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01 octobre 2014

GARDER LE CUTTING EDGE : LA R & T

 L’industrie française est capable de réaliser une gamme complète d’équipements de défense navale, du drone au SNLE, plaçant ainsi notre pays dans le groupe très restreint des nations les plus avancées. Il y a là pour notre souveraineté mais également un avantage économique, cette industrie pouvant à la fois satisfaire nos besoins de défense internes tout en étant largement exportatrice. L’acquisition puis le maintien d’une telle position ne sont pas fortuits. Ils s’appuient sur une longue expérience opérationnelle, un tissu industriel fort, une base scientifique et technologique de pointe. La continuité d’un effort soutenu de R & T, en amont des programmes d’équipement, en est une des conditions essentielles.


La maîtrise de la complexité

Les grands systèmes navals (sous-marins nucléaires, porte-avions, frégates) sont parmi les plus complexes des systèmes « ingéniérés» « cyberphysiques» (un SNLE compte un nombre de pièces de l’ordre du million, réparties en 75 000 appareils et près de deux cents installations, dont une centrale nucléaire et 16 missiles intercontinentaux et un ensemble de logiciels embarqués, pour la maîtrise de l’information, la conduite et l’aide à la décision).

L’architecture navale nécessite de maîtriser l’ensemble des interfaces entre composants et avec l’environnement physique et humain du système pour optimiser les performances d’intégration dites « transverses », c’est-à-dire celles qui sont propres au système dans son ensemble et ne peuvent s’obtenir, ni même se prévoir, par la seule juxtaposition des équipements de base. Cette maîtrise est le fruit de plusieurs décennies d’investissement financier et humain. Si les Etats-Unis tentent encore de maintenir, pour chaque type de systèmes, une compétition entre deux maîtres d’œuvres potentiels grâce aux développements de plusieurs prototypes concurrents, à l’échelle de la France, une telle compétition est hors de portée financière. La multiplication au niveau européen des maîtres d’œuvres navals, réels ou prétendus, constitue une source majeure d’inefficacité budgétaire et le principal frein à l’intégration industrielle.

Ce savoir-faire s’use rapidement si l’on ne s’en sert pas. Son maintien et sa transmission nécessitent un enchaînement suffisantde programmes nouveaux, nationaux ou export, notamment en matière de sous-marins. Des développements exploratoires, mettant en jeu une partie des outils et des compétences de conception, par exemple l’étude de « concept ships», permet de compléter, sans toutefois les remplacer, les exercices « en vraie grandeur ».L’architecture de systèmes navals ne se limite pas à appliquer des règles de l’art établies. Sous la pression d’objectifs nouveaux et de contraintes règlementaires et économiques toujours plus fortes, la complexité des systèmes augmente. Le recours à un cadre formel et à des langages partagés s’avère indispensable pour permettre le dialogue entre les différents acteurs. Une nouvelle approche de l’ingénierie des systèmes se développe avec sa théorie, la systémique, ses modèles architecturaux et ses outils d’analyse (gestion des exigences, simulation fonctionnelle, sûreté de fonctionnement,PLM…). Le développement et l’enseignement de cette discipline sont des enjeux forts de notre industrie de défense.Maquette numérique, réalité virtuelle, optimisation multicritères constituent le nouvel environnement de travail collaboratif des concepteurs. Le déploiement d’outils d’analyse, de visualisation et d’optimisation toujours plus précis et représentatifs est nécessaire pour réduire les délais de conception et les coûts de réalisation, maîtriser l’innovation, mieux prendre en compte les facteurs humains et sociologiques.

L’innovation technologique

L’architecte naval doit également disposer d’un catalogue de technologies innovantes. L’innovation technologique est la condition de la supériorité opérationnelle et de la compétitivité commerciale. Une part importante du développement technologique, principalement la démonstration expérimentale, est incluse dans les programmes. Toutefois, la pertinence et la faisabilité d’options technologiques nouvelles doivent être estimées en amont afin d’offrir, le moment venu, le catalogue le plus ouvert possible de solutions et une estimation satisfaisante des risques. C’est là le rôle de la recherche technologique.L’amélioration des performances de plateforme - qualités nautiques, furtivité, tenue et durabilité structurales - nécessite de nouveaux modèles numériques pour éviter le recours à des démonstrations expérimentales longues et coûteuses. Il faut rechercher de nouveaux matériaux, notamment des matériaux multifonctionnels, améliorer la tenue aux agressions tout en réduisant la masse, mieux résister à la corrosion. En matière de réduction des signatures, acoustiques et électromagnétiques, le défiaujourd’hui est dans le contrôle dynamique de ces signatures. Un objectif qui rattrape la science-fictionet nécessite de nouveaux progrès dans les domaines des matériaux commandables, des modèles de rayonnement, du traitement du signal.En matière d’énergie, il est nécessaire de trouver de nouveaux modes de production et de stockage pour accroître l’autonomie des sous-marins en plongée et augmenter l’efficacité énergétique des bâtiments de surface. La supraconductivité, les piles à hydrogène, les batteries à haute capacité sont autant de champs de recherche.La transformation de signaux multiples et hétérogènes en information et, au-delà, l’élaboration de la décision la plus appropriée sont le rôle d’algorithmes de traitement de l’information (analyse d’image, fusion de données, mining, parmi les « bigdata ») toujours plus sophistiqués. Mais plus les systèmes deviennent intelligents, plus leur interaction avec l’opérateur humain devient cruciale. La prise en compte des facteurs humains, individualisés et variables, s’avère primordiale.

Enfin, l’outil industriel et les processus de construction doivent tirer parti de la puissance des technologies de l’information (réalité virtuelle et augmentée, robotique, internet des objets) pour gagner en productivité et en sécurité.

Le nerf de la guerre

Dans les années 80-90, les constructions navales ont largement bénéficiédes ambitieux programmes d’études amont liés à la dissuasion. Les avancées technologiques réalisées grâce à ces programmes continuent à bénéficieraux programmes actuels, de sous-marins comme de bâtiments de surface. Dans le contexte de diminution continue des budgets, un tel effort ne pouvait être maintenu et se pose aujourd’hui de façon cruciale la question du financement du renouvellement de cette base technologique que la part navale des études amont de défense ne permet pas d’assurer.Nombre de technologies, hormis celles liées aux armes ou à la propulsion nucléaire, sont à la base duales et transfilières. Elles sont donc éligibles aux divers mécanismes de soutien à la recherche nationaux et européens : programmes de l’ANR, Nouvelle France Industrielle, Horizon 2020… Il n’existe malheureusement pas dans ces différents dispositifs de grand programme spécifiquement dédié aux technologies maritimes. Les pôles Mer et EMC2, l’Institut de recherche technologique Jules Verne, le programme Navire du Futur du PIA, permettent de mobiliser une vingtaine de millions d’euros de crédits publics de R & D par an, abondés d’un montant équivalent par les entreprises. Ces mécanismes favorisent une approche collaborative entre laboratoires publics, grandes entreprises et PME. Ils se rajoutent auCrédit Impôt Recherche dont l’effet sur le maintien d’une recherche industrielle active n’est plus à démontrer. A travers les travaux du Corican, la construction navale, une des onze filières industrielles stratégiques, s’est mobilisée depuis quatre ans pour tirer partie de ces dispositifs, avec un succès encore insuffisant, notamment en Europe. Une collaboration accrue, notamment entre industriels, laboratoires et centres de recherche navals, doit mieux se structurer.  

 

 

Advansea: Concept shipde frégate future. Programme fédérateur de recherche technologique

 

Démonstration expérimentale d’appontage automatique 

d’un drone sur la frégate la Motte-Piquet.

 

 

Prototype de robot pour opérations sur pièces de grandes dimensions (IRT Jules Verne)

 

Bassin numérique : 

simulation de l’éjection d’une torpille de sous-marin

 

    
Alain Bovis, IGA
X74-ENSTA, Alain Bovis a fait toute sa carrière à la DGA et à DCNS. Il y a exercé diverses fonctions de recherche, d’ingénierie et de management industriel. Il a été directeur de l’établissement d’Indret puis directeur général d’Armaris, filiale commune de DCN et Thales. Il a créé en 2010 DCNS Research. Expert en hydrodynamique, il a été lauréat du prix Roger Brard et du prix Girardeau de l’Académie de Marine.
 

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