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11 juin 2023

JANUS OU LES DEUX FACES DE LA DUALITÉ DANS L’AÉRONAUTIQUE

Comme les deux visages du dieu romain Janus, la dualité des activités d’Airbus a prouvé, au fil du temps, les avantages et les bénéfices qu’un groupe aéronautique pouvait en tirer. Comment cela se traduit-il concrètement et de quelle dualité parle-t-on ?


Chez Airbus, la composante civile et défense du groupe se reflète parfaitement dans notre raison d’être : « Etre les pionniers d’une industrie aéronautique et spatiale durable pour un monde sûr et uni ». Cette dualité est inscrite dans les gènes d’Airbus et dans son histoire : c’est grâce à la division Engins d’Aerospatiale qu’Airbus a pu voir le jour et lancer l’A300 ou, aujourd’hui, grâce à l’équilibre entre ses activités civiles et militaires que la résilience de notre division Hélicoptères peut en grande partie s’expliquer.

La dualité de nos activités n’est pas un hasard. Tous nos grands concurrents sont duaux. Ceux qui ne l’étaient pas ont disparu, victimes d’inversion de cycle ou de sous-criticité. C’est à la fois un axe stratégique de l’entreprise et une condition sine qua non d’un succès durable.

La dualité nourrit l’innovation et la compétitivité

La dualité nourrit indéniablement l’innovation et la compétitivité d’Airbus. L’innovation dans le domaine civil va venir tirer vers le haut la sécurité aérienne et la performance économique au profit des activités de défense. Les cycles sont longs et coûteux mais ils vont s’amortir par un effet de volume. L’innovation dans le domaine militaire vient tirer vers le haut la performance technologique pour garder un avantage stratégique et affronter des menaces toujours plus complexes. S’il fallait des exemples évidents, j’en prendrais deux. Le succès du programme Ariane, nous le devons à nos travaux sur les missiles balistiques. Et la réciproque est vraie : les activités civiles vont avoir la capacité d’adapter plus rapidement des technologies civiles, produites plus vite et en plus grand nombre, au monde militaire : saviez-vous par exemple que c’est le cockpit de l’A380 que l’on retrouve dans l’A400M ?

La dualité en deux images : le poste de pilotage de l’A380 est le même que celui de l’A400M 

La dualité en deux images : le poste de pilotage de l’A380 est le même que celui de l’A400M

Dans un domaine que je connais bien, les hélicoptères, la dualité s’exerce aussi entre la production d’appareils et les activités de soutien en service. L’équilibre qui s’est établi au fil du temps avec la dualité des plates-formes hélicoptères, est un bénéfice incomparable. En développant des versions civiles puis en proposant une version militaire (Ecureuil/Fennec, Dauphin/Panther, Super Puma/Cougar et aujourd’hui H160/Guépard), Airbus fait un meilleur usage de ses investissements en R&D et fait bénéficier les acteurs de la défense des exigences du plan de maintenance des appareils civils qui, par nature et souci de rentabilité, vont voler plus et consommer davantage de rechanges. En s’assurant de cette dualité, Airbus peut ainsi maintenir des sources de revenus stables même en cas de fluctuations du marché dans l’un ou l’autre de ces domaines.

La dualité est aussi une des conditions pour conserver une masse critique de compétences, en particulier dans le domaine de la défense. En tant qu’acteur de la souveraineté française, il est de notre devoir d’y veiller attentivement et de gérer ce savoir-faire grâce à la polyvalence des ingénieurs, en particulier pour les activités de conception. Ainsi, au cours de leur carrière, ils seront amenés à travailler sur différents programmes. Cela facilite également la recherche de synergies concernant les choix technologiques.

La dualité est une force

La recherche de synergies civiles et militaires s’exerce aussi en aval. Elle permet de préserver des plans de charges et des compétences au niveau des chaînes de production. De nombreuses différences subsistent dans la mesure où la conception d’appareils civils et militaires obéit à des critères très différents, mais la dualité permet de construire une logique générale de préservation de l’outil industriel.

La dualité est aujourd’hui une condition pour trouver les financements, notamment pour la recherche et les développements, pour les grands programmes et, pour notre plus gros défi : celui de la décarbonation. Je tiens à souligner l’importance des financements et soutiens étatiques : les investissements sont si importants qu’Airbus ne peut pas supporter seul le risque. l’entreprise le partage avec l’État, les États même pour des programmes multinationaux. En France et en Europe, les soutiens sectoriels existent : la loi de programmation militaire, les financements du CNES ou de l’ESA dans le spatial, ceux du CORAC dans l’aéronautique et le fonds européen de défense.

Quant à la flexibilité offerte par la dualité d’Airbus, elle permet de s’adapter à différents besoins du marché. Par exemple, si la demande pour de nouveaux appareils diminue, la société peut se concentrer davantage sur les services de maintenance et de réparation pour compenser cette baisse de la demande. Cela permet à Airbus de mieux naviguer dans un environnement économique changeant et de maintenir sa viabilité financière. Au-delà de la flexibilité de l’offre, la dualité contribue à la diversification des risques pour Airbus en répartissant ses activités sur plusieurs segments du marché. Cela réduit sa dépendance excessive d'un seul secteur ou d'un seul type d’aéronef, ce qui protège la société contre les chocs économiques ou les perturbations du marché spécifiques à un secteur particulier, voire contre une crise majeure comme notre compétiteur américain l’a vécu récemment.

La dualité comme avantage concurrentiel

Justement, en parlant de compétition, notre dualité nous fait bénéficier d’un avantage concurrentiel en proposant une gamme plus large de produits et de services tout en disposant d’une base de clients plus large et plus diversifiée. Nous renforçons ainsi notre position sur certains marchés et nous pouvons mieux répondre aux besoins diversifiés de nos clients, un avantage concurrentiel par rapport à certains de nos concurrents spécialisés dans un seul domaine.

La dualité est une des conditions de la masse critique, clé pour notre modèle économique, tout particulièrement dans la défense, et qui permet à Airbus d’accéder au niveau d’une entreprise de souveraineté, capable d’imposer des normes et standards (et non pas de se les faire imposer), de compléter les commandes d’État insuffisantes pour constituer un marché, de ne pas dépendre à l’excès de l’exportation (de plus en plus « challengée » dans la défense) et de favoriser la coopération multinationale.

En somme, la dualité offre plusieurs avantages à une société comme Airbus, grâce à ses produits (avions commerciaux et militaires, hélicoptères, satellites de télécommunication et d’observation de la terre, etc.), grâce aux technologies (digitalisation, IA, cyber, cloud et big data, matériaux, architectures de systèmes, savoir-faire d’intégration de systèmes complexes), grâce aux compétences employées, mais aussi en favorisant l’innovation, la compétitivité, les compétences, la flexibilité, la diversification des risques et en créant un avantage concurrentiel. Cependant, il est important de noter que la mise en œuvre réussie de la dualité peut également présenter des défis en matière de gestion, de coordination et de ressources, et nécessite une planification et une stratégie appropriées et coordonnées pour en tirer pleinement parti.

Airbus ressemble donc à Janus, personnage mythologique à deux têtes, avec, ne l’oublions pas, un visage tourné vers le passé car nous sommes fiers de notre héritage, et, de l’autre vers l’avenir afin de réaliser notre raison d’être : la dualité et la décarbonation.

A titre personnel, ce défi me passionne car l’aviation a vécu plusieurs révolutions. La première, au-delà de celle de mettre un objet plus lourd que l’air en vol, c’était la sécurité des vols. La deuxième fut celle de la démocratisation de l’aviation commerciale. La troisième, celle que nous vivons actuellement pour que ce mode de transport reste sûr, efficace et libre, est celle de la décarbonation et Airbus assume clairement son leadership dans cette ambition. Et le leadership, comme je le dis souvent, c’est la capacité à importer le stress - beaucoup de gens essayent de nous expliquer que ce ne sera pas possible - et exporter l’enthousiasme et là, chez Airbus on n’en manque pas ! Si j’étais un jeune ingénieur aujourd’hui, je serais fasciné et vraiment impatient de participer à une telle révolution.

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Guillaume Faury, ICA, CEO Airbus et president du GIFAS

Guillaume Faury est Chief Executive Officer d’Airbus depuis avril 2019. Auparavant CEO d’Airbus Helicopters et Vice-Président exécutif R&D chez Peugeot.

Il a débuté sa carrière en 1992 comme ingénieur navigant d’essai pour l’hélicoptère Tigre, au sein de la Direction Générale de l’Armement (DGA). Il est diplômé de l’École polytechnique et ingénieur de SUPAERO.

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