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Cherchez ! Un biais cognitif est caché dans ce paysage...
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28 février 2018

LES PIEGES DE L'INCONSCIENT

 Comme d’autres pratiquants de ski alpinisme, j’ai subi des avalanches, heureusement sans conséquences, mais qui m’ont rappelé s’il le fallait la criticité des prises de décision dans la conduite de ce type d’activité.
A côté des formations « en dur » sur le terrain, j’avais été formé à la prise de conscience des « biais cognitifs » qui viennent dominer la réflexion rationnelle. Ils concernent les décisions sur la façon d’atteindre un sommet ou d’y emmener un groupe, ce qui – une fois les skis rangés – présente des similarités fortes avec celles nécessaires à la conduite d’un projet d’ingénierie ou au pilotage d’une équipe...


En 2002, le chercheur Ian McCammon mène une étude statistique sur les causes d’accidents par avalanche en ski alpinisme à partir de relevés établis depuis 1972 aux Etats-Unis. Il observe que dans un grand nombre d’accidents la situation de danger était facilement objectivable par les skieurs alpinistes sur le terrain. Il rejoint une situation déjà observée dans le domaine de l’économie comportementale : « Bien que les individus soient capables de prendre des décisions d’une façon rigoureuse et méthodique, il apparait souvent qu’ils ne le font pas3 ». Des mécanismes viennent perturber l’analyse rationnelle. Intuitifs et ancrés au plus profond de l’être humain, ils permettraient sans que nous ayons conscience de leur existence ou de leur activité de prendre les décisions de la vie quotidienne : traverser une route, établir une relation sociale...

Comme on a toujours fait

Le premier des mécanismes de McCammon est celui de l’« habitude ». C’est un mécanisme instinctif très économique dans la vie quotidienne : au lieu d’analyser à chaque fois un jeu de données pour prendre une décision, l’individu reproduit le choix qu’il a réalisé dans une situation similaire et que le retour d’expérience a montré satisfaisant. C’est le mécanisme qui permet de trouver son chemin sans

y penser sur un trajet quotidien. La plupart du temps il est fiable, mais si un élément change alors que la situation reste globalement familière, souvent cet élément ne sera pas pris en compte et la décision pourra être mauvaise. En montagne, il est apparu à McCammon que c’est le premier générateur d’accident : 70 % des accidents analysés concernent une pente neigeuse familière pour les victimes. De façon intéressante, McCammon découvre dans son analyse que ce piège concerne tout particulièrement les skieurs alpinistes expérimentés : sur des parcours familiers ceux-ci apparaissent confrontés à un risque d’accident aussi élevé que les novices. Parce qu’ils ont jusqu’ici toujours pris la bonne décision, ils semblent économiser le temps du raisonnement et, de façon statistiquement significative, l’« habitude » annule le bénéfice d’être expérimenté. Dommage...

Avec la process communication


Le second mécanisme est celui de l’« engagement ». Dans ce mécanisme, la prise de décision s’effectue non pas par analyse d’un ensemble d’informations mais par référence à une première décision qui sert de justification à toutes les suivantes. Simplifiant énormément la prise de décision, il s’appuie sur l’objectif inconscient de l’individu de rester essentiellement cohérent. En montagne, l’engagement consiste à avoir un objectif initial prioritaire: s’il peut aller jusqu’à l’obstination (atteindre le sommet à tout prix), l’objectif peut être aussi parfaitement raisonnable (rentrer avant la nuit, faire vite à cause de la météo...). Il conduit à ne pas voir les signaux danger pourtant visibles d’une situation, puisqu’il faut rester cohérent avec l’objectif initial : dans l’étude de cas de McCammon l’« engagement » dans un objectif particulier est un facteur de risque avéré pour le déclenchement d’avalanches. Redescendu de sa montagne et dans un autre contexte, un skieur qui sera « travaillomane persévérant » pourra être exposé au même piège de l’engagement, si son « driver » instinctif de classement dans une organisation bien définie ou de conformité à un principe moral même objectivement bon – vient à prévaloir sur une analyse qui serait strictement rationnelle.

Le « positionnement social », autre piège, consiste à inclure comme un des éléments orientant une prise de décision la présence d’un autre individu ou groupe susceptible de nous regarder. En montagne, dans 200 cas analysés sur 700 il joue comme facteur d’amplification, dans deux sens : un groupe peu confiant dans ses compétences renoncera plus souvent à s’engager pour skier dans une pente incertaine s’il a croisé un autre groupe; à l’inverse, un groupe s’estimant compétent prendra plus de risque si d’autres individus le regardent. Le piège social est très classique pour le skieur que l’on observe sous le télésiège : celui-ci va généralement plus vite, plus fort s’il est regardé... repoussant parfois ses limites (jusqu’à la chute). Il est évident, une fois les vacances finies, que les empathiques sont intrinsèquement sensibles au positionnement social, et de façon stimulante ou inhibitrice.

Le dernier piège concerne typiquement – de retour dans la vallée – les tempéraments promoteurs : c’est « la sensation de rareté ». Il s’agit en montagne en particulier de la recherche du sommet ou du champ de poudreuse. De façon statistiquement nette dans l’étude de McCammon, la volonté de passer devant d’autres skieurs qui seraient susceptibles – de façon avérée ou non – d’accéder au sommet ou à la pente vierge conduit des individus à ne pas prendre en compte les signaux de danger de pentes avalancheuses alors qu’ils sont évidents. Plus généralement, les spécialistes du comportement humain notent qu’au-delà du besoin de liberté, les individus peuvent exagérer la valeur des opportunités qui se présentent du moment qu’ils les perçoivent comme limitées, et peuvent entrer en compétition avec les autres pour les saisir, au-delà de toute démarche rationnelle.

Retour d’expérience

L’étude de McCammon établie à partir de cas réels dramatiques a permis de compléter les outils de maîtrise du risque d’avalanche fournis aux pratiquants de ski alpinisme. Comme elle sert le chef de groupe ou de projet en alpinisme, la connaissance des pièges de l’inconscient peut être utile également à l’ingénieur. Utile dans sa vie professionnelle, à défaut lors d’éventuels congés d’hiver : si, alors que vous vous savez d’habitude être un skieur plutôt moyen, vous vous sentez envahi d’une extraordinaire bouffée de confiance en haut de ce champ de bosses difficiles – certes – mais vierges, sous ce télésiège rempli d’un public qui vous regarde, envisagez l’éventualité d’un biais cognitif... 

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Auteur

Sébastien PLUMET (1978)

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