Retour au numéro
Vue 87 fois
19 mars 2022

AUTOMATISATION DES NAVIRES ET AERONEFS
TRAVAUX D’ACADÉMICIENS

Il y a un continuum entre drones et véhicules autonomes. L’Académie de marine et l’Académie de l’air et de l’espace ont souhaité examiner ensemble les problématiques associées à l’évolution vers une autonomie croissante, principalement dans le secteur du transport.


Un colloque commun intitulé « Vers des navires et des aéronefs sans équipage ? » a été organisé les 9 et 10 décembre 2019. on trouve les actes sur le site web de l’Académie (https://www.academiedemarine.com/documents/Actes-Colloque-AAE-AM-V6.pdf). A la suite de ce colloque, les deux Académies ont constitué un groupe d’étude qui a produit un dossier plus synthétique et tentant de traiter tous les sujets en tirant les leçons du colloque. Beaucoup des conclusions de ce dossier se transposent aisément aux drones, notamment ceux qui peuvent être dangereux pour la circulation.

Le dossier est téléchargeable sur le site de l’AAE : https://academieairespace.com/wp-content/uploads/2021/01/Dossier50_AAE_AdM_FR.pdf

Mentionnons d’abord les engins marins de petite taille (entre 50 et 100 kg) qui ne sont pas considérés comme posant de problèmes de sécurité et n’ont pas été traités dans le colloque ni dans le dossier : ce sont principalement les flotteurs du programme ARGO et les gliders. Ces engins, dont l’autonomie va jusqu’à quelques années, plongent en mesurant des grandeurs physiques et remontent à la surface pour transmettre les données. Les gliders, qui peuvent se déplacer grâce à leurs ailes, peuvent aussi recevoir des ordres. Leurs analogues aériens, notamment ballons stratosphériques, sont soumis à un contrôle rigoureux en liaison avec le contrôle de trafic aérien civil.

Les principaux constats du dossier sont résumés ci-après.

La transition numérique des transports maritimes et aériens est largement engagée 

Et ce sont les drones qui ouvrent la voie. Les engins télépilotés et à conduite autonome se multiplient dans les forces aériennes comme dans les forces navales. Dans le domaine civil, les systèmes autonomes sont actuellement utilisés pour des applications de niche : transport entre ports proches dans les eaux territoriales, remorqueurs, ferries, encore au stade expérimental dans le maritime ; surveillance d’installations, prises de vues diverses dans l’aérien.

« On pourrait en conclure que les technologies pour développer un transport maritime et aérien sans équipage seraient à portée de main. Cependant de nombreux problèmes techniques, de normalisation et d’organisation restent encore à résoudre pour parvenir à la démonstration de conditions de sûreté et de sécurité acceptables ».

Les exploitants civils ne sont pas prêts à la disparition totale des équipages

« Aucun transporteur maritime n’envisage aujourd’hui la suppression totale et à grande échelle de l’équipage de conduite. En revanche, les transporteurs attendent d’un développement des automatismes, par exemple en matière de gestion de la navigation, une meilleure sécurité, une réduction des coûts et des émissions polluantes et une meilleure réponse ainsi qu’une plus grande résistance de l’ensemble de la chaîne logistique du transport maritime ».

« Les transporteurs aériens n’envisagent pas aujourd’hui la suppression totale de l’équipage sur les avions de ligne, pour des raisons commerciales car les passagers n’y sont pas prêts, mais aussi de sécurité et d’insertion dans le trafic aérien. Les recherches se portent sur le cockpit mono-pilote dont l’intérêt à moyen terme devra être réanalysé à la suite de la crise actuelle ».

La transformation numérique conduit à confier à des automatismes de plus en plus de fonctions critiques pour la sécurité

Quel que soit le degré d’automatisation, y compris pour les engins dits autonomes, l’homme reste quelque part dans la boucle, éventuellement en temps différé pour les engins sous-marins qui ne sont pas traités ici.

Dans le domaine maritime, l’automatisation progresse dans tous les domaines, se traduisant par la croissance du volume des données numériques et de l’interconnexion des systèmes, de plus en plus nombreux.

Il est convenu dans les milieux maritimes d’appeler e-Navigation, l’acquisition, l’intégration, l’échange et l’exploitation numériques à bord et à terre d’informations maritimes pour la navigation, la sécurité et la sûreté en mer ainsi que la protection du milieu marin ; sur la figure ci-dessus, la e-Navigation correspond aux services apparaissant sur la partie gauche. La gestion plus ou moins automatisée de ces différentes liaisons et leur exploitation dans un système de passerelle intégrée nécessite dès à présent un important travail de normalisation des formats de données, des protocoles et des interfaces, à l’échelle mondiale.

 

Un réseau complexe à intégrer. © Yves Desnoës

Les logiciels utilisés pour la navigation et les communications maritimes ne sont soumis à aucune exigence internationale de certification ou de classification. La comparaison entre aéronautique et maritime met en évidence cette lacune dont la correction permettrait certainement d’améliorer encore la sécurité maritime et deviendra de plus en plus nécessaire au fur et à mesure que progressera l’automatisation de la conduite des navires.

Ces remarques s‘appliquent aussi aux drones qui ont vocation à s’insérer dans la circulation maritime générale.

« Le monde aérien a jusqu’ici intégré les technologies nouvelles sans remettre en cause les niveaux de sécurité déjà acquis, grâce à une culture de sécurité largement partagée par les acteurs traditionnels, et une capacité de réaction aux risques nouveaux liés aux évolutions technologiques. Il devra donc veiller à ce que l’accès à l’espace aérien de nouveaux acteurs innovants mais disposant d’une culture de sécurité différente ne se traduise pas par un relâchement de ces objectifs, ce qui suppose une coopération très en amont avec ces nouveaux partenaires.

La systématisation des méthodes d’analyse de risques, déjà largement amorcée dans le cadre des systèmes de gestion de la sécurité, est sans doute le moyen de concilier recherche de l’innovation et maintien du niveau de sécurité attendu des activités aériennes ».

Sur l’utilisation de l’intelligence artificielle, il est conclu que « dès lors qu’une coopération restera attendue entre une intelligence artificielle embarquée et un opérateur humain, qu’il soit à bord ou à terre, la complète intelligibilité de la logique de l’automatisme par l’opérateur sera impérative, ce qui devrait interdire pour très longtemps l’utilisation de processus non-déterministes dans les fonctions de conduite ou de pilotage mettant en jeu la sécurité du véhicule ».

Le risque cyber est devenu le risque majeur en termes de sûreté

Les attaques se multiplient dans les deux domaines, et toutes ne sont pas rendues publiques. Les multiples interconnexions de logiciels de plus en plus complexes ouvrent de nombreuses failles. On cite par exemple le chiffre de mille aéroports victimes de cyberattaques chaque mois dans le monde.

A titre transitoire, le monde maritime met en place des mesures de « gestion de la cybersécurité » (cyber managed systems). Le domaine aéronautique insiste aussi sur cette gestion et semble plus avancé dans une approche « systèmes de systèmes ».

Le transfert de responsabilités du bord vers la terre va s’accentuer

Les navires ne sont pas soumis à un contrôle en temps réel aussi strict que celui des aéronefs, mais ils reçoivent de la terre de plus en plus d’informations pré-traitées, qu’ils n’ont pas toujours le temps de vérifier. 

« En ce qui concerne les minidrones ou les « avions taxis », on peut penser que le plus simple sera de continuer à les séparer comme pour l’aviation légère ».

Comme Marc Baumgartner l’a expliqué lors du colloque : « pour l’instant, les drones militaires ne sont pas intégrés dans le trafic civil ». Ils suivent des règles de la circulation opérationnelle militaire dans des espaces aériens réservés à leur mise en œuvre. Lorsqu’il y a interférence avec le trafic civil, celui-ci prend des mesures restrictives, que l’on ne peut envisager de généraliser pour des drones nombreux.

La plupart des grands opérateurs ont maintenant des centres de contrôle opérationnel qui aident à gérer les flottes, y compris sur des aspects temps réel (sans interférer avec le contrôle officiel), par exemple pour le routage des navires en fonction de la météo. 

Les ports et les aéroports sont des lieux de plus en plus complexes

La croissance de la complexité a déjà été signalée. Les drones y contribueront car ils sont également une des composantes de la transformation numérique. Ils trouvent leur application dans les ports pour la surveillance du domaine portuaire, la biosurveillance pour lutter contre les pollutions et le transport de marchandises.

« Ainsi le GIE HAROPA, dont fait partie le port du Havre, envisage d’utiliser des technologies de surveillance et biosurveillance aériennes par drones sur la Seine et aux accès du port. Et le port de Singapour teste un système conçu par Airbus de livraison de colis entre la terre et les navires. Prochainement, le drone décollera avec une charge utile de 4 kg et naviguera de façon autonome le long de couloirs aériens prédéterminés, jusqu’à trois kilomètres de la côte » (en essai depuis avril 2021).

Projet Shore-to-Ship Drone Delivery par Airbus – Port de Singapour. © Airbus

La formation devra être adaptée face à l’accroissement des automatismes car l’homme restera au cœur du système 

« Il est nécessaire de maintenir le « sens marin » et le « sens de l’air » nécessaires en cas de situation grave. C’est un des fondamentaux des deux secteurs. Les caractéristiques de ce sixième sens évoluent avec les métiers ; par exemple : le sens marin à la voile n’est pas le même qu’à la vapeur... Les organismes de formation, initiale ou continue, devront veiller à donner aux personnels de conduite des navires et des aéronefs une formation approfondie à la compréhension des automatismes, notamment en cas d’imprévu, connaissance appuyée sur des connaissances de base solides de leur métier. Par ailleurs, les concepteurs des automatismes et des interfaces devront veiller à concevoir des systèmes intelligibles par les opérateurs humains et permettant une récupération par ces derniers dans tous les cas de dysfonctionnement ».

L’acceptabilité de ces nouvelles technologies conditionne fortement leur développement

« L’acceptabilité conditionne aussi le développement des drones civils en ville (bruit, crainte d’espionnage, risque de collision, etc.) D’une façon générale l’acceptabilité s’améliorera sur la durée compte tenu de son caractère inévitable et des services qu’elle rend (aide à la décision, baisse des coûts). La sédentarisation des postes qui l’accompagne la rendra en outre plus acceptable par les personnels ».

 

Le Centre de contrôle opérationnel (CCO) d’Air France63.© Air France

Le cadre juridique s’adaptera à l’évolution technologique

Même si les situations deviennent plus complexes, les responsabilités seront recherchées auprès des mêmes, propriétaires et transporteurs pour le maritime, opérateurs et constructeurs pour l’aérien. Le droit s’adaptera en fonction des problèmes qui lui seront posés et ne devrait pas être un obstacle à l’autonomie. 

 

LA NORMALISATION DES NAVIRES ET DES DRONES MARITIMES

Yves Desnoës, de l'académie de Marine

La mer et les océans étant planétaires, la normalisation est pilotée par l’Organisation maritime internationale (OMI), qui dépend de l’ONU. L’OMI n’émet pas des normes techniques complètes, mais des « normes de fonctionnement (performance standards) » sur lesquelles s’appuient les organismes de normalisation proprement dits, principalement CEI (Commission électrotechnique intergouvernementale), ISO, AISM (Association internationale de signalisation maritime), OHI (Organisation hydrographique internationale). Le cycle complet dure rarement moins de six ans.

L’OMI a produit mi 2019 des DIRECTIVES (GUIDELINES) INTÉRIMAIRES relatives aux essais qui sont plutôt des recommandations et des objectifs louables, mais pas des solutions.

Fin juillet 2021, l’OMI a finalisé un « EXERCICE DE DÉFINITION (SCOPING EXERCISE) RÉGLEMENTAIRE POUR L’EXPLOITATION DES NAVIRES DE SURFACE AUTONOMES ». On est donc loin d’un dispositif opérationnel, mais les expérimentations avancent.

Côté français, on est allé un peu plus loin avec une ordonnance du 13 octobre 2021 qui distingue bien les drones des navires. L’extrait ci-dessous du compte-rendu du Conseil des Ministres la résume bien.

« Cette ordonnance a pour objet de lever les obstacles à la navigation et à l’exploitation d’engins flottants autonomes ou commandés à distance, tout en maintenant un niveau global de sécurité et de préservation de l’environnement.
Pour ce faire, elle crée, d’une part, une nouvelle catégorie d’engins flottants : les drones maritimes. Les engins entrant dans cette catégorie, c’est-à-dire les petits engins de surface ou sous-marins opérés à distance ou par leurs propres systèmes d’exploitation, sans personnel, passager ni fret à bord, seront soumis à un régime d’exploitation allégé et ne seront pas astreints à l’obtention de titres de navigation (permis de navigation, carte de circulation, etc.).
Néanmoins, les drones maritimes devront être immatriculés, posséder un pavillon, respecter les règles de circulation maritime et se conformer à des règles d’entretien et d’exploitation définies par voie réglementaire afin que les autorités de police en mer puissent effectuer leurs opérations de contrôle et assurer la sécurité de la navigation. Les drones maritimes seront également soumis à une obligation d’assurance afin de prévenir les risques d’insolvabilité en cas d’accident.
Enfin, les pilotes de drones maritimes devront être titulaires d’un titre de conduite en mer et d’une formation spécifique au pilotage d’un drone maritime correspondant aux caractéristiques du drone exploité.
D’autre part, cette ordonnance adapte la définition du navire afin de prendre en compte l’usage des navires autonomes. Les caractéristiques techniques (limites en taille, vitesse et puissance) permettant de distinguer un drone maritime d’un navire autonome seront précisées par voie réglementaire. L’ordonnance prévoit que ces engins demeurent commandés par un capitaine, soit la personne responsable de l’expédition maritime.
En l’absence de normes internationales encadrant les conditions d’exploitation et précisant les règles de conception applicables aux navires autonomes, cette ordonnance crée un régime spécifique d’exploitation expérimental pour ces navires. Cette mesure permet d’autoriser ces navires à prendre la mer dans les eaux territoriales françaises, pour une durée maximale de deux ans, et d’accompagner le développement de ce secteur émergent... »
Il est précisé par ailleurs que « si l’ensemble des navires autonomes militaires sont exclus de l’application des dispositions du code des transports, pour ce qui est des drones maritimes, seuls ceux relevant de la marine nationale en sont exclus. »

On notera qu’il n’est pas fait mention de la limite inférieure des drones, en taille notamment. Sur ce sujet, un arrêté de mai 2020 précise que sont soumis uniquement à un régime de déclaration préalable les essais d’engins autonomes remplissant les conditions suivantes : produit de la longueur par largeur inférieur à 10m2 ; produit du poids à vide en tonnes par la puissance en kw inférieur à 10 ; vitesse inférieure à10 nœuds ; pas de personnel ni de cargaison à bord.

Auteur

Yves Desnoës, a mené une double carrière, consacrée pour moitié à l’environnement marin, notamment au SHOM, dont il a été directeur, et pour moitié aux systèmes d’information. Il a été le fondateur du programme SCCOA - Système de commandement et de conduite des opérations aériennes dès 1986. Il est membre correspondant du Bureau des longitudes et ancien président de l’Académie de Marine. Voir les 9 autres publications de l'auteur

Articles liés par des tags

Commentaires

Aucun commentaire

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire. Connectez-vous.