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01 octobre 2014

ATTENTION, UN SOUS-MARIN PEUT EN CACHER UN AUTRE

Début septembre 2006, le jour de mon retour à Armaris comme responsable commercial en charge de l’Amérique latine, la presse brésilienne annonce que la COFIEX, commission en charge de valider le montage financier des acquisitions de l’Etat, a donné son feu vert au contrat d’acquisition de 3 ou 4 sous-marins allemands de type U 214. Il ne manque plus que les signatures du ministre de la défense et du président fédéral…. Ces signatures ne viendront pas !


En effet, le Président Lula a été convaincu par les responsables du programme nucléaire brésilien (voir encadré) d’en relancer les deux volets, centrales électronucléaires et SNA. Pour le premier volet, la construction de grands barrages rencontre de plus en plus d’opposition des mouvements écologistes internationaux et la taille du pays entraîne un transport d’énergie coûteux à longue distance. Pour le SNA, le président brésilien déclarera lui même avoir été sensible à deux arguments : primo, tous les membres du Conseil de Sécurité de l’ONU et eux seuls possèdent des sous-marins à propulsion nucléaire conçus et développés de façon plus ou moins autonome ; secundo, les nouveaux champs pétroliers sous-marins au large de la côte de Rio à São Paulo suscitent bien des convoitises et les sous-marins conventionnels sont vulnérables s’ils doivent se déplacer rapidement et loin car ils doivent faire surface régulièrement et les Brésiliens savent bien que c’est au moment où il monte respirer à la surface que le jacaré( petit caïman brésilien) se met à la merci du chasseur. Ainsi début 2007, le nouveau Commandant de la Marine déclare vouloir relancer le programme de SNA, mis en sommeil depuis plusieurs années, et explorer les possibilités de coopération. Les Américains opposent une fin de non-recevoir, les conditions posées par les Russes ne satisfont pas les Brésiliens ; restent les Français. Des contacts anciens mais discrets avaient montré qu’une base d’accord pourrait consister dans une assistance à la conception et à la réalisation d’un SNA mais sans intervention étrangère sur la chaufferie nucléaire elle-même, qui resterait à la charge exclusive des Brésiliens.Début 2007, une première ouverture faite par le président Chirac restera sans suite. Mais l’arrivée du président Sarkozy va changer la donne. 

Passant outre les objections que soulève ce projet auprès d’une partie de son administration, il propose à son homologue brésilien un partenariat stratégique incluant la coopération sur le SNA. Puis, au printemps 2008, les présidents, dont la bonne entente est devenue notoire, vont jusqu’à fixer au 28 décembre de la même année la date de signature de l’accord. Le chef d’état-major particulier de la présidence est chargé, côté français, de suivre l’avancement des négociations. Ce volontarisme politique s’est révélé précieux dans un pays où le temps n’a souvent qu’une valeur très relative !Entretemps, dès le printemps 2007, des négociations avaient commencé sur une offre spontanée de DCNS portant sur quatre SCORPENE, des torpilles et un transfert de technologie pour la construction locale des SCORPENE et la conception d’un « sous-marin de 3000 tonnes ». Je mène cette négociation entouré d’une équipe restreinte et motivée avec l’équipe brésilienne qui a négocié l’année précédente avec l’industriel allemand. L’ingénieur technico-commercial connaît le SCORPENE sur le bout des doigts et son sérieux est particulièrement apprécié de l’équipe brésilienne. La confiance règne.

Un projet qui enfle et accélère

L’accord entre les présidents ouvre de nouvelles perspectives. Il faut songer à la réalisation d’un chantier spécifique et d’une base de stationnement pour les futurs SNA car le chantier de Rio, situé en pleine ville, est vraiment inadapté. Une présentation très bien faite par notre camarade Vincent Page sur la configuration d’un « chantier-base idéal de SNA »  conçu à partir des enseignements tirés des installations analogues situées à Cherbourg, Brest et Toulon, séduit l’amiral directeur du matériel. Cela contribuera sans doute à rassurer le Conseil des Amiraux.Un partenaire industriel pour la réalisation du chantier est approché par DCNS : la société ODEBRECHT, l’un des quatre grands du BTP brésilien, entre dans le projet.Mais alors, pourquoi ne pas aller plus loin et proposer la création d’une entreprise commune chargée de la construction et de l’entretien futur des sous-marins ?  Il s’agirait pour la Marine d’une révolution à côté de laquelle le changement de statut des arsenaux français fait figure de réformette. Non sans perplexité chez certains amiraux, DCNS est invité à se jeter à l’eau et à proposer une organisation convaincante.

Un soir, j’expose à un membre de la direction générale d’Odebrecht, plutôt circonspect, le processus de construction d’un sous-marin et l’intérêt pour son groupe de se lancer dans cette activité nouvelle en y associant les réelles compétences existant déjà au sein de la Marine. Une question fuse : « Quel taux de marge peut-on espérer dans cette activité ? » Je fais la moue, incapable de répondre. Pourtant le partenaire va se laisser entraîner dans ce projet un peu fou qui l’engagera sur vingt ans voire beaucoup plus.Vient ensuite la présentation devant le gratin de la construction navale militaire de Rio d’une ébauche de société associant Odebrecht, DCNS et les ingénieurs de la Marine via l’équivalent local de DCN International. Le terrain est miné mais l’ampleur du projet et la volonté politique d’aboutir désarment les réticences et les idées fusent. Elles déboucheront sur la création de la société ICN (itaguaí Construções Navais).La négociation se poursuit mais il devient urgent de spécifier le chantier-base. Prenant l’initiative de proposer la création d’un groupe de travail intégré, associant l’équipe brésilienne de négociation, les services de la Marine compétents en infrastructures et nucléaire, Odebrecht et DCNS, je suis accusé de manque de respect à la Marine et seule l’intervention de pompiers efficaces m’évite un retour prématuré à Paris.En juin 2008, le PDG de DCNS, vient à Brasilia. Il s’entend dire par le ministre de la Défense : « Si nous ne signons pas le contrat à Noël, vous et moi, nous serons envoyés à Cayenne ! » Visiblement médusé, Jean-Marie Poimboeuf comprend alors que les Brésiliens sont fermement engagés dans ce projet. Il est vrai que les cabinets parisiens, toujours hostiles, s’efforçaient de minimiser l’affaire et que l’autorisation de la CIEEMG n’allait pas être une petite affaire. En attendant, la nomination d’un directeur de projet industriel, que je réclamais en vain depuis des semaines, est immédiatement décidée. Le camarade André Portalis est chargé de mettre en ordre de bataille les troupes de DCNS et de venir négocier les accords industriels avec notre partenaire Odebrecht. Il ne chômera pas.

Contrat cadre

Ma tentative de dynamiser la négociation avait tourné court mais l’incident avait donné matière à réflexion car le Commandant de la Marine décide alors de confierle pilotage de la négociation à un avocat de renom qui a sorti d’affaire la Marine dans un projet avorté de torpilles suédoises. Cet avocat, Me Sergio Sobral, malheureusement décédé au printemps dernier, va complètement changer le cours des négociations.Il commence par découper le projet en morceaux (kits SCORPENE, construction des SM, chantier, torpilles, transfert de technologie, contenu local…) et rédige un contrat-cadre décrivant sommairement chaque partie avec son prix mais renvoyant la négociation de chaque sous-contrat à l’année 2009. Le projet de contrat-cadre en portugais est une œuvre littéraire et juridique assez étrange mais sa traduction en français via l’anglais est absolument incompréhensible et soulève un tollé à Paris. C’est pourtant un texte proche de l’original qui sera présenté à la signature, le23 décembre 2008, comme prévu, peu après une ultime nuit de négociation. Nous apprendrons vite que si les étatiques  brésiliens adorent les contrats compliqués et léonins, il est admis que l’on renégocie ensuite sans complexes les points qui font trop mal. Fin 2009, lors de la signature des sous-contrats et plusieurs mois avant l’entrée en vigueur du programme, le contrat-cadre en était déjà à l’avenant numéro 7 !

2009, Le marathon de négociation

Une fois l’accord-cadre signé en présence des présidents Lula et Sarkozy, et après quelques jours de repos, c’est une équipe renforcée qui repart à Rio pour la négociation des huit sous-contrats, sans compter l’accord financier discuté dans d’autres enceintes. Fierté nationale oblige, Me Sobral, l’avocat désigné parla Marine pour conduire la négociation, exige que seul le texte portugais soit discuté, alors qu’aucun d’entre nous ne parle correctement cette langue!Après une tentative décevante de double projection portugais-anglais sur le mur de la salle, chaque français qui le souhaite est doté d’une jeune juriste brésilienne qui lui susurre à l’oreille une traduction anglaise des propos échangés ou affichés. Curieusement, juriste et financier trouveront l’âme sœur au Brésil mais ce ne sera aucun de ces anges gardiens dont les propos étaient probablement trop austères.Avant qu’un délégué local tardivement embauché ne trouve les bureaux adaptés à la phase finale des négociations et au lancement du programme, il avait fallu loger l’équipe soit une douzaine de personnes dans des locaux dédiés. Dans un souci d’économie je m’installe dans une vaste suite un peu vieillotte de l’hôtel Othon qui nous héberge à Copacabana. Les lieux sont transformés en salle de travail, la cuisine héberge les photocopieurs et tous les recoins, balcon et dressing compris, servent aux réunions de travail. Le rythme est intense mais les sous-contrats défilent lentement. Les négociations d’André Portalis avec le partenaire industriel sont également ardues. Les mois passent et c’est quelques jours seulement avant la signature à la date prévue du 3 septembre que les milliers de pages contractuelles et techniques seront finalisées et que nous pourrons dire, paraphrasant Saint Luc (17.10) : « ο οφειλοµεν ποιησαι πεποιηκαµεν, ce que nous devions faire, nous l’avons fait. »Plus sérieusement, ce succès n’a été rendu possible que grâce à :

- la volonté politique clairement affichée et maintenue des deux chefs d’Etat, 

- la bonne communication établie avec les diverses autorités brésiliennes concernées,

- le choix d’un partenaire industriel fiable,

- l’accompagnement indispensable de la Marine Nationale pour faire bénéficier son homologue brésilienne de son expérience, notamment dans le domaine de l’adaptation de la formation des sous-mariniers à la mise en œuvre desous-marins à propulsion nucléaire,

- la présence au sein de DCNS de spécialistes du meilleur niveau, non seulement en matière de sous-marin ou de torpilles, mais également en conception d’infrastructures et dans tous les domaines transverses, finances, juridique, assurances, avec une mention spéciale pour le fiscaliste car la complexité et le foisonnement de la fiscalité brésilienne n’ont d’égale que l’ingéniosité des mécanismes permettant de s’en prémunir ! Quant au choix d’un IA ayant une (petite) expérience de la réalisation de sous-marins nucléaires pour diriger la négociation contractuelle, il a au moins eu le mérite d’introduire un souci constant de réalisme dans des discussions qui tournent facilement à l’abstraction juridique. Un exemple parmi beaucoup d’autres : la partie brésilienne voulait introduire des clauses de résiliation contractuelles draconiennes, y compris pour la construction du SNA qui aura été conçu par les ingénieurs brésiliens avec une assistance technique française. Ce n’est qu’à l’issue de longues discussions sur le processus d’acceptation des sous-marins, la réalité des risques techniques encourus (retard dans la mise au point de la chaudière prototype, par exemple) et l’impérieuse nécessité politique de mener à terme un projet de souveraineté et d’ambition nationale que la partie brésilienne a accepté de privilégier la rédaction de mécanismes de concertation pour résoudre d’éventuels problèmes graves d’ordre technique ou calendaire, plutôt que des formules de résiliation automatique ne pouvant déboucher que sur une crise diplomatique.L’Unité de Fabrication de Structures Métalliques destinée à la construction des sections de coque de sous-marins a été inaugurée en mars 2013 et, en mai de la même année, le tronçon avant du premier SCORPENE a quitté Cherbourg pour Itaguai en vue de réaliser l’assemblage avec les sections réalisées localement. L’achèvement de la partie chantier de la base en construction sur l’île de Madeira dans la baie de Sepetiba est prévu pour la fin de l’année 2014.  

 

Un lieu de prestige pour signer les sous-contrats.

 

 

 

BRÉSIL, TERRE DE MISSION

Depuis le début des années 90, DCN International puis Armaris, filiale commune de DCN et Thalès n’avaient pas ménagé leurs efforts pour pénétrer le marché naval brésilien malgré le choix fait vingt ans plus tôt par la Marine brésilienne de s’équiper de sous-marins allemands. Cette coopération ancienne ne laissait guère d’accès possible dans ce domaine à moins de proposer une coopération dans les sous-marins à propulsion nucléaire. Mais le sujet était tabou!

Dans le domaine des navires de surface, un contrat avait été remporté dans les années 90 par DCNI pour la modernisation des frégates Niteroï, mais pour diverses raisons liées au partenariat local, ce programme plutôt réussi au niveau technique pesait sur l’image du partenaire français au lieu de la servir. Fin 2000, la vente par la France du porte-avion Foch, rebaptisé São Paulo, avait certes créé quelques liens qui se révèleront très utiles, mais la part industrielle de cette opération restait minime et une partie de la Marine brésilienne critiquait cette acquisition.

En revanche, l’investissement qu’avait constitué le détachement d’un ingénieur de DCN, puis l’organisation par ARMARIS de séminaires consacrés aux techniques de conception des sous-marins modernes avaient donné une très bonne image technique des compétences françaises aux équipes d’ingénieurs brésiliens.

 

 

 

 

LE NUCLÉAIRE AU BRÉSIL

Relevant des ministères de la défense sous le régime des militaires, le programme initial, dans lequel la Marine jouait un rôle central, comprenait les trois volets : électronucléaire civil, propulsion nucléaire et arme atomique. Le retour à la démocratie va s’accompagner du renoncement à l’arme atomique avec la signature du traité de Tlatelolco en 1990 et celle du traité de non-prolifération en 1998.

Dans le domaine électronucléaire, un premier projet de centrale à Angra dos Reis est lancé à la fin des années 60. La première tranche fournie par Westinghouse est inaugurée en 1985 et est en fonctionnement régulier depuis 1995. Une seconde tranche, qui a fait l’objet d’un accord germano-brésilien et d’un contrat avec Siemens a été couplée au réseau en 2001. L’achèvement de la troisième tranche a fait l’objet d’un contrat signé avec AREVA en novembre 2013.

Pour la production du combustible la marine a choisi l’ultracentrifugation avec une installation prototype au centre d’Aramar près de São Paulo et une unité industrielle qui a été inaugurée en 2006 à Resende à 150 km de Rio de Janeiro.

La production d’une chaufferie prototype destinée à la propulsion nucléaire d’un sous-marin a été lancée dans les années 90 à Aramar. Les principaux composants ont été réalisés mais le projet a été mis en sommeil au début des années 2000, faute de crédits. La signature en 2008 de l’accord franco-brésilien s’est accompagnée de la relance de ce programme majeur.

 

 

 

    
Henri de Bronac de Bougainville, IGA
Henri de Bronac de Bougainville (X71, ENSTA) a commencé à la section Réparations de la DCAN de Brest une carrière qui sera partagée entre le naval militaire et l’international avec sept années passées en service détaché au Conseil Régional des Pays de la Loire puis à la DATAR. A l’international, il a effectué des séjours au Chili et en Allemagne. Un passage à la DGA/DRI l’a conduit à exercer diverses responsabilités commerciales à DCN International, Armaris et enfin DCNS.
 

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