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01 juin 2021

LES ENQUETES SUR LES ACCIDENTS D'AVIATION CIVILE
L’indispensable coopération internationale

 Le transport aérien civil promis à un fort développement international après la seconde guerre mondiale, est accompagné dans son développement par l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI) dont les principes fondateurs ont été adoptés en 1944 avec la signature de la convention de Chicago. Celle-ci définit ainsi l’objectif de l’OACI : « favoriser le développement sûr et ordonné de l’aviation civile ». Avec les taux d’accidents de l’immédiat après-guerre, l’objectif de sécurité du transport aérien n’est en effet pas une mince affaire, et le besoin de réaliser des enquêtes sur les accidents d’aéronefs civils, dans un but d’amélioration de la sécurité, ainsi que d’organiser la coopération internationale des différents Etats concernés par l’accident, apparaît rapidement.


Dans la suite logique du premier principe de souveraineté des États sur leur territoire et sur l’espace aérien situé au-dessus, l’article 26 de la convention de Chicago confie à l’« État d’occurrence d’un accident d’aviation civile internationale » la responsabilité d’ouvrir et de conduire une enquête sur les circonstances de l’accident. L’annexe 13 de cette convention précise le rôle des autres États pouvant être concernés : les États d’immatriculation de l’aéronef, de l’exploitant, ainsi que les États de conception et de construction qui participeront à l’enquête, en désignant un représentant accrédité, et fourniront tous les renseignements utiles dont ils disposent. Le représentant accrédité, qui appartient normalement à l’organisme d’enquête de l’État concerné, pourra se faire assister de conseiller techniques, par exemple issus du constructeur ou de l’exploitant de l’aéronef, ou de l’EASA. Les autres États pouvant fournir des renseignements ou des moyens utiles à l’enquête pourront aussi designer un représentant accrédité. Les États dont les ressortissants sont au nombre des morts ou des blessés graves n’ont pas de rôle particulier dans l’enquête, si ce n’est, éventuellement, l’aide à l’identification des victimes. Ceci est cohérent avec la logique de l’enquête technique ou de sécurité, qui est d’établir les circonstances de l’accident pour en déterminer les causes ou facteurs contributifs et dégager des enseignements de sécurité pour prévenir de futurs accidents, et non de déterminer des fautes ou des responsabilités. Ainsi l’OACI prévoit la participation active des États susceptibles de contribuer techniquement à l’enquête, et non celle des États qui serait avant tout motivés par la défense des intérêts de ses ressortissants.

 

L’annexe 13 détaille ensuite les principes de participation des Etats

C’est l’Etat d’occurrence qui conduit et organise les travaux d’enquête, et qui élabore le projet de rapport final. Les représentants accrédités et leurs conseillers participent à l’enquête, et notamment peuvent, sous le contrôle de l’enquêteur désigné par l’Etat d’occurrence accéder au site et à l’épave, participer aux examens techniques, faire des suggestions sur les divers éléments de l’enquête. Ils doivent fournir tous les renseignements utiles dont ils disposent, et s’abstenir de divulguer des informations sur le déroulement et les éléments de l’enquête sans le consentement formel de l’Etat qui mène l’enquête. Celui-ci a donc l’exclusivité de la communication sur l’enquête. Il devra cependant consulter les représentants accrédités sur son projet de rapport final et prendre en compte dans le rapport final qu’il publiera les commentaires reçus, ou, en cas de désaccord, les annexer au rapport publié : ce mécanisme incite, malgré des intérêts ou point de vue potentiellement divergents des États participants ou de leurs conseillers, à la recherche d’un consensus sur le rapport et ces conclusions, et les cas où des commentaires franchement divergents sont annexés au rapport publiés restent finalement assez rares.

 

La place du BEA sur la scène internationale

Le BEA est apparu en 1946. Suivant les époques, simple service du Secrétariat général de l’aviation civile, ou rattaché à l’Inspection générale de l’aviation civile, il a progressivement évolué vers un service dont l’indépendance fonctionnelle est garantie par les textes (règlement européen 996/2010 et code des transports), et qui dispose de moyens lui assurant une bonne autonomie d’action. Selon les principes de l’annexe 13 exposés plus haut, il est amené à intervenir à l’étranger dès lors que survient un accident ou incident grave d’un aéronef de construction ou de conception française. Les succès grandissants à l’exportation ces trente dernières années des constructeurs français Airbus, Airbus Hélicoptères, Dassault Falcon, Safran, ont entraîné mécaniquement une augmentation du nombre d’accidents impliquant leurs produits, et par conséquent de la participation du BEA à des enquêtes à l’étranger. Ainsi en 2019 le BEA a nommé 171 représentant accrédités, et s’est déplacé sur neuf sites d’accidents à l’étranger. Cette forte exposition à l’international a amené le BEA à développer ses compétences et ses capacités d’investigations techniques : il maintient par exemple une capacité de lecture de tous les enregistreurs de vol équipant des aéronefs conçus en France ou immatriculés en France, soit la plupart des enregistreurs de vols occidentaux. Cette expertise est largement reconnue dans le monde, et conduit certains États à faire appel au BEA lorsque la participation de celui-ci n’est pas automatique selon les principes de l’annexe 13.

Par exemple le BEA a été contacté par l’autorité d’Éthiopie après le deuxième accident du B737 Max près d’Addis-Abeba, pour lire les données des enregistreurs de vol et aider à leur analyse. À leur arrivée au BEA, les autorités éthiopiennes ont justifié leur démarche en faisant état du bon souvenir qu’elles avaient gardé de l’assistance que leur avait porté le BEA lors d’une enquête dix ans plus tôt. Ce mécanisme induit donc un cercle vertueux pour le BEA, chaque participation du BEA à une enquête étrangère étant l’occasion à la fois de développer ses compétences, et d’entretenir sa réputation à l’international. Cette notoriété à l’international est aussi illustrée par les trente-huit accords de coopération avec des homologues étrangers signés par le BEA. Ces accords sont aussi l’occasion de faire connaissance avec nos interlocuteurs « en temps calme », ce qui est toujours préférable à une rencontre imprévue « en temps de crise » après un accident, dans des circonstances où les postures se crispent facilement.

 

La coopération européenne 

Le règlement européen 996/2010 reprend les principes de l’annexe 13, et impose à chaque État-membre de mettre en place un organisme d’enquête permanent et indépendant. Conscient des fortes disparités de capacités des organismes d’enquête dont les États-membres pouvaient disposer, le législateur européen a aussi institué un réseau des autorités d’enquêtes européen, l’ENCASIA. Ce réseau, qui s’est construit dans le prolongement de groupes d’échanges antérieurs, a notamment pour objectif d’améliorer la qualité des enquêtes conduites en Europe en promouvant les bonnes pratiques, en organisant des évaluations entre pairs pour que chacun puisse identifier ses voies d’amélioration, en organisant des formations, et en mettant en place un cadre facilitant l’assistance mutuelle. Sur ce dernier point, des exercices de gestion de la phase initiale d’une enquête, mettant en scène un accident majeur dans un petit État disposant de moyens limités, et faisant appel à l’aide et aux conseils d’enquêteurs expérimentés provenant d’organismes d’enquêtes mieux dotés ont été organisés.

A ce jour seuls le BEA français, le BFU allemand, et l’AAIB anglais (avant le Brexit !) ce sont prêtés au jeu de l’organisme d’enquête portant assistance. Un enjeu pour le futur est d’élargir ce dispositif en impliquant aussi, pour ce type de mission d’assistance, des enquêteurs expérimentés provenant d’organismes d’enquête d’importance moyenne en Europe, afin de mieux partager les ressources d’optimiser l’utilisation des capacités d’investigation disponibles.

 

Le BEA-É 
Du côté de l’aéronautique d’Etat, une prise de conscience tardive s’opéra néanmoins dans les années 1990. Le BEA-É, né en 2002 sous l’appellation BEAD-air, en fut la concrétisation sur un périmètre englobant Douane et Sécurité civile avec les Armées et la Gendarmerie. A l’instar du BEA, la coopération européenne démarra plus tard, en 2014, avec  britanniques, allemands, espagnols, italiens et belges. Ce groupe de six pays  a œuvré dès sa création pour établir et partager un guide de bonnes pratiques multinationales en cas de récidive d’un événement impliquant plusieurs nations. Il s’agissait d’anticiper et de coordonner un évènement tel que l’accident collectif survenu en 2015 en Espagne à Albacete.  Une coopération qui pourrait s’étendre à d’autres pays…

 

 

 

 

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