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Case de mesures pour missile de croisière de conception américaine, © Curtiss-Wright
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16 juin 2023

DE L’ATMOSPHÈRE À L’ESPACE
TÉLÉMESURES ET NEUTRALISATION

Mon expérience récente au sein de Safran Data Systems m’a permis de découvrir la dualité d’une ligne de produits que j’avais pratiquée de près, du côté militaire, lors de mon début de carrière au centre d’essais de Biscarrosse : les équipements embarqués de télémesure et de téléneutralisation.


Côté militaire, la fonction télémesure-téléneutralisation consiste, lors d’un tir d’essai de missile, à retirer la charge utile de l’engin (mais non sa charge propulsive) et à la remplacer par une case de mesures, qui assure le plus souvent trois sous-fonctions :

- transmettre au sol des informations sur l’état interne du missile, via une chaîne de télémesure composée, à bord, de capteurs, de calculateurs électroniques, et d’un émetteur avec son antenne, et au sol, d’un récepteur avec son antenne, et d’un système d’exploitation ;
- transmettre au sol la position du missile, via un répondeur radar muni de son antenne ;
- recevoir du sol un ordre de maintien en vol (en continu) ou bien un ordre de destruction, généré sur ordre d’un opérateur au sol lorsqu’il juge que le missile a un comportement dangereux ; cet ordre est ensuite amplifié vers un dispositif qui interrompt le vol (selon la nature de l’engin en essai, par découpage pyrotechnique, arrêt moteur, crash volontaire…)
La case de mesures est donc l’équipement clé qui permet d’assurer la sécurité des personnes et des biens lors d’un essai de missiles.

Côté civil, la fonction télémesure-téléneutralisation est intégrée à tous les lanceurs spatiaux, mais ne vient pas remplacer la charge utile (satellite, sonde spatiale ou capsule habitée), puisqu’elle ne concerne pas seulement les vols d’essai, mais égalment les vols commerciaux de série. Par conséquent, les divers équipements qui composent la case de mesures ne sont pas nécessairement colocalisés. Ils incluent, comme pour un missile, des capteurs, des calculateurs, des émetteurs-récepteurs et des antennes radio.

L’expertise française en télémesure est l’héritière du programme d’études balistiques des années 1960 (les fameuses « pierres précieuses »), au sein duquel les premiers missiles balistiques et les premiers lanceurs spatiaux français ont été développés simultanément et conjointement, notamment grâce aux moyens du Centre interarmées d’essais d’engins spéciaux (CIEES) de Colomb-Béchar (actuelle Algérie). La séparation géographique des activités de tir (le civil à Kourou et le militaire à Biscarrosse) à la suite de la décolonisation de l’Algérie n’a jamais interrompu l’intense partage de technologies entre les deux secteurs, entretenu grâce à un tissu industriel commun (Aérospatiale comme intégrateur, Snecma pour la propulsion, Matra pour l’électronique, et une myriade de PME).

Les opportunités du New Space

Si l’arrivée de nouveaux acteurs du secteur spatial à la fin des années 2000 est venue remettre en cause profondément les logiques commerciales des acteurs historiques, la fonction télémesure-téléneutralisation a conservé sa place dans les nouvelles architectures : bien plus, la télémesure, employée dans le passé pour comprendre les causes d’une éventuelle panne en vol et améliorer continuellement la conception des lanceurs, est devenue un outil de communication majeur : la chaîne de télémesure s’est trouvée chargée de transmettre au sol les images des multiples caméras embarquées à bord qui permettent à des millions de téléspectateurs de vivre en direct ou en différé un lancement spatial comme s’ils y étaient. Ce besoin de communication grand public a conduit à faire évoluer la fonction télémesure pour permettre des débits de données décuplés.

Trente ans de miniaturisation des unités de télémesure : 1995, 2015, 2025. © Safran Data Systems

Trente ans de miniaturisation des unités de télémesure : 1995, 2015, 2025. © Safran Data Systems

Dans les années 2010, le secteur militaire a compris l’intérêt à la fois technique et commercial de pouvoir disposer d’un flux vidéo temps-réel en provenance d’un missile en essai, et a pu bénéficier des progrès faits côté civil dans les années précédentes.

Par ailleurs, la multiplication des micro-lanceurs permettant de placer en orbite basse des constellations de satellites légers a conduit les équipementiers à investir dans la miniaturisation : ainsi, après l’Unité centrale de télémesure (UCTM) d’Ariane 5 de la taille d’un pack d’eau, le Codeur multi-acquisitions (CMA) du M51.3 de la taille d’une bouteille, Safran Data Systems prototype aujourd’hui le µMA (micro-CMA) de la taille d’un stylo, qui trouvera sa place dans de multiples applications à volume contraint ; il ne faut cependant pas occulter les défis majeurs de dissipation thermique et d’interférences électromagnétiques que pose cette miniaturisation.

DE LA TAILLE D’UN PACK D’EAU A CELLE D’UN STYLO

Enfin, le perfectionnement des technologies de radio logicielle, surtout portées par le secteur militaire dans les années 1990, permet de bâtir aujourd’hui des émetteurs-récepteurs radio embarqués pour lanceurs et missiles à partir d’une plateforme matérielle commune, malgré les inévitables différences de standard de transmission qui séparent les deux domaines.

Challenges techniques et commerciaux

Si les environnements thermiques et vibratoires rencontrés par un lanceur spatial sont du même ordre de grandeur que ceux rencontrés par un missile, une différence de taille est l’exposition aux environnements radiatifs naturels (ERN) : vent solaire, éruptions solaires, magnétosphère... Par nature, un vol de missile est plus court qu’un lancement spatial, et atteint une altitude bien inférieure ; nous sommes donc dans un cas inhabituel où la résilience et l’endurance d’un équipement civil doivent être très supérieures à celles de son équivalent militaire. La redondance reste une solution assez répandue (on met deux équipements dans un lanceur là où on en mettrait un seul dans un missile, ce qui permet de tenir la durée de la mission spatiale), mais présente l’inconvénient d’alourdir le lanceur au détriment de sa capacité d’emport en charge utile. Le choix de composants résistants aux radiations, beaucoup plus coûteux, est souvent préféré par les acteurs du spatial ; l’augmentation de prix qui s’ensuit est souvent difficile à faire accepter côté militaire, ce qui pose le risque d’une divergence des technologies.

L’une des stratégies commerciales employées par les acteurs du New Space consiste à dégrader la fiabilité au profit du prix : si votre lanceur a un taux de panne de 10%, pour un prix deux fois inférieur à un concurrent dont le taux de panne est de 1%, vous êtes compétitif pour les charges utiles dont le prix est inférieur à huit fois celui du lanceur (faites le calcul !)

Les acteurs militaires, ainsi que les acteurs du spatial historique, tendent au contraire à vouloir diminuer au maximum le risque d’échec d’un tir d’essai de missile ou d’un vol de lanceur, quitte à en augmenter significativement le coût, tant pour des questions d’image que pour des questions de déterminisme calendaire : prendre le risque qu’un tir échoue, c’est prendre le risque de mettre en retard, côté militaire, la mise en service opérationnel, et côté civil, la mise en orbite de la charge utile.

Enfin, notons que le déroulement d’un projet militaire est parfaitement balisé, à base de procédures réglementaires, d’appels d’offres et de devis, de spécifications et de justifications, de revues et de fiches d’interface, avec seulement deux principaux missiliers en France et une poignée d’autres en Occident ; mais le tableau est tout autre côté spatial. Les acteurs historiques français, ArianeGroup et le CNES, suivent une logique assez proche de celle des marchés d’armement ; mais les multiples jeunes pousses du New Space français et européen ont besoin de trouver chez leurs partenaires une souplesse, une réactivité, et surtout des délais bien inférieurs aux trois ans qui sont le « ticket d’entrée » de tout projet militaire. À moins que les marchés d’armement ne parviennent à intégrer cette culture de la prise de risque et de l’adaptation réciproque, les sous-traitants duaux continueront de faire le grand écart en conduisant de front des projets aux rythmes très différents, ce qui n’est facile à gérer ni pour les équipes, ni pour les finances.

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Matthias Bry, IPA, architecte de cohérence du soutien pour les programmes missiles à DGA/DO/SMCO

X10, après un début de carrière à DGA Essais de missiles comme chef de projet moyens d’essais, puis comme directeur d’essais de missiles air-air, Matthias a occupé un poste de chef de projets équipements embarqués de télémesure-téléneutralisation chez Safran Data Systems dans le cadre de sa période d’ouverture. Il a rejoint le SMCO à son retour à la DGA.

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