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Evolution vers le combat naval collaboratif
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18 octobre 2022

SEULS MAÎTRES À BORD MAIS AU PLURIEL !

Un système de combat de force navale : le combat naval collaboratif à la mer. 


Contexte

Des menaces toujours nouvelles, missiles hypervéloces et drones en nombre croissant, ont conduit la Marine à devoir renforcer la dimension collaborative du combat pour gagner en efficacité, que ce soit en mode défensif ou offensif. Le document fondateur de l’EMM, dénommé AXON@V, exprime ce besoin sur l’ensemble des domaines de lutte quel que soit le tempo (immédiat, temps réel ou temps différé). Il s’agit de doter les unités navales de capacités à opérer en mode collectif, que ce soit pour établir la situation tactique ou engager le combat.

Les liaisons de données tactiques (LDT  : L11, L16 et L22) permettent déjà de partager une situation tactique mais pas en temps réel et donc ne suffisent pas pour engager une menace rapide et manœuvrante. Les nouvelles fonctions collaboratives devront donc coexister avec les LDT mais aussi avec les systèmes embarqués existants (Combat Management System ou CMS) qui équipent les navires de la Marine depuis plus de 40 ans. C’est une caractéristique récurrente des systèmes de systèmes qui, dans la très grande majorité des cas, ne peuvent partir d’une feuille blanche. 

L’avènement des nouvelles fonctions collaboratives devra donc se faire par évolution d’un existant riche et assez inhomogène au niveau technologique du fait de l’espacement des générations (années 1990 pour le SENIT 8 équipant le PaCdG et 2020 pour le CMS «SETIS 3.0» des frégates FDI en cours de livraison). Pour ce faire, deux démarches sont engagées :

 -  d’une part, la mise en ligne de produit des CMS avec le SETIS 3.0 qui a pour vocation d’équiper peu à peu l’ensemble des bâtiments de rang 1 (à commencer par les FREMM et les FDI) de façon à offrir un socle d’accueil commun aux fonctions collaboratives et à en minimiser les coûts de développement et de maintenance par factorisation ;

-  d’autre part l’intégration à bord de la Veille Collaborative Navale (VCN), première grande fonction transverse implémentée qui permet d’établir en temps réel une situation tactique partagée à partir des plots bruts des senseurs de l’ensemble des navires participants.

Cette première phase devra être suivie par l’arrivée de nouvelles fonctions transverses, comme l’Engagement Collaboratif Naval (ECN) qui consiste à traiter une menace en collectif, le bâtiment retenu pour la détruire n’étant pas forcément celui le plus exposé mais le mieux positionné/ armé/ … pour la traiter.

De nombreuses fonctions collaboratives restent encore à investiguer, comme une gestion commune du spectre électromagnétique (discrétion/ brouillage/ leurrage/ …) ou la capacité à connaître en temps réel l’état des navires en situation de combat pour en tenir compte dans les choix tactiques.

Un challenge technique

Le premier challenge soulevé par l’arrivée de fonctions collaboratives est bien sûr de nature technique.

Assez trivialement, la première étape à franchir, nécessaire mais pas suffisante comme nous le verrons plus loin, consiste à se doter de moyens de télécommunications offrant une très faible latence (pour les exigences temps réel) et des débits suffisants (pour échanger des données brutes notamment). Les moyens actuels, en particulier RIFAN, permettront une première implémentation de la VCN mais seront insuffisants pour l’ECN par exemple. Une étude amont de Naval Group avec Thales et Airbus vise à satisfaire ce besoin dans les meilleurs délais.

Mais la capacité à communiquer n’est pas tout (ce n’est pas parce que l’on a un téléphone que l’on sait quoi se dire !) : il reste à faire évoluer chaque système pour accueillir ces fonctions transverses dans un cadre global cohérent. Un travail important d’urbanisation système s’impose pour passer de la cartographie fonctionnelle des systèmes existants à la définition d’une cible commune qui sera atteinte par incréments successifs permettant l’implémentation progressive du combat collaboratif.

Dans ce cadre, les méthodes et outils d’ingénierie système sont particulièrement précieux :

-  simulation pour bien comprendre et s’accorder sur le besoin opérationnel (type LTO, laboratoire technico-opérationnel), 

-  méthodes pour l’analyse fonctionnelle et des outils de modélisation associés, 

-  simulation pour l’intégration et la vérification des logiciels sur les différents navires puis pour la formation et l’entraînement des opérateurs à ces fonctions collaboratives.

Du fait des spécificités navales, et notamment des faibles séries de navires occupés à des missions opérationnelles toujours plus nombreuses, la mise au point s’avère particulièrement délicate et le recours à la simulation est d’un important secours pour émuler les unités qui ne peuvent participer aux essais.

De plus, en situation de combat, l’accès aux télécommunications peut être très fortement perturbé, qu’il s’agisse de brouillage ou de zones mal couvertes au niveau satellitaire  : comme le recours à un cloud de combat distant n’est pas envisageable, la combinaison bien orchestrée de plusieurs moyens de télécommunication est une clef importante pour en garantir une résilience minimale.

Enfin, toujours sur le plan technique, les besoins d’interopérabilité interarmées et interalliés sont extrêmement prégnants : on peut bien sûr citer l’évolution des échanges entre le groupe aéronaval et la chasse embarquée qui conduisent Naval Group et Dassault Aviation à coopérer plus encore avec le soutien de Thales, mais aussi les besoins d’échange au niveau OTAN ou aux initiatives européennes en cours dans le cadre du programme FED avec notamment un projet de VCN européenne dirigé par la France.

Un challenge organisationnel

Outre le challenge technique, qui s’inscrit finalement dans la continuité des travaux d’intégration antérieurs mais sur un périmètre plus vaste, la plus grande nouveauté réside dans une approche organisationnelle fondamentalement en rupture.

En effet, il ne s’agit plus d’intégrer au sein d’un même programme un ensemble de systèmes à bord que ce soit physiquement ou fonctionnellement : il faut effacer les frontières inter-programmes, et s’accorder avec plusieurs officiers et directeurs de programmes pour définir et implémenter les fonctions collaboratives.

Cette cohérence est d’autant plus difficile à assurer qu’elle concerne des programmes à des niveaux de maturité très différents : de la rénovation de navires en service à la conception des navires de demain : l’asynchronisme à gérer nécessite une planification et une concertation entre de très nombreux acteurs, qu’ils soient étatiques ou industriels avec la question rémanente de qui a autorité sur qui …

 

En effet, il arrive régulièrement que l’optimum global ne converge pas avec les optima locaux : un directeur de programme peut légitiment faire valoir que certaines contraintes globales complexifient, renchérissent ou retardent son activité. Il faut alors arbitrer avec pertinence et au cas par cas pour sécuriser le programme sans pour autant dériver trop de la démarche globale.

On assiste en fait à un renversement de paradigme : le commandant, comme l’officier ou le directeur de programme ne sont plus seuls maîtres à bord : la démarche collaborative et la mise en ligne de produit qui en résulte leur imposent des contraintes, un peu comme lorsqu’on passe du sur mesure au prêt à porter …

Rêves et réalités

Le combat collaboratif naval ne pourra pas se concrétiser sans une autorité transverse, que ce soit aux niveaux étatique ou industriel. En ce sens, et à l’image des acquis SCORPION ou SCCOA, il apparait nécessaire d’accompagner le besoin AXON@V par la mise en place d’un Programme d’ensemble (PEM) au sein de la future LPM : A la fois pour porter cette transversalité avec l’ensemble des directeurs de programme navires… mais aussi pour apporter les ressources financières nécessaires, puisqu’il s’avère que ni les budgets des rénovations ou refontes de navires en cours, à commencer par les frégates Horizon, ni ceux des navires neufs, ne permettront de porter cet investissement.

Qu’en retenir ?

Il en résulte que la concrétisation du combat collaboratif naval ne pourrait probablement pas se réaliser sans la mise en place d’un programme d’armement transverse avec l’identification de deux équipes de gouvernance, l’une étatique, l’autre industrielle.

Dans ce cadre, à l’image de ce qui s’est pratiqué sur SCORPION et SCCOA, on pourrait imaginer d’instaurer une équipe de maîtrise d’œuvre industrielle d’ensemble qui viendrait assister la DGA et l’EMM dans le pilotage technique et programmatique du combat collaboratif naval. 

 

 

 

 Eric Bujon, IGA

Précédemment responsable du pôle système de systèmes à la DGA, Eric Bujon est désormais directeur de la stratégie et du développement système à Naval Group, domaine dans lequel il a occupé diverses responsabilités, de la préparation de l’avenir au Centre de Programmation de la Marine au début des années 90 à la direction technique de DGA TN entre 2008 et 2012 par exemple.

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