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Trois aéronefs dans un univers réglementaire complexe
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18 juin 2021

L’AESA (ou EASA)
Un atout pour les grands programmes civils et étatiques europeens

Publié par Patrick KY, IGPEF | N° 123 - COOPERATION AERONAUTIQUE EUROPEENNE

L’AESA est l’aboutissement d’un long travail de coopération entre les autorités de l’aviation civile, qui avait débuté dès les années 1970 avec l’apparition des « Joint Aviation Requirements (JAR) ». Depuis 2003, elle élabore les règlements de navigabilité et certifie les produits aéronautiques, dont les licences. Le domaine des aéronefs etatiques et militaires, initialement exlu, rejoint progressivement son périmètre sous forme de coopérations de plus en plus approfondies.


La genèse de l’Agence de l’Union européenne pour la sécurité aérienne (AESA)

A cette époque, l’objectif se limitait à produire des codes de navigabilité commun pour les avions de transport. Ces codes étaient repris dans chaque pays par les autorités nationales, qui bien souvent y ajoutaient « leurs variantes», ce qui imposait aux constructeurs un gros travail de « re-certification ».Malgré des améliorations dans les années 90, ce maintien de systèmes réglementaires nationaux non harmonisés fragilisait les grands développements industriels européens face à une concurrence mondiale féroce .La création de l’AESA en 2002 fut l’étape décisive qui offrit aux pays de l’Union Européenne le premier système unique de navigabilité. Notons au passage que son premier directeur, de 2003 à 2013, fut Patrick Goudou, ingénieur général de l’armement.

Le champ de compétence de l’AESA et des Etats de l’UE

Depuis septembre 2003, l’AESA exerce la compétence exclusive pour l’élaboration des règlements de navigabilité et la certification des produits aéronautiques. Cela fut étendu aux licences des personnels navigants (équivalent du permis de conduire), puis plus récemment aux aérodromes, à la circulation aérienne et aux drones, permettant ainsi une harmonisation dans tous ces domaines. Finalement, les seules activités aéronautiques qui restent spécifiques à chaque état sont les opérations et les vols d’entraînement des « aéronefs d’État ». L’Europe offre la possibilité aux États membres de soumettre l’exploitation de tout ou partie de leurs flottes d’aéronefs d’État, aux règles civiles (« Opt-in »). Cette option renforce la sécurité grâce à une approche civile-militaire harmonisée qui facilitera la cohabitation en navigation aérienne. Elle vise également à conforter la position de l’industrie européenne sur les marchés d’exportation.

L’Opt-In n’exige pas d’intégrer le système de l’AESA dans son intégralité. Il est important de souligner sa nature volontaire et modulaire. Un État membre pourrait décider par exemple, d’adopter le système pour une flotte d’hélicoptères de police, mais pas pour ses avions militaires. Cet Etat pourrait aussi l’adopter pour tout ou partie des opérations de police ou de lutte contre les incendies, mais pas pour des opérations de recherche et de sauvetage. A terme, l’objectif est d’évoluer vers la reconnaissance mutuelle des certificats qui permettrait la mise en commun ou le partage entre Etats membres des aéronefs et des pièces de rechange sans restriction.

Toujours dans un soucis de simplification et d’harmonisation, les compagnies aériennes qui opèrent dans plusieurs états membres de l’UE peuvent n’avoir qu’un seul certificat d’exploitant aérien (et non un par pays). Par exemple, en octobre 2020, Luxaviation Group, opérateur qui gère plus de 250 machines sous 15 autorisations différentes (dont neuf européennes) s’est tourné vers l’AESA pour n’en avoir plus qu’un pour sa flotte européenne. A travers cette démarche, Luxaviation Group s’attend à un gain de sécurité et d’efficacité, et surtout une réduction des coûts d’exploitation. Cette possibilité pourrait présenter un intérêt dans le cadre du Mécanisme de protection civile de l’UE en cas d’acquisition et d’exploitation paneuropéenne d’aéronefs bombardiers d’eau, tel qu’envisagé dans le projet européen rescEU.

La navigabilité initiale et le suivi de navigabilité

La navigabilité initiale (de la conception jusqu’à la délivrance du certificat de type) et le suivi de navigabilité (notification des événements sur la flotte en service pouvant affecter la sécurité, leur analyse, et leur traitement pouvant aller jusqu’à l’interdiction de vol comme récemment sur les Boeing 737-800) sont les deux piliers de la navigabilité. Elles font partie des prérogatives de l’AESA en tant qu’autorité primaire de certification pour les avionneurs européens. Pour les aéronefs d’Etat, en France, cette responsabilité incombe à l’Autorité Technique DGA. Ceci explique la coexistence de deux environnements règlementaires.

C’est ainsi que de nombreux programmes aéronautiques étatiques ont été dérivés de plateformes civiles pour limiter les coûts et les délais (A330 MRTT, HIL, …) et se développent dans un cadre multinational. La navigabilité étatique s’étant historiquement construite en reprenant largement le modèle civil, la coopération accrue entre autorités militaires et l’AESA semble logique.

La coopération civile-militaire en navigabilité           

Concernant la navigabilité initiale, hormis pour les spécificités militaires, les objectifs de sécurité et les compétences nécessaires à la conception et la certification des aéronefs sont identiques. L’AESA possède un haut niveau d’expertise technique reconnue mondialement et définit elle-même les spécifications applicables. A ce titre, elle constitue un partenaire incontournable sur lequel les autorités militaires doivent pouvoir s’appuyer. Elles l’ont déjà fait, pour des programmes purement militaires (A400M, C-27J Spartan, système ALSR (Avion Léger de Surveillance et de Reconnaissance),…) ou mixtes civils-militaires (A330 MRTT, HIL, C 295, AVSIMAR,…).

Concernant le suivi de navigabilité, des arrangements de collaboration existent pour les grands programmes (A400M, A330 MRTT, …) afin de définir le rôle et les responsabilités de toutes les parties prenantes. Pour les autres programmes, faute de coopération plus étroite, les environnements civils et militaires restent relativement ségrégués, chacune des autorités traitant les faits techniques dont elle est responsable. Des axes d’amélioration importants existent donc, notamment via un meilleur accès et partage de l’information disponible. Par ailleurs, les profils d’utilisation atypiques des aéronefs d’Etat pourraient permettre l’identification précoce de phénomènes qui n’apparaitront que plus tardivement sur les flottes civiles de même type.

Le partenariat, un atout majeur pour la navigabilité civile-militaire

Continuer à œuvrer pour une coopération accrue avec les autorités militaires et une convergence progressive des règles de navigabilité est un de nos objectifs directeurs. Forte de l’expérience acquise par ses contributions à des programmes purement militaires ou mixtes civils-militaires, l’AESA développe progressivement une culture militaire et ses capacités à traiter ce genre de programmes. Des partenariats institutionnels privilégiés ont été identifiés et des relations étroites sont établies, notamment entre l’AESA et le Ministère des Armées français (représenté par la DGA et la DSAé), et également avec les autorités militaires allemandes et italiennes. L’AESA espère ainsi aller au-delà des pratiques de coopérations ponctuelles. Il semble logique d’utiliser ce pool de compétences pour les plateformes militaires, qui ont des éléments communs avec le monde civil. Les autorités militaires pourraient ainsi concentrer leurs ressources, leurs investissements et leurs efforts sur les équipements, les exigences et sur les opérations directement liées à la défense et la Sûreté.

En renforçant ces partenariats, l’AESA vise aussi à faciliter le suivi et la maintenance des pièces et équipements dans un cadre civil. Grâce à un important effet de marché, ceci permettrait de faire des économies substantielles en coûts de maintenance pour exactement les mêmes pièces et équipements.

En continuant à accueillir des experts militaires au sein de ses équipes techniques et d’orientation stratégique, l’AESA confirme sa volonté de soutenir les programmes aéronautiques étatiques européens en s’inscrivant comme un partenaire fiable et durable auprès des autorités nationales. L’AESA se prépare ainsi à collaborer avec la DGA pour effectuer la surveillance conjointe des agréments de conceptions de certains grands industriels.

    
Patrick Ky, directeur de l’AESA
Patrick Ky, Ingénieur (ret.) des Ponts et Chaussées, est le directeur exécutif de l’Agence de l’Union européenne pour la sécurité aérienne (AESA) depuis 2013, après une carrière dans l’aviation qui l’a mené de la DGAC française à la Commission Européenne en passant par le programme SESAR..
 

Auteur

Patrick KY, IGPEF

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