accélérer leur développement.
Le fonds Eiréné
Le fonds Eiréné a été lancé en 2023 par Weinberg Capital Partners pour apporter une solution française de financement en fonds propres aux PME et ETI du secteur de la défense et de la sécurité. Il dispose de 215 millions d’euros pour accompagner des sociétés dont le chiffre d’affaires est généralement compris entre 10 et 100 millions d’euros.
Chesneau-Serret, acteur de la mécanique de précision accompagné par le fonds Eiréné
Partant de ce constat et basé sur une conviction forte qu’il était nécessaire d’apporter des solutions de financement françaises aux acteurs de la BITD, Weinberg Capital Partners (WCP) a lancé en 2023 un fonds d’investissement dédié aux PME et ETI du secteur de la défense et de la sécurité. Ce fonds, baptisé Eiréné, se distingue notamment grâce à son équipe combinant des profils issus de la finance et de la défense et par la présence d’un comité stratégique composé de personnalités reconnues du secteur.
Depuis son lancement, le fonds a d’ores et déjà réalisé trois investissements dans des sociétés présentes dans des secteurs très divers comme les composants électroniques, la mécanique de précision ou encore l’imagerie spatiale, illustrant la diversité de la BITD. Il a contribué à cet effet à maintenir un actionnariat français, face notamment à des offres étrangères, à offrir des solutions de reprises préservant l’indépendance des sociétés et capitalisant sur le management des sociétés entré au capital de leur entreprise aux côtés de WCP, et à apporter à des PME les moyens d’accélérer leur développement et de les positionner comme consolidateurs potentiels.
Depuis deux ans, le fonds Eiréné démontre que l’industrie de la finance a pleinement un rôle à jouer dans le soutien de la BITD, et illustre la pertinence de la mise en place d’outils financiers adaptés aux spécificités des entreprises du secteur défense, pour les accompagner dans leur développement et les aider à relever les nombreux défis auxquels le secteur est confronté.

X01, ENSTA, David commence à la DGA, et poursuit à l’APE en charge de participations du secteur aéronautique-défense. Il entre ensuite chez Naval Group à la direction de la stratégie puis à la direction des programmes. Il a notamment été directeur des opérations d’Itaguai Construçoes Navais au Brésil et directeur de projet de sous-marins pour l’export.
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