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Rafale M au catapultage, avec son armement
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02 juin 2015

LE RAFALE OU LA POLYVALENCE DURABLE
UNE LONGUE HISTOIRE ET TOUJOURS D'ACTUALITÉ

 Après des études prospectives, les premiers travaux techniques sur le ou les avions de combat devant succéder aux Mirage et Jaguar pour l'Armée de l'air, et aux Crusader et Super-Etendard pour la Marine ont débuté à la DGA en 1978, voilà bientôt 40 ans ! Le Mirage 2000 prototype de défense aérienne venait de faire son premier vol, le Super Etendard arrivait tout juste dans la Marine et l'on pensait déjà à l'avion suivant. Les temps ont bien changé.


Des Mirage au Rafale

Pour l'Armée de l'air il s'agissait de remplacer d'abord le Jaguar pour la mission air-sol et beaucoup plus tard les Mirage F1 C pour la défense aérienne. Pour la Marine il s'agissait de succéder d'abord aux Crusader vieillissants pour la défense aérienne du groupe aéronaval autour du porte-avions Foch et, beaucoup plus tard pour le Charles-de-Gaulle, aux Super-Etendard qui venaient d'entrer en service sur le Foch et le Clemenceau. La notion de défense aérienne rapprochée du territoire national qui avait présidé, au fond, à la conception des Mirage s'étendait à celle plus vaste de supériorité aérienne sur des théâtres parfois lointains, et on cherchait des capacités offensives très augmentées par rapport aux générations précédentes.

La question posée était celle de savoir si, compte tenu de l'expérience acquise et des perspectives technologiques, il était envisageable de développer un couple avion-moteur, et un seul, pour satisfaire l'ensemble des besoins. Le Rafale d'aujourd'hui n'est pas le premier avion au monde à être polyvalent air - marine. Les F4 Phantom et F18 de l'US Navy ont fait une belle carrière en version « air », mais les porte-avions US ont un tonnage double des nôtres. Il y avait eu en France des tentatives infructueuses de navalisation du Jaguar et des avant-projets de Mirage navalisés. Le Mirage III E a été un avion multi-missions pour l'Armée de l'air. Un amiral disait « faites moi un bon avion embarqué, vous en ferez un bon avion pour l'Armée de l'air ; dans l'autre sens, ça ne marche pas ». En nombre d'avions commandés et en capacités de financement pour un développement, le centre de gravité était quand même du côté Armée de l'air. La Marine avait une vraie urgence calendaire, l'Armée de l'air beaucoup moins. Les Mirage 2000 DA et N étaient en développement et une version air - sol conventionnel du Mirage 2000 N pouvait sans problème succéder au Jaguar. Il n'y avait donc pas urgence absolue côté Armée de l'air. Le Super-Etendard entrait en service, mais cet avion ne pouvait pas remplir les missions de supériorité aérienne. Dans un contexte analogue la Marine s'était tour1) STPA : Service technique des programmes aéronautiques née dans le passé vers le Crusader américain. Bien que le Charles de Gaulle ait été la solution nominale pour succéder aux Foch et Clemenceau, certains dans la Marine continuaient à considérer des bâtiments plus petits (12 ? 15000 t), pour réduire les coûts, sans brins d'arrêts ni catapulte sur le modèle de la Royal Navy à l'époque et des US Marines encore aujourd'hui, avec des avions V/STOL du type Harrier et dérivés. Cette option a été vite écartée à partir des modélisations, faites au STPA1, qui concluaient à l'impossibilité de remplir toutes les missions avec un concept type Harrier, même amélioré, à un horizon prévisible. Les américains l'ont tenté beaucoup plus tard ?. avec le JSF F-35 qui est en fait un programme de 3 avions pour l'Air Force, les Marines et l'US Navy avec un tronc commun assez réduit. La version B des Marines à atterrissage vertical a renoncé, comme prévisible, au concept aéro-propulsif du Harrier et a repris la formule très complexe expérimentée en France par le Mirage V « Balzac », et utilisée sur les porte-avions russes avec le Yak 36, avec réacteurs de sustentation dédiés? que les ponts d'envol supportent mal.

La conclusion préliminaire a été que, choix judicieux de formule et préparation technologique aidant, l'option d'un même avion conventionnel air et marine pour la France n'était pas irréaliste. La formule delta-canard qui était privilégiée pour ses performances en vol n'était cependant pas la plus facile pour l'embarquement sur porte-avions. Il a fallu beaucoup d'études compliquées, y compris celle d'un mini-tremplin, avant d'aboutir à la solution simple, relativement, d'un train avant « sauteur » à restitution d'énergie pour le Rafale Marine. Un choix V/STOL aurait conduit à terme à prendre le JSF. Restait cependant ouverte l'option F 18 si on ne convergeait pas rapidement vers un avion unique avec un tronc commun air-marine suffisant. L'optimisation du tronc commun a fait l'objet d'études précises et le débat, très animé, Rafale Marine contre F-18 fut finalement tranché des années plus tard au plus haut niveau de l'Etat. L'amiral avait raison, l'avion marine était le plus difficile à faire, et il fallait éviter de pénaliser la version air, c?ur de programme. En effet, fallait-il dimensionner l'avion de combat français de nouvelle génération pour remplacer un petit nombre de Crusader hors d'âge, pour un porte-avions, le Foch, lui-même en fin de vie, par seulement quelques dizaines au mieux d'avions embarqués ? Certains disaient que le jeu n'en valait pas la chandelle, d'autres que si, quand même, pour ne pas acheter à l'étranger du moment que, cette fois, l'industrie nationale pouvait fournir une solution avec un tronc commun Air - Marine.

Si toutes les aéronavales d'Europe ?

Le compromis était difficile à trouver car les installations aviation du Foch étaient bien évidemment figées et les objectifs capacitaires de l'avion ambitieux. Le projet Charles de Gaulle offrait encore des possibilités d'évolution, mais limitées par la réutilisation imposée des chaufferies nucléaires K 15 des SNLE. Les performances aérodynamiques du Rafale, sa masse et son architecture sont étroitement liées à ces contraintes. Il se trouve que les contraintes du Foch pour l'avion en mission de défense aérienne et celles du Charles de Gaulle en mission d'assaut à la mer, avec des masses au catapultage et à l'appontage plus élevées, ont été trouvées équivalentes du point de vue des limites de masse à vide de l'avion préservant une capacité d'emport de carburant et d'armements suffisante. Le Foch, dans la mesure où ses Rafale seraient affectés à la supériorité aérienne, n'était donc finalement pas plus contraignant que le Charles de Gaulle plus tard. L'objection de la durée de vie limitée des quelques Crusader et du Foch pour dimensionner l'avion de combat des décennies à venir tombait.

Ceci explique d'un point de vue technique, hors les nombreux autres aspects, qu'il n'a pas été possible de s'entendre avec nos partenaires européens sur un avion commun car nous étions les seuls à garder des porte-avions conventionnels et vouloir préserver l'option d'une version embarquée très dimensionnante pour la conception de l'avion. Par exemple, la disposition des entrées d'air imposée par le catapultage par le train avant requis de nos jours pour simplifier la mise en ?uvre. Ceux de nos ex-partenaires européens qui avaient une aéronavale embarquée sur porte-aéronefs de 12 à 20 000 t sans catapultes, le Royaume-Uni, l'Italie et l'Espagne ont dû ou devront passer au JSF pour succéder à leurs Sea Harrier. Ironie de l'histoire, les britanniques ont évolué depuis vers des porte-avions de 60 ? 70 000 t, envisagé tardivement des catapultes en passant du JSF-B V/STOL des Marines au JSF-C catapulté de la Navy, fait mine de s'intéresser au Rafale Marine au passage, ont renoncé à tout cela en gardant in fine des navires sans catapultes avec le JSF-B V/STOL développé pour les Marines. En plus de l'Eurofighter pour la Royal Air Force qui n'est pas navalisable en pratique et n'a rien en commun avec le JSF ? La politique française a été moins heurtée et elle a résisté à l'épreuve du temps.

Si en ce temps là, en 1985 - 90, il y avait eu une vision franco-britannique commune sur les porte-aéronefs et l'aviation embarquée, la face de l'Europe aurait pu, sur le papier au moins, en être changée.

Un programme minutieusement préparé

Les compromis cellule - moteur ont été résolument orientés vers les missions air - air car l'expérience passée des Mirage montrait qu'il est facile de transformer un avion de supériorité aérienne en avion air - sol très valable. En revanche, des avions trop optimisés autour de la mission air - sol comme le Jaguar ou le Tornado ne peuvent pas faire de bons « chasseurs ». Autant la partie « systèmes embarqués » peut évoluer au cours du temps, autant la composante cellule est peu évolutive. Le moteur peut évoluer dans certaines limites tant qu'on reste compatible des débits possibles de la manche à air sans refaire le fuselage. Le radar multi-modes du Rafale, quant à lui, passe aujourd'hui aux modules actifs, étape introduite à la fin des années 80 dans les feuilles de route radar.

Depuis le début des années 80 avait été en effet mis en place un plan très complet d'études orientées « avion de combat futur », technologies et sous-ensembles clés, démonstrateurs complets dans tous les domaines : cellule, moteur, équipements, armements et système.

L'architecture de l'avionique et les outils de développement ont été conçus pour permettre de qualifier vite des fonctionnalités nouvelles et armements non prévus au départ. Les très nombreuses versions du Mirage 2000, deux versions monoplace de défense aérienne pour la France, la version biplace nucléaire, les différentes versions export, et l'engorgement des moyens de développement qui en a résulté avaient servi de leçon.

Les systèmes tels que l'hydraulique, l'électricité et le conditionnement, etc. et les interfaces homme - machine correspondantes n'ont pas été oubliés. Ces technologies sont aujourd'hui devenues standard dans l'aéronautique civile : hydraulique à 350 bars, réseau électrique à fréquence variable, numérisation, etc.

On restera « discret » sur la réduction des signatures radar et infrarouge qui a permis de minimiser la vulnérabilité. Le Rafale n'est pas un avion complètement furtif, la versatilité recherchée nécessitant l'emport d'un grand nombre de charges externes, carburant et armements, et la furtivité étant une notion très relative pouvant mener à une véritable escalade technologique.

Ces travaux de pré-développement et d'optimisation d'ensemble ont été pilotés par une équipe étatique s'appuyant sur une équipe industrielle dite de coordination industrielle et dont les principes avaient été éprouvés pour le développement des systèmes embarqués du Mirage 2000. La coordination industrielle a été étendue par rapport au Mirage 2000 pour traiter, dès avant le développement, les problèmes critiques d'intégration et on n'a pas hésité à dupliquer les travaux dans les situations de concurrence pour être assurés de recueillir les meilleures idées.

Fort des expériences précédentes, et progrès techniques aidant, l'avion et ses systèmes ont été conçus pour être robustes aux évolutions des besoins opérationnels. Plus que la polyvalence, c'est la « polyvalence durable ». Les bases en ont été jetées au début des années 1980, en pleine Guerre froide, et cet avion fait « le job » sur les théâtres actuels, et plutôt bien, avec des armements non prévus au départ et qualifiés rapidement. Trente ans après, les fondamentaux de ce système d'armes n'ont pas pris une ride et le Rafale est continûment amélioré. Dans les nombreux différends que nous avons eus vers 1985 avec nos amis européens il y avait celui-là : nous pensions d'expérience avec nos camarades de l'Armée de l'air et de la Marine que les besoins opérationnels sont difficiles à prévoir, surtout lorsqu'ils concernent l'avenir ? et qu'il fallait donc éviter une trop grande spécialisation en privilégiant les capacités d'évolution. L'Eurofighter a été calibré et « architecturé » uniquement autour de la défense aérienne du continent européen contre le pacte de Varsovie depuis des bases terrestres. On le voit peu sur les théâtres actuels. Il deviendra plus polyvalent un jour, à n'en pas douter, mais cela prendra du temps et de l'argent.

Un programme controversé et pourtant ?

Le Rafale a soulevé les passions ; on était pour ou on était contre ! Après quelques déceptions il vient de connaître ses premiers succès à l'exportation dans des compétitions très ouvertes, choisi par des pays qui ont des enjeux de défense importants.

Cet avion a des capacités très supérieures à ses prédécesseurs Mirage, mais il est évidemment plus coûteux unitairement. C'est un choix raisonné bien adapté au contexte d'opérations actuel. Ces capacités viennent qualitativement des systèmes embarqués, qui n'ont pas fini d'évoluer, mais quantitativement du couple cellule - moteur qui permet une grande puissance de feu sur des théâtres lointains, en simplifiant beaucoup le problème du ravitaillement en vol, et en revenant le cas échéant se poser sur le « mouchoir de poche » d'un porte-avions ! Pour des coûts de développement qui, pour élevés qu'ils furent, n'ont rien à voir avec les gouffres financiers des programmes étrangers cités dans cet article.

C'est le premier programme d'avion de combat de l'Armée de l'air et de la Marine depuis la seconde guerre mondiale qui ait fait l'objet d'une fiche programme commune constamment mise à jour mais jamais remise en cause et d'une préparation aussi rationnelle. Comme dans les manuels de conduite des programmes d'armement !

Sur ce thème on renvoie le lecteur à l'?uvre collective COMAERO qui relate en détail l'historique mouvementé des programmes aéronautiques français depuis la seconde guerre mondiale dans un contexte pourtant figé de guerre froide : changements fréquents de fiches programmes suivant les priorités opérationnelles du moment, avions expérimentaux et prototypes les plus divers, contraintes financières parfois sous-estimées, hésitations sur la politique moteur, et, last but not least, initiatives industrielles pour disposer de produits compétitifs à l'exportation. Une longue période d'apprentissage avant la maturité ?

Comparativement, le programme Rafale est d'une étonnante stabilité bien que la date du lancement de son développement en 1988 marque le début des bouleversements géostratégiques, ce qui en justifie a posteriori les options de départ

 

    
Antoine Coursimault, ICA
Dans la DGA, Antoine COURSIMAULT a été notamment ingénieur système d'armes du Mirage 2000 et ingénieur de marque du programme RAFALE pendant la phase de définition du programme. Après avoir été conseiller technique au cabinet du Délégué Général pour l'Armement, il a rejoint THALES en 1990, puis Airbus Group en 2000. Depuis 2009 il exerce une activité de conseil.
 

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