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Les fonds sous-marins : un monde à découvrir
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21 juin 2023

LES GRANDS FONDS MARINS : UN DOMAINE DUAL ?
DES UTILISATIONS MILITAIRES VARIEES

La capacité d’intervention par grand fond est utile en termes militaires pour pouvoir par exemple récupérer des objets tombés au fond, missile ou aéronef accidenté, comme ce fut le cas pour un avion F35 américain, qui a coulé fin janvier 2022 en mer de Chine lors d’un appontage raté ou pour un F35B britannique perdu en méditerranée en novembre 2021. La France a mis plus de 50 ans avant de pouvoir atteindre la Minerve, sous-marin qui avait disparu avec 52 membres d’équipage en méditerranée en 1968 et repose par 2350 mètres de fond ; encore, a-t-elle utilisé pour cela des moyens de recherche sous la mer américains.


Intervention Comex sur le Laboratoire sous-marin Provence Méditerranée (LSPM) implanté à 2450 mètres de profondeur, à 40 kilomètres au large de Toulon pour sonder le ciel à la recherche de neutrinos et étudier le monde mystérieux des grands fonds. (crédit : Comex/CNRS)

Intervention Comex sur le Laboratoire sous-marin Provence Méditerranée (LSPM) implanté à 2450 mètres de profondeur, à 40 kilomètres au large de Toulon pour sonder le ciel à la recherche de neutrinos et étudier le monde mystérieux des grands fonds. (crédit : Comex/CNRS)

Une cartographie précise des fonds permet aux sous-marins de se repérer de manière totalement discrète, en particulier avant un lancement éventuel de missiles stratégiques. La dissuasion française se doit donc de pouvoir s’appuyer sur une bonne connaissance des fonds jusqu’à une profondeur que je me garderai bien de dévoiler.

Le monde pétrolier est bien au fait de l’intérêt d’une meilleure connaissance du sous-sol marin. Lors de creusement de puits en mer, seul un forage sur trois est couronné de succès, or chaque percement coûte de l’ordre de deux cents millions de dollars. Une meilleure connaissance des fonds permettrait de largement améliorer ce taux de réussite médiocre.

Un rôle stratégique dans les relations internationales

Les 450 câbles sous-marins intercontinentaux par lesquels transitent près de 99 % des données numériques échangées entre continents sont simplement posés sur le fond par des navires câbliers qui ne les enfouissent qu’à proximité des côtes pour éviter les arrachements de câbles par des activités humaines, en particulier la pêche. Indispensables aux télécommunications modernes, ces câbles sont des équipements fragiles et leur importance stratégique pour l’économie mondiale en fait de potentielles cibles dans les conflits d’aujourd’hui et de demain - Le conflit en Ukraine rappelle cette vulnérabilité. Vecteurs stratégiques, jouant un rôle clé dans la maîtrise de l’information et la souveraineté numérique, ils ont déjà été des cibles dans les conflits interétatiques. En 2013, les révélations d’Edgar Snowden ont mis en lumière leur usage par les services de renseignement. Depuis, ils seraient au centre des activités étatiques de renseignement : plusieurs navires notamment russes, sont régulièrement repérés sur le tracé de certains câbles.

Ces câbles se retrouvent donc à la croisée de la compétition maritime croissante et des enjeux technologiques et stratégiques du monde cyber. Les États accordent désormais une grande attention à la protection de ces infrastructures. En 2020, l’OTAN a d’ailleurs inscrit cette priorité dans son agenda.

Des drones sous-marins permettraient de surveiller et protéger ces artères essentielles pour la bonne marche de nos sociétés ultra-connectées, une attaque coordonnée sur quelques câbles sous-marins bien choisis pourrait en effet complètement désorganiser notre monde occidental.

AUV Ulyx capable de descendre à 6000m (crédit : Ifremer Olivier Dugornay)

AUV Ulyx capable de descendre à 6000m (crédit : Ifremer Olivier Dugornay)

Le transport d’énergie (électricité, gaz, pétrole) repose également en partie sur des câbles ou tuyaux sous-marins. La connectivité de tous les territoires de la République autour du globe est un enjeu stratégique pour la France : une atteinte malveillante, coordonnée et massive, à l’intégrité de ces autoroutes de données ou énergétiques pourrait avoir potentiellement de graves conséquences sur la continuité des services ou isoler numériquement tout ou partie du territoire.

Par ailleurs, nous devons être en mesure d’agir en cas d’atteinte accidentelle ou naturelle à l’intégrité de ces infrastructures. L’attaque des gazoducs Nord Stream le 26 septembre 2022 en mer Baltique -quoiqu’ayant eu lieu à 70 mètres, à la limite supérieure du domaine des grands fonds- en est un exemple inquiétant.

Des ressources minières et halieutiques qui attisent les convoitises

Les richesses minières sous-marines, nodules et encroûtements polymétalliques, la localisation et les potentialités minières des monts sous-marins des océans sont encore mal connus, mais riches de potentialités.

Les grands fonds marins contiennent de vastes quantités de ressources minérales aux noms mystérieux : nodules polymétalliques, présents au fond des plaines océaniques, encroûtements cobaltifères et amas sulfurés. Les terres et métaux rares sont indispensables pour les équipements actuels de la transition écologique et font l’objet de toutes les convoitises.

Les ressources halieutiques dans la colonne d’eau sont immenses et totalement méconnues. Les scientifiques disent que les grands fonds marins contiennent une vie pour l’essentiel inconnue à ce jour. Il est ainsi estimé que la zone méso pélagique, de deux cents à mille mètres de profondeur, abrite plus d’un million d’espèces marines encore non décrites à ce jour et qu’on y trouve 90 % de la biomasse des poissons. Les cheminées hydrothermales et les monts sous-marins sont également des hauts lieux de biodiversité.

Les connaissances océanologiques sont fondamentales en climatologie : les échanges d’énergie entre les masses d’eau en profondeur ont une influence déterminante sur les phénomènes atmosphériques. On connait les conséquences désastreuses produites par le phénomène « El niño » baptisé ainsi car il apparaît au moment de Noël. Ses apports énergétiques gigantesques créent régulièrement au Pérou des pluies diluviennes avec des effondrements et glissements de terrains, causant d’énormes dégâts et de nombreux morts.

Pour en apprendre davantage sur ces fonds marins peu connus, la France peut s’appuyer sur l’excellence technologique de l’IFREMER qui, en partenariat avec Exail, a développé l’un des drones autonomes les plus avancé au monde, L’AUV Ulyx capable de descendre à 6.000 m de fond. Il est conçu pour mener des missions en totale autonomie pouvant durer plus de 48h dans des domaines très diversifiés comme la bathymétrie, la sédimentologie, l’océanographie. Pour cela, une batterie extrêmement large de capteurs peut lui être incorporée selon les besoins.

Grâce à sa forme hydrodynamique innovante et à ses deux propulseurs verticaux, il peut se stabiliser très près du fond pour fournir des images précises de sujets intéressants ou des analyses impossibles à réaliser en mouvement. Avec cette spécificité et sa capacité de connaitre précisément sa position par l’utilisation de référentiel sous-marin, ce drone pourra modifier son itinéraire en fonction de ce que ses capteurs détecteront et ainsi fournir des informations précises et complètes sur tout objet découvert lors de sa mission.

Une stratégie ministérielle de maîtrise des fonds marins

Le président de la République a fait des fonds marins l’un des dix objectifs stratégiques du plan « France 2030 », le ministère des Armées entend contribuer pleinement à la poursuite de cette ambition nationale. Citons la parole ministérielle : « L’audace, l’innovation et la force de l’engagement de toute notre communauté de défense seront nos meilleures alliées pour faire de la maîtrise des fonds marins un domaine d’excellence pour la France. »

Notre pays a d’ailleurs la chance de pouvoir s’appuyer sur un écosystème particulièrement riche d’entreprises de toutes tailles capables de développer des solutions souveraines et de faire de la France l’un des leaders mondiaux des grandes profondeurs. Outre Exail déjà cité, leader dans le domaine des drones sous-marins autonomes, à usage civil et militaire, Ship as a service, successeur de la Comex, spécialiste des interventions par grands fonds, travaille régulièrement pour la marine nationale ; Rtsys, PME lorientaise, a développé des drones pour les grands fonds ; Abyssa , entreprise basque, utilise des drones en meute pour cartographier les grands fonds marins.

Dans ce domaine la concurrence est sévère, ainsi le norvégien Kongsberg fournit des drones grands fonds aux pétroliers et à de nombreuses marines dont la marine nationale.

Conscient du potentiel du secteur et soucieux de développer l’excellence française dans ce domaine, le GICAN a créé un groupe de travail « Grands fonds » avec des entreprises dans lesquelles les ingénieurs de l’armement ont un rôle à jouer, au cœur de la dualité.

Photo de l auteur
Louis Le Pivain, IGA, Vice-président du GICAN, Président de Kermenez SAS

Conseiller du commerce extérieur de la France, membre de l’Académie de marine

De 1978 à 1989 a travaillé pour DCN à Lorient, en Arabie et au Canada. 1997/99 Directeur au SGDSN chargé de la coordination interministérielle de l’intelligence économique et du soutien à l’export Président de Raidco Marine de 2006 à 2018

Auteur

IGA, Vice-président du GICAN
Membre de l’Academie de marine
Président de Kermenez SAS
Conseiller du commerce extérieur de la France
De 1978 à 1989 a travaillé pour DCN à Lorient, en Arabie et au Canada. 1997/99 Directeur au SGDSN chargé de la coordination interministérielle de l’intelligence économique et du soutien à l’export Président de Raidco Marine de 2006 à 2018 Voir les 10 autres publications de l'auteur

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