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Conférence du MAWA à Athènes en 2017
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02 juin 2021

LE CIEL NE PEUT ATTENDRE !
HARMONISER LA NAVIGABILITE DES AERONEFS D'ETAT

La navigabilité est l’un des quatre piliers de la sécurité aérienne. Pour les aéronefs d’Etat, la France a créé la DSAé en 2006 et un début de coopération européenne s’est mis en place. Il faut désormais aller plus loin pour bénéficier pleinement d’une unification des référentiels.


Qu’est-ce que la navigabilité ?

La sécurité aérienne repose sur 4 piliers essentiels : l’habileté des hommes, qu’ils soient pilotes, contrôleurs ou encore maintenanciers, la gestion du trafic aérien et la fourniture de services à la navigation, l’exploitation des aéronefs et des plateformes aéroportuaires et enfin, la sécurité intrinsèque des vecteurs aériens ou navigabilité. L’ensemble des activités qui constituent le ciment de ces piliers est conduit par différents acteurs étatiques ou industriels, réglementairement et juridiquement responsables, dans un environnement dit « contrôlé ».

Dès 1944, l’organisation de l’aviation civile internationale instaure des principes communs pour la sécurité du transport aérien. Les aéronefs d’État en sont toutefois expressément exclus bien qu’une clause d’effort soit adoptée par les pays.

Au début des années 2000, comme l’explique Patrick Ky, la navigabilité européenne se structure. Au même moment, le ministère des armées français mène sa propre réflexion et décide la mise en place d’une navigabilité étatique dès 2006 et la création d’une direction de la sécurité aéronautique d’État (DSAÉ) en 2013.

Pourquoi coopérer entre autorités militaires de navigabilité européennes ?

Les programmes Tigre, A400M et bientôt SCAF et MALE européen sont des exemples de coopération européenne. La démonstration de la tenue d’exigences de performances (qualification) et de sécurité, (certification) conduite par l’industrie est analysée au sein de comités internationaux qui permettent des échanges entre experts, contribuant ainsi à construire la confiance entre les nations, mais sont également la réponse au besoin d’une unicité d’interlocuteur étatique pour l’industrie, facteur de limitation des coûts. Ces comités font l’interface avec chaque autorité nationale de navigabilité impliquée, seules réglementairement compétentes pour ces activités régaliennes.

Pour les programmes en coopération, la base industrielle impliquée est également européenne et réalise ses travaux dans le cadre de l’environnement contrôlé évoqué supra. Ainsi, les organismes industriels doivent postuler et obtenir auprès des autorités les agréments nécessaires, et certaines prérogatives associées à la réalisation d’activités de conception, de production, de maintien de navigabilité, d’entretien ou encore de formation. Là encore, la coopération entre états est un facteur de réduction de coûts. Les comités internationaux mènent l’évaluation initiale des capacités de l’industrie ensemble ; la surveillance de chaque site industriel étant ensuite à la charge du pays où il est implanté.

Mais, l’accident du Nimrod britannique de septembre 2006 en Afghanistan, a fait prendre conscience aux États qu’il fallait garantir cette sécurité dans la durée. L’adaptation continuelle des aéronefs et leur longévité étant une particularité militaire, une coopération sur les modifications ou le traitement des faits techniques est également devenue une nécessité pour l’amélioration de la sécurité aéronautique.

Une flotte européenne en devenir

Conscients de ce gisement d’améliorations potentielles, les ministres de la défense instituèrent ainsi en 2008, au sein de l’AED, le Military AirWorthiness Authorities (MAWA), forum regroupant des représentants des autorités de navigabilité des pays membres, chargé de développer un référentiel commun d’exigences : les EMAR (European Military Airworthiness Requirements), très proches de son équivalent civil,mais qui permettent également les reconnaissances entre autorités nationales.

La plupart des États membres ont malheureusement décliné ce référentiel avec des particularités nationales, ce qui amoindrit fortement l’intérêt perçu initialement.

L’ETAC (European Tactical Airlift Centre) qui opère des avions de transport de différentes nations européennes, parfois de même type, ne peut donc alors tirer pleinement parti des aéronefs mis à sa disposition, leurs conditions de chargement étant incompatibles.

En revanche, les nations n’ont pas réussi à former une organisation européenne conjointe de navigabilité : peu d’entre elles possèdent l’expertise et la compétence nécessaires. Par ailleurs, pour la DGA, les mêmes experts de domaines technologiques traitent la certification mais également la qualification ; dédier des ressources à la seule navigabilité s’avère donc impossible.

La coopération avec l’AESA : une opportunité ?

En 2017, la DGA et la DSAÉ ont mis en place une coopération avec l’AESA en matière de navigabilité. Dans quel intérêt ?

Tout d’abord, 70% des types d’aéronefs étatiques sont des aéronefs civils ou dérivés de type civils, et donc déjà connus de l’EASA. Par exemple, les avions d’AVSIMAR sont des FALCON 2000LXS destinés à des opérations de surveillance maritime. Sur demande DGA, Dassault Aviation a postulé pour une certification de l’aéronef auprès de l’AESA pour une modification de l’avion de base, la DGA complètera ce travail pour les opérations de largage de chaînes SAR, opération spécifiquement militaire.

Autre intérêt : le partage des pièces de rechange entre mondes civil et militaire pour diminuer le stock propriété de l’État qui constitue une immobilisation onéreuse. La stratégie de soutien de quelques futurs programmes d’aéronefs d’État repose sur le « pooling & sharing » avec le monde civil. Les modalités doivent cependant encore en être précisées.

Enfin, la base industrielle aéronautique est très majoritairement duale. Surveiller conjointement les agréments civils et militaires des organismes ne peut être que facteur de réduction des coûts et d’une meilleure évaluation de leurs performances.

Par ailleurs, l’AESA peut également tirer avantage de la coopération : des redevances afférentes aux programmes militaires alors que le civil est en crise, un gisement d’experts communs, comme certains pilotes d’essais ou d’experts en analyse de logiciels critiques par exemple, ou encore une maîtrise d’opérations moins courantes dans le secteur civil, comme l’appontage des hélicoptères ou encore la navigation sans satellite.

Même si l’expression est parfois galvaudée, la coopération entre la DGA et l’EASA relève vraiment du principe gagnant / gagnant.

Quels sont les défis à venir en matière de coopération européenne dans le domaine de la navigabilité ?

La coopération en matière de navigabilité pour le drone MALE européen, pour le SCAF, pour le standard 3 du Tigre, pour les évolutions du NH90 ou encore le successeur de l’ATL2, influe sur le coût de développement des programmes en diminuant le risque industriel.

Les besoins toujours plus nombreux de drones militaires, exploités hors vue, éventuellement en formation ou essaim, et parfois dans un espace aérien avec d’autres usagers, se font jour. Pour ces systèmes, la réglementation militaire est en avance. Le partage de l’espace aérien nécessite de coopérer, au niveau réglementaire comme technologique.

Enfin, de très nombreux développements technologiques au profit de la décarbonation du transport aérien sont lancés. Certains (dont l’intelligence artificielle), intéressent fortement les militaires qui sont parfois précurseurs. Ces technologies ne pourront cependant être intégrées aux aéronefs que si leur impact sur la sécurité aérienne peut être démontré. C’est également un domaine où les pays et organisations européennes devront coopérer.

La coopération européenne en matière de navigabilité des aéronefs est donc un contributeur à la réduction du coût global des programmes et à l’amélioration de la sécurité aérienne. Tous les ingrédients sont réunis pour que son niveau encore faible aujourd’hui se développe de façon significative.

Le crash du Nimrod britannique

En 2006, un Nimrod de la Royal Air force est victime d’un incendie en vol et s’écrase à Kandahar, tuant ses 14 occupants. Il s’agissait du plus ancien de ces avions (37 ans). Les résultats de l’enquête ont identifié plusieurs facteurs ( dont l’âge de la machine, la politique de maintenance, une accumulation de modifications successives du système carburant mal gérées…) qui ont fortement secoué l’opinion publique et l’organisation du Dod, accusé de privilégier les coûts sur la sécurité.

 

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