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Sur la photo, autour du Rafale sur le PA CdG : l'amiral Philippe de Gaulle, Jacques Chirac, l'auteur (encore jeune et beau), Serge Dassault, l'amiral Delaunay, Yves Kerhervé, un Rafale et un Super Etendard
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01 juin 2015

UNE ADAPTATION FACILE DU RAFALE AU CHARLES DE GAULLE

On a beaucoup parlé des « mises au point » du PA CDG ; il y a pourtant des choses qui se sont passées sans problème ou presque : c'est, entre autres, l'intégration du Rafale à bord! FACILE ? Si l'on en juge par le peu de difficultés dont les médias se sont fait écho mais un processus de décision, conception, réalisation et d'essais de plus de 15 ans. On pourrait dire que c'est davantage le Rafale qui s'est adapté aux porte-avions que l'inverse ! Un plaisir pour le directeur de programme mais quelques frayeurs et beaucoup d'émotions quand même.


Dès les années 80, le Rafale se met sur les rangs pour devenir le successeur du Crusader sur le porte-avions Charles de Gaulle et, à terme, l'avion polyvalent de l'aéronavale. Mais il n'est encore pas le favori de quelques marins étoilés qui rêvent plutôt du F18C Hornet. Ce n'est qu'à la fin des années 80 que le choix du Rafale est confirmé au plus haut niveau de l'Etat. Le Rafale dut alors se parer des attributs d'un avion embarqué : une solide crosse d'appontage pour accrocher les « brins d'arrêt », des câbles d'acier de près de 4 cm de diamètre, un train avant modifié pour permettre le catapultage qui fait passer l'avion de 20 tonnes à 250 km/h sur 75 m, le calage de sa centrale à inertie depuis le porte-avions, des renforts de structure pour encaisser des milliers de chocs à l'appontage et au catapultage et ? une échelle de pilote rétractable ! Ce n'est quand même pas rien sur un avion sophistiqué où la moindre modification doit faire l'objet de qualifications longues, rigoureuses et coûteuses. Ces modifications ont surtout nécessité de nombreux essais. Des vols d'approche du Clemenceau ont permis d'appréhender les paramètres de vol. Plusieurs campagnes d'essais ont été menées dans des centres d'essais aux Etats-Unis, seuls à posséder au sol des installations de catapultage et les brins d'arrêts identiques à ceux des porte-avions américains, et du PA CDG qui les a aussi adoptés. Plusieurs campagnes d'essais ont également eu lieu sur le Foch, sur lequel on avait aménagé un « tremplin » pour faciliter le catapultage. La catapulte du Foch de 50 m était en effet un peu courte alors que celles du PA CDG font 75 m.

«... les tracteurs se rapprochaient dangereusement du bord... »

 

Pendant que la construction du PA CDG s'achevait, presque 300 appontages et catapultages à terre et sur le Foch avaient permis de valider les modifications du Rafale pour oser apponter sans état d'âme sur le PA CDG. Mais, lors des premiers étirements des brins d'arrêt sur le pont avec des tracteurs, ces derniers se rapprochaient dangereusement du bord ? Pour faire simple, la raison en était essentiellement un défaut de qualité du liquide hydraulique dont les presses de freins étaient remplies dès l'usine. Ces presses de freins sont situées sous le pont et les brins d'arrêt leur transmettent les efforts de l'appontage. Les mêmes presses équipent aussi les porte-avions US et c'est tout un lot du liquide hydraulique qui fut incriminé, y compris sur certains porte-avions US qui consignèrent certains brins d'arrêt ! Cette péripétie a créé une certaine méfiance de mes homologues directeurs de programmes avions. Malgré des revues techniques et de sécurité très pointilleuses à l'issue desquelles je déclarais « bonnes pour le service » les installations aviation du pont, rien n'y faisait, il n'y avait toujours pas de candidat pour apponter ! J'avais même osé alors interpeller le directeur du service des programmes aéronautiques pour lui dire que lorsqu'il avait été nécessaire de passer le mur du son, il fallut bien y aller avec un avion et que cela était aussi vrai pour apponter sur le PA CDG. Je crois d'ailleurs qu'il est devenu ensuite DGA, mais il m'a pardonné ma passion ?

J'avais donc imaginé un plan B qui consistait à immerger par grands fonds des gueuzes reliées par de grandes longueurs de câble aux brins d'arrêt. Le choc final d'une gueuze aérodynamique qui coule pouvait approcher l'effort réel d'appontage sur le brin d'arrêt. Ceux qui se souviennent du film « Abysse », où une grue de surface coule et s'écrase au fond, savent que la vitesse d'immersion peut atteindre en effet jusqu'à 0,9 fois la vitesse de chute dans l'air !

Heureusement pour le commandant qui s'inquiétait légitimement de mon plan B, un arbitrage eut lieu à très haut niveau pour que le premier appontage soit quand même réalisé le 6 juillet 1999 avec un Super Etendard modernisé (SEM) de série piloté par Eric Gérard et le Rafale M02 piloté par Yves Kerhervé apponta le lendemain. Tous deux étaient pilotes d'essais de Dassault Aviation.

C'est le cas de le dire, tout le monde n'était pas sur le pont (pour raison de sécurité), mais sur les moindres recoins de l'îlot pour assister dans un impressionnant silence aux premiers appontages. Des tonnerres d'applaudissements s'en suivirent ! Mais nous n'avions pas fini notre journée. Lors des premiers appontages, nous avions réalisé que les presses de freins n'avaient pas toutes reçu leurs dernières modifications. Il ne s'agissait certes pas de modifications essentielles à la sécurité, mais cela nous avait plongé dans le doute pour le premier catapultage. Alors que Rafale et SEM étaient donc parés au catapultage sur le pont, nous épluchions encore la documentation pour être certains que les catapultes avaient bien reçu leurs dernières modifications ? Moments intenses !

Les grandes adaptations techniques du porte-avions au Rafale ont été un renforcement de l'isolation acoustique des locaux sous le pont, l'aménagement dans le prolongement du hangar des impressionnants ateliers pour la maintenance du Rafale et notamment la réalisation d'un banc d'essais des moteurs du Rafale. Situé à l'extrême arrière du navire, le banc moteur en fonctionnement ne procurait hélas que peu de vitesse additionnelle aux 40 000 tonnes du PA CDG, mais il nous contraignit à prévoir une isolation substantielle de la plage arrière pour éviter les émissions sonores et atmosphériques d'un moteur M88 à pleine puissance. Et, faute de place, je ne vous parle pas des études de sécurité pour les chaufferies nucléaires du PA CDG ! Connaître le pouvoir calorifique d'un Rafale qui brûle était nécessaire !

Malgré les essais réalisés précédemment sur le Foch, les efforts encaissés par la structure, les trains d'atterrissage et les pneus du Rafale étaient légèrement différents car PA CDG et Foch ne sont pas identiques. Les experts de Dassault Aviation et de la DGA analysaient tous les paramètres, parfois inquiets, y compris quand il s'agissait d'apponter avec une bombe ou un missile nucléaire par exemple, mais ils étaient toujours finalement rassurés.

Le revêtement de pont du PA CDG, du même type que celui du Foch, était assez agressif à l'état neuf, déjà pour les brins d'arrêts qui s'usaient à grande vitesse. J'avais alors fait procéder à son arasement dans la zone d'appontage avec des « herses ponceuses » tractées inlassablement par des chariots, un peu à la « Mac Giver », pour que les essais en mer puissent se poursuivre ? On changea ensuite la peinture de pont pour y mettre la même que celle des porte-avions US. Retenez que l'une des interfaces la plus délicate à maîtriser entre pneus d'avion et porte-avions est peut-être le coefficient de frottement de la peinture de pont, le « mu » pour les connaisseurs. Au final donc, vraiment très peu de difficultés car un énorme travail avait été fait en amont par les équipes du Rafale et du porte-avions. Une coopération cordiale, constructive et devenue amicale a permis de régler tous les paramètres lors des essais sur le PA CDG pour qu'il forme un tandem de choc avec le Rafale. Encore bravo à tous ceux qui ont contribué à cette réussite. Je crois qu'on n'est pas loin des 33 000 appontages et catapultages, tous avions confondus, sur le PA CDG ; le couple PA CDG/Rafale, c'est vraiment du solide et nul doute qu'il fêtera un jour ses noces de rubis !  

 

 

 

    

Xavier Lebacq, IGA
Xavier Lebacq a effectué une grande partie de sa carrière à la DGA dans une large palette de métiers, dont celui de directeur de programme du PA CDG. Après avoir supervisé les études du second porte-avions, avorté faute de budget et de coopération des Britanniques, il s'attela au démantèlement du Clémenceau puis de tous les matériels militaires avant de quitter l'administration en 2010.

 

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