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16 mars 2016

LA FAILLITE DE LA PENSÉE MANAGÉRIALE

Fin connaisseur des organisations, François Dupuy adopte dans cet essai un ton volontairement incisif pour dénoncer la paresse intellectuelle dont font part successivement les managers, les écoles de management et les conseils en stratégie lorsqu’il s’agit d’améliorer le fonctionnement des organisations. Et cela décape !.


Dans un premier temps, il met en évidence la confusion fréquente entre structure et organisation, et constate qu’on passe son temps à modifier la structure, c’est-à-dire les organigrammes, les responsabilités et autres processus en croyant modifier l’organisation, c’est-à-dire le mode de fonctionnement au quotidien tel qu’il est vécu par les personnes. Or ce fonctionnement est complexe, par le nombre et la variété des personnes et systèmes qui entrent en relation. Par exemple, lorsqu’on impose une coopération et qu’on l’instrumentalise, cela revient à demander aux salariés de céder gratuitement une part de leur autonomie, donc de leur pouvoir. Pas étonnant qu’une réaction opposée se mette immédiatement en place et que le système se fige.

De même, on croit souvent à tort que le pouvoir appartient à la hiérarchie. L’exemple d’une banque dans laquelle le véritable pouvoir était détenu par les chargés de clientèle démontre le contraire. Mais pour s’en rendre compte, il est nécessaire de recueillir avec soin une grande quantité d’information venant du terrain. Or, la tâche de résoudre les dysfonctionnements est souvent déléguée à des niveaux intermédiaires alors que ce devrait être le rôle prioritaire du management. Cependant, déléguer ce rôle, même en l’habillant d’un titre, ne donne pas les moyens de le résoudre, si bien qu’en fin de compte, le management se cache derrière un sabir managérial peu compréhensible où l’on retrouve derrière le concept « flou » de leadership des solutions qui n’ont que l’apparence du bon sens alors qu’elles sont coupées de la réalité.

J’ai trouvé le passage sur le mode projet et celui sur la génération Y particulièrement savoureux.

Selon l’auteur, le contrat social qui reliait le salarié à l’entreprise a été depuis quelques décennies vidé de sa substance. Ainsi, lorsqu’on déplore que les jeunes générations n’ont plus de fidélité à leur employeur, on ne fait que mesurer que le lien que propose l’entreprise ne présente plus d’attrait ni d’intérêt à s’y impliquer. Seuls les jeunes, plus à même de comparer car connectés et plus mobiles, sont en mesure de le refuser. Ainsi, ils n’acceptent plus de mettre des coups de collier pour faire davantage que le travail si bien décrit sous forme de procédures et règles. Cela devient le règne du mode projet, seul moyen de faire bouger les choses ... et l’on ne trouve même plus de volontaires pour devenir chef de projet chez certains constructeurs automobiles !

François Dupuy aborde ensuite la question des valeurs de l’entreprise, qui se traduisent souvent en mots d’ordre, slogans, campagnes de communication. C’est selon lui un autre constat de la faillite de la pensée managériale, qui n’ose pas considérer que les personnels agissent de manière intelligente en s’adaptant aux règles qui leur sont imposées. Et pourtant, on ferait preuve de bon sens en considérant que les personnes agissent de façon rationnelle en fonction de leur intérêt immédiat et perceptible plutôt qu’en fonction d’un supposé intérêt général global à toute l’entreprise. Mais on préfère une solution plus simple en mettant en avant les grandes valeurs à la mode : innovation, coopération, client, confiance ... sans résultat. Devant les difficultés, bien réelles, les managers s’appuient souvent les uns sur les autres. Ce que quelquesuns ont affirmé, sans qu’on ait de certitude qu’ils l’aient bien étudié, devient rapidement une croyance commune, par paresse. Citons des concepts comme l’inertie de l’organisation, la peur du changement, la complexité du terrain, alors que l’on manque simplement d’un diagnostic approfondi. Et pour pallier ces difficultés, par un curieux retour de la bureaucratie, la solution revient à contrôler davantage, à multiplier les règles et les procédures.

Avant de conclure, François Dupuy donne quelques coups de griffes aux business schools et aux cabinets de conseil, en montrant en bon systémicien que leurs intérêts ne sont pas compatibles avec une remise en cause des modèles managériaux ni avec une analyse impliquant davantage les sciences sociales et ouverte à de l’innovation managériale : les professeurs sont jugés par leurs pairs et non par le marché, les senior partners gagnent à déployer des consultants.

Devant ce diagnostic sans appel, y a-t-il réellement des solutions ? Elles apparaissent au fil des pages à travers des analyses approfondies, débarrassées des aprioris pour comprendre l’origine des difficultés. Elles passent aussi par la construction d’une confiance avec les acteurs qui, proches du terrain, en connaissent le fonctionnement en détail, de manière à favoriser le changement de comportements vers un nouvel équilibre où chacun saura à quoi s’attendre.

Plus qu’un livre, « La faillite de la pensée managériale » est un manifeste en faveur de la reprise en main des organisations par l’intelligence et la compréhension. Un ouvrage qui s’insère parfaitement dans le thème « Acteurs d’innovation » de notre magazine.

Auteur

Rédacteur en chef du magazine des ingénieurs de l'Armement.
Coach professionnel certifié et accrédité "master practitioner" par l'EMCC.
Fondateur de Blue Work Partners SAS qui propose :<br>
- Formation au leadership
- Coaching de dirigeants
- Accompagnement d'équipes projets
X84, ENSTA, coach certifié IFOD,
Auteur du guide de survie du chef de projet (Dunod 2017).
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