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L'institut de recherche biomédicale des armées (IRBA) est localisé à Brétigny sur Orge
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30 septembre 2019

LA PERCEPTION DE L’ESPACE SONORE ET SON INTÉRÊT EN AÉRONAUTIQUE

Publié par Guillaume ANDEOL, médecin en chef des armées | N° 119 - Le MCO

Ecrit avec la collaboration de : Jean Christophe Bouy, Ingénieur divisionnaire d’études et de fabrication et Thibaut Fux, ingénieur chercheur en traitement du signal acoustique

 

Comment avec simplement deux oreilles parvient-on à localiser précisément l’origine d’une source sonore ? Peut-on le simuler et l’utiliser ? l’IRBA conduit des recherches sur la spatialisation du son, afin de créer un espace sonore virtuel sous casque ; le pilote peut ainsi localiser une menace en écoutant une alarme mais aussi mieux comprendre un message radio en focalisant son attention sur la position de son locuteur comme il le ferait dans la vie quotidienne.


L’audition est un sens spatial. En analysant les sons parvenant à nos deux oreilles, notre cerveau est capable de construire une représentation spatiale de notre environnement. Cette faculté est étonnante car aucune information sur la position des sources sonores n’est présente au niveau de l’oreille interne. Deux objets spatialement proches stimulent des zones proches sur la rétine mais pas au niveau de l’oreille interne où les cellules sont simplement organisées selon la fréquence à laquelle elles sont sensibles. Ainsi le cerveau s’efforce de deviner la position des sources sonores à partir d’un ensemble d’indices rattachés aux différentes dimensions de l’espace (par exemple gauche/droite ou avant/arrière).

Les indices de localisation sonore


Les indices les plus intuitifs proviennent des différences perçues entre l’oreille gauche et l’oreille droite, ils sont appelés « indices binauraux ». Par exemple, si la source sonore se trouve à droite, alors le son qu’elle émet parviendra plus tôt à l’oreille droite qu’à l’oreille gauche d’où une différence inter-aurale de temps ; et du fait de l’atténuation induite par le crâne, plus fort à l’oreille droite qu’à l’oreille gauche, d’où une différence interaurale d’intensité. Par exemple si les différences interaurales sont nulles, la source se trouve droit devant, si elles sont maximales la source se trouve dans l’axe des oreilles à gauche ou à droite. Cependant, si une source sonore est située droit devant, les différences interaurales sont nulles que la source soit en hauteur ou au sol. Pour lever cette ambiguïté de position dans la dimension haut/ bas, le cerveau intègre des indices dits « spectraux ». Ces derniers sont plus subtils que les indices binauraux. Ils proviennent de l’effet de filtre acoustique produit par le relief anatomique et en particulier le pavillon de l’oreille externe. Ainsi, certaines fréquences du spectre du signal qui parvient aux oreilles vont être amplifiées et d’autres atténuées. Ce motif d’amplification et d’atténuation est directement fonction de la position de la source sonore dans la dimension haut/ bas. Ce motif est en grande partie arbitraire mais le cerveau peut l’utiliser pour localiser une source sonore car il a appris depuis l’enfance à associer tel motif avec telle position spatiale.

Figure 2 : Sujet au cours d’un entraînement à la localisation d’une cible sonore virtuelle. La cible est présentée sous casque, le sujet désigne la position perçue en pointant sur un globe représentant l’espace qui l’entoure. La position correcte est indiquée par l’allumage d’une diode rouge (en haut à droite). Le sujet apprend ainsi à améliorer sa capacité de localisation pour tirer pleinement parti de la spatialisation sonore.

Une expérience intéressante a eu lieu en 1998, elle a consisté à modifier la forme des oreilles externes de 4 volontaires par des moulages en silicone. Aussitôt après la pose des moulages, les volontaires perdent toute capacité à localiser la source sonore dans la dimension haut/bas. Cependant, au fil des semaines, et sans aucune consigne particulière, leur performance de localisation s’améliore jusqu’à égaler celle avec leurs oreilles nues. Les volontaires ont sans effort appris à utiliser une nouvelle paire d’oreilles. Lorsque les moulages sont retirés, ils peuvent de nouveau utiliser leurs oreilles « naturelles » sans produire d’erreur de localisation, comme s’ils avaient appris deux jeux de motifs d’indices spectraux, comme certains peuvent apprendre deux langues. Cette plasticité auditive a deux conséquences concrètes, la première intéresse l’audiologie et la seconde l’aéronautique.

Le vieillissement induit une perte de sensibilité dans les hautes fréquences (exploitée par les fameuses fréquences « anti-jeunes ! »). Or les indices spectraux se trouvent dans la gamme des fréquences concernées par le vieillissement car du fait de la petite taille des pavillons, leur action se manifeste au niveau des petites longueurs d’onde donc des hautes fréquences. Or le pavillon de l’oreille externe grandit avec l’âge, entraînant le recul des indices spectraux vers les basses fréquences. Ils redeviennent ainsi audibles pour les personnes âgées ! Grâce à la plasticité, chacun réapprend ainsi tout au long de sa vie à utiliser des indices spectraux différents au fur et à mesure que la forme de ses oreilles se modifie. Cette plasticité pourrait être aussi utilisée pour profiter de la spatialisation sonore en aéronautique.

La spatialisation sonore et ses applications à l’Institut de recherche biomédicale des armées

La spatialisation sonore consiste à capturer les indices de localisation (binauraux et spectraux) et à les reproduire sous casque afin de créer des sources sonores virtuelles. Leur capture peut être réalisée dans une chambre anéchoïque (voir Figure 1) semblable à celle de l’Institut de recherche biomédicale des armées. Un microphone est placé à proximité de chacun des tympans. Puis un signal est émis en provenance d’une source à une position donnée. Le signal recueilli par le microphone près du tympan est comparé à celui recueilli en l’absence du sujet. La différence entre les deux signaux intègre la combinaison des indices binauraux et spectraux codant pour la position de la source sonore. Elle correspond mathématiquement à une fonction de transfert (appelée fonction de transfert liée à la tête). L’opération est reproduite pour différentes positions de la source de manière à obtenir les fonctions de transfert pour toutes les positions voulues. L’application de la fonction de transfert à un signal présenté sous casque produit l’illusion que le signal provient d’une source sonore située dans l’environnement.

Figure 1 : chambre anéchoïque de l’IRBA. Le sujet prend place sur le siège situé en hauteur au milieu de la pièce. Le haut-parleur utilisé pour produire le signal permettant la mesure de la fonction de transfert est situé à droite. Il est mobile le long d’un arc, lui-même mobile autour du sujet, ce qui permet de mesurer les fonctions de transfert pour n’importe quelle direction.

 

La spatialisation sonore est utilisée en aéronautique pour améliorer la gestion des alarmes et des communications radio. La capacité de l’auditeur à percevoir des cibles sonores spatialisées en conditions aéronautiques (par exemple sous facteur de charge ou dans le bruit) a été vérifiée dans les laboratoires de l’IRBA. D’autres travaux réalisés à l’IRBA ont permis de quantifier l’impact de la différence entre les oreilles de l’auditeur et celles de la personne sur laquelle ont été mesurées les fonctions de transfert. Néanmoins, grâce à la plasticité évoquée plus haut, l’auditeur pourrait théoriquement apprendre à localiser avec les oreilles d’un autre, par exemple grâce à un protocole d’entraînement développé à l’IRBA pour l’entraînement à la localisation d’une cible auditive virtuelle (voir Figure 2).

En pratique, dans le cockpit, une alarme de menace pourra être spatialisée dans la direction de la menace pour faciliter son interprétation par le pilote. De même, tel canal radio pourra être spatialisé dans une position et tel autre dans une autre position. Cette configuration permet de jouer sur le démasquage spatial, également appelé effet « cocktail party » : le fait de diriger l’attention sur la position spatiale du locuteur permet de mieux le comprendre lorsque l’environnement est bruyant ou lorsqu’une autre radio est active simultanément. Une étude récente à l’IRBA a montré que la spatialisation réduit l’effort d’écoute et ainsi la charge mentale. Afin d’éviter la survenue d’erreurs ou d'accidents, la gestion de la charge mentale est apparue cruciale en aéronautique comme dans d’autres environnements aux interfaces humain/système complexes. Ainsi, il est prévu que le futur système de communication multi-conférences de l’armée de terre (radio CONTACT) soit doté de la spatialisation sonore pour prévenir la surcharge mentale du combattant.

 


Guillaume Andéol, médecin en chef des armées

Médecin militaire, chercheur en neurosciences et sciences cognitives depuis 2006 à l’Institut de recherche biomédicale des armées. Mes thématiques de recherche portent sur la préservation des capacités auditives du militaire face à un environnement aux multiples contraintes, depuis le bruit d’armes à la surcharge cognitive.

 

Auteur

Guillaume ANDEOL, médecin en chef des armées

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