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Fin d'essai, tous les avions rentrent à la base © DGA EV (V. Ricco / G. Grasset / G. Grasset)
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07 juin 2015

LES ESSAIS EN VOL DU RAFALE VUS DU COCKPIT

Les essais en vol ont pour objectif de mettre à l'épreuve les nouveaux matériels et fonctionnalités. Pour réaliser ces « premières fois », les aéronefs à tester sont mis en oeuvre par des professionnels dont le but est d'appréhender des situations nouvelles en recherchant la sécurité et l'efficacité de l'essai. Embarquement immédiat pour le premier vol d'essai sur Rafale d'un jeune ingénieur navigant d'essai. 


Sur le parking avions de DGA Essais en Vol site d'Istres, un Rafale m'attend pour un vol de la première campagne de RAU (Revue d'Aptitude à l'Utilisation) du dernier standard en développement, dit F3-R. Ce sera mon premier vol d'essai depuis ma formation d'ingénieur navigant, une année à apprendre comment évaluer les performances systèmes et avions, du Mirage 2000 au PC7 en passant par l'A320.

Le pilote fait le tour de l'appareil pour en vérifier le bon état. De mon côté, je m'installe en place arrière, lance l'alignement des centrales inertielles et prends une minute pour repenser au vol qui nous attend. Une patrouille de deux Rafale biplaces au standard F3-R, indicatif Azur Lima, évoluera face à un Rafale au standard F3-3', actuellement déployé dans les forces, et un Mirage 2000-5 pour évaluer la conduite de tir du missile METEOR. Nous sommes équipier de la patrouille F3-R. L'ordre d'essai prévoit des passes de tir calibrées conçues pour pousser le système à ses limites et qu'il s'agit de réaliser au plus juste, des tests fonctionnels sur la liaison de données L16 et un simulacre de combat aérien.

Une fois sanglés à nos sièges, nous mettons les moteurs en route, procédons aux tests pré-vol et roulons vers la piste. Nous rejoignons le leader de la patrouille au point d'arrêt. Sur le siège avant, le pilote d'essai effectue le briefing décollage en rappelant la séquence attendue et les conduites à tenir en cas de panne. Dernière vérification de la cabine, nos sièges éjectables sont armés, pas d'alarme. Nous nous alignons en patrouille sur la large piste d'Istres à côté du leader. La tour nous donne le feu vert : « Azur Lima, clear for takeoff ». Pieds sur les freins, les moteurs de nos deux Rafale montent en puissance, les paramètres sont stables. Je peux voir l'équipage de l'autre avion se caler dans le siège avant qu'il ne s'élance dans un grondement rauque et s'envole. Quelques secondes plus tard, c'est à notre tour. Le pilote lâche les freins, l'avion accélère, de plus en plus vite. Je suis collé au siège sous l'effet de la poussée des deux M88 qui nous propulsent à pleine puissance, postcombustions enclenchées. L'accélération est conforme à la prévision, nous pouvons poursuivre le décollage. La vitesse de rotation arrive. En une traction sur le mini-manche, le pilote lève le nez de l'appareil qui s'envole. Le train d'atterrissage est rentré et nous montons rapidement vers notre leader qui apparait sur l'écran de situation tactique grâce à la liaison 16. En patrouille, à 10m de l'autre avion, nous sommes guidés par les contrôleurs d'essais vers notre zone de travail.

Takeoff

Depuis l'avion leader : « Azur Lima, clear for takeoff » © DGA EV (V. Ricco / G. Grasset / G. Grasset)

L'essai

Le responsable d'essai en salle d'écoute briefe la passe de tir à venir à l'ensemble du dispositif. Dans l'avion, nous nous rappelons les tâches et paramétrons le système d'arme. Alors que le pilote exécute les différentes manoeuvres, je dois en superviser le bon déroulement de manière à en assurer la conformité par rapport à l'ordre d'essai et dans le même temps observer la conduite de tir pour en détecter les éventuels dysfonctionnements. S'ensuivent plusieurs passes évaluant les possibilités offertes par la conduite de tir du METEOR. Le pilote me fait part de ses remarques à chaud qu'il faut consigner et ordonner en vue du débriefing qui aura lieu aussitôt que le vol sera terminé. La difficulté est alors d'extraire les évènements réellement importants, avec un maximum d'éléments de contexte qui permettront d'identifier les éventuelles sources des gênes perçues et les axes d'améliorations. Il faut alors faire parler le pilote et stimuler sa réflexion pour recueillir un compte-rendu circonstancié au-delà du premier avis subjectif, tout en préparant le prochain point d'essai.

Une fois les passes analytiques réalisées, nous passons aux passes opérationnelles de combat BVR (Beyond Visual Range), pour lequel le METEOR est un atout capacitaire. Les passes opérationnelles sont destinées à évaluer le matériel dans sa globalité en générant une charge de travail réaliste qui peut mettre en évidence des défauts à corriger. Seules des conditions d'essai aussi proches que possibles de la réalité permettent d'optimiser le système en vue de son utilisation opérationnelle. Un scénario réaliste a d'ailleurs été posé : notre objectif est d'empêcher une patrouille ennemie, constituée du troisième Rafale et du Mirage 2000, de pénétrer une zone située derrière nous. Le temps de resserrer le harnais du siège, nous nous organisons en hippodromes défensifs et attendons « l'ennemi » qui ne tardera pas. La liaison 16 nous permet de partager la situation tactique de notre leader et le système de guerre électronique SPECTRA nous renseigne en complément de notre radar. Sur nos écrans s'affichent alors les plots de la patrouille adverse. S'ensuit une danse à quatre avions, où il faut mener l'adversaire dans nos domaines de tir ou le contraindre à faire demi-tour hors de la portée de nos armes, tout en évitant de se faire leurrer et déborder par l'ennemi. Aux performances du matériel s'ajoute la capacité offerte au pilote de se représenter une situation tactique claire qui lui permettra de prendre la bonne décision. Il s'agit donc d'évaluer l'aisance qu'a le pilote à réaliser sa mission et recueillir ses impressions alors que je suis sanglé à un siège qui joue l'essoreuse, alternant les virages à 5g, les courtes phases stabilisées destinées à menacer l'adversaire et les changements brusques d'altitudes destinés à le surprendre.

A bord, les avantages du Rafale sur les appareils de la génération précédente sont indéniables. Les différents écrans tactiles présentent à l'équipage de manière organisée et synthétique l'état des différents systèmes et capteurs. Le collimateur tête moyenne affiche une situation tactique d'une grande lisibilité, qui ne demande pas au pilote de dégrader sa vision de loin pour rechercher une information tactique en cockpit. Les poignées manche et gaz, placées de part et d'autres du siège et les nombreuses commandes qui les recouvrent réduisent les mouvements de bras du pilote et lui permettent de contrôler l'ensemble des systèmes nécessaires au combat air-air comme air-sol. A l'image de ces exemples, le Rafale démontre son adéquation aux missions qui lui sont dévolues.

Fin d'essai, le débriefing

Après une vingtaine de minutes soumis à ce régime et de nombreux missiles tirés en mode entrainement, le leader arrête le combat et ordonne le retour à la base. A peine avons-nous le temps de descendre de l'appareil et de décharger les enregistrements qui serviront au rejeu et à l'analyse en détail du vol que nous nous apprêtons déjà à débriefer. Il s'agit de détailler les résultats essentiels qui serviront aux bureaux d'études industriels qui ont développé les modifications évaluées. Il est donc nécessaire d'être convaincant et juste face à la douzaine d'experts industriels présents quant au bienfondé des critiques formulées qui seront l'impulsion initiale du processus d'amélioration.

Au-delà du vol d'essai, partie émergée de l'iceberg, l'ingénieur navigant d'essai doit également concevoir, préparer et analyser minutieusement ses essais, argumenter et tracer ses prises de positions mais également conseiller, par son expertise de première main, les choix pris sur le programme. Professionnalisme, adaptabilité, connaissances scientifiques et aéronautiques, aussi bien théoriques que pratiques, et une bonne dose d'honnêteté intellectuelle et d'humilité sont autant de qualités qui lui sont nécessaires, notamment sur un programme aussi vaste, varié et exigeant que le Rafale. Ces caractéristiques sont également celles des Ingénieurs de l'Armement et il semble logique qu'ils contribuent à la phase cruciale du déroulement des programmes aéronautiques d'armement que sont les essais en vol.  

 

    

Christophe Bretault, IGA
X05 Supaéro, pilote des corps techniques, Christophe Bretault est responsable technique d'essais à DGA Essais en Vol depuis 2010. Après avoir été responsable de plusieurs campagnes d'essais sur l'hélicoptère EC665 Tigre et une formation d'ingénieur navigant d'essais à l'Ecole du Personnel Navigant d'Essais et Réception à Istres, il participe, à la DGA, au développement et à la qualification du Rafale.

 

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