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Fig 1 : précurseurs de MAFA (matières actives de fabrication artisanale) facilement accessibles sur Internet
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15 juin 2022

MENACE LIÉE AUX EXPLOSIFS
UNE APPROCHE INTERSERVICES EFFICACE ET DURABLE

Publié par Augustin Baulig et Sylvain Barrot | N° 126 - BOUM ! PYROTECHNIE ET MATERIAUX ENERGETIQUES

Dans le domaine de la menace liée à l’emploi d’engins explosifs improvisés (EEI) utilisant des matières actives commerciales ou de fabrication artisanale, la France s’est dotée depuis 2008 d’un outil innovant pour en réaliser la caractérisation technique, outil qui s’incarne dans un groupe de travail piloté par le secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN). 


Ce groupe associe des services de renseignement, des services de déminage et de police technique et scientifique, le laboratoire central de la Préfecture de police de Paris (LCPP) ainsi que les grands laboratoires nationaux experts dans le domaine des explosifs issus notamment de la direction générale de l’armement (DGA) et du commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), ainsi que l’institut de recherche franco-allemand de Saint-Louis (ISL).

Les objectifs principaux de ce groupe sont d’identifier et d’analyser les procédés artisanaux de fabrication de matières actives, d’analyser les modes opératoires de mise en œuvre de ces matières et d’essayer de détecter les signaux faibles de la menace future dans ce domaine. Le groupe peut également conseiller les opérateurs de terrain en cas de découvertes ou de saisies de produits lors d’actions préventives de nos services spécialisés.

La majorité des travaux concerne les matières actives de fabrication artisanale (MAFA) qui semblent exercer une fascination sur une certaine partie de la population. Passés les mythes et autres fausses informations, de quoi parle-t-on ? Les MAFA sont toutes les matières actives qui peuvent être fabriquées plus ou moins facilement à partir de produits accessibles à tout un chacun dans le commerce (voir l'annonce sur ebay plus haut) permettant ainsi de contourner les règlementations existantes destinées à limiter l’accès aux matières actives ou à leurs précurseurs.

La fabrication de telles matières est bien évidemment interdite et parfois délicate mais cela n’empêche pas certains de s’y frotter. Qui a donc intérêt à se plonger dans ces manipulations qui peuvent se révéler dangereuses pour soi comme pour les autres ?

 

 

Les profils sont assez variés et les dernières années, des motivations différentes ont pu mettre en évidence. Si certains semblent réaliser ces matières dans un but « ludique », comme les chimistes amateurs qui se mettent au défi ou les pratiquants d’airsoft ou de paintball, d’autres le font dans un but malveillant pour mener à bien des actions de banditisme voire des actes à caractère terroriste (cf. article de Libération, manuel pour apprenti djihadiste...). Pour ces derniers, il semblerait que cette pratique soit généralisée quelle que soit l’obédience d’appartenance, de l’ultra gauche à l’ultra droite, en passant par les survivalistes ou l’écoterrorisme sans oublier l’islamisme radical. La discrétion qui est de mise avec la réalisation d’actes malveillants convient parfaitement aux MAFA.

 

Les MAFA sont nombreuses et d’une grande variété ce qui fait de ce sujet un véritable défi pour la sécurité nationale (fig. 4). En fonction de la possibilité d’approvisionnement en précurseurs, de la sensibilité souhaitée, du mode de décomposition et du but recherché, la liste est aussi longue que celle du dictionnaire de la pyrotechnie en y ajoutant des produits ou mélanges exotiques. Il ressort tout de même que certaines matières sont plus souvent utilisées pour des raisons de facilité de synthèse ou d’efficacité. Les peroxydes sont bien évidemment en tête de liste dans nos pays européens mais ils ne sont pas les seuls.

Cet engouement impose aux différents services de l’état, notamment aux forces de sûreté intérieure qui sont les premières à intervenir, d’être vigilants. Ceci concerne tout d’abord les services de déminage mais aussi les groupes d’interventions ou les unités de secours qui sont, par la force des choses, moins sensibilisés à la problématique. La sécurité des personnels civils et militaires confrontés à ces produits impose une parfaite maîtrise technique des risques et donc une caractérisation fine de la menace. Cette caractérisation est aussi un outil important pour le recueil des preuves dans le cadre du traitement judiciaire des affaires où se retrouvent de tels produits (fig. 5 ci-contre : exemple d’un laboratoire clandestin de fabrication de MAFA découvert en France lors d’une action préventive).

 

 

 

Pour ces caractérisations, le SGDSN dispose de budgets dédiés pour financer les travaux des laboratoires. Les travaux financés permettent notamment de vérifier si un procédé de fabrication est fonctionnel ou non, de déterminer les paramètres de sécurité pyrotechniques et les propriétés détoniques des matières actives et d’évaluer les effets des EEI d’intérêt. Ces financements ont également permis de faire évoluer les infrastructures d’essais des laboratoires partenaires pour conserver une capacité d’expertise sur toutes les matières actives, y compris les plus sensibles en termes de manipulation. Enfin, l’expertise ainsi entretenue a contribué à alimenter les travaux européens sur la réglementation de la commercialisation des précurseurs d’explosifs.

Les experts du groupe participent également à des coopérations internationales leur permettant d’avoir connaissance des menaces n’ayant pour le moment pas encore été observées sur le territoire national ou de conforter ses analyses en échangeant des résultats de tests avec de grands laboratoires étrangers de renommée mondiale.

Parmi les matières actives d’intérêt aujourd’hui, outre les MAFA au premier rang desquelles se trouve les explosifs à base de peroxydes, nous retrouvons les explosifs manufacturés qui peuvent faire l’objet de vols ou de trafics notamment via des filières spécialisées venant de l’étranger.

Les EEI identifiés en France sont souvent techniquement assez rudimentaires (fig. 6 : exemples d’EEI retrouvés en France) mais utilisent de plus en plus des techniques de leurrage pour échapper aux contrôles mis en place par les autorités et intègrent désormais des systèmes de déclenchement largement employés dans des zones de conflit extérieures au territoire national.

 

 

Tous ces travaux font appel à une expertise de pointe qui est finalement peu répandue en France mais qui participe largement à notre sécurité nationale.

 

Augustin Baulig, chef du pôle analyse des risques BCEcau SGDSN

Augustin Baulig est docteur en toxicologie, formation initiale qu’il a complété par un cursus en pyrotechnie et en criminologie. En poste au SGDSN depuis 2008, il est chef du pôle d’analyse des risques et des menaces liées aux agents biologiques, chimiques et aux explosifs. Il anime notamment les travaux interministériels sur la caractérisation de la menace liée aux explosifs.

 

Sylvain Barrot, représentant du LCPP au groupe de travail SGDSN

Sylvain Barrot est diplômé de l’ENSTA Bretagne. Ingénieur principal, il est adjoint au chef du laboratoire « intervention spécialisée et développement capacitaire » au LCPP (Laboratoire central de la Préfecture de police de Paris).

Régulièrement engagé sur le terrain dans le cadre de l’activité opérationnelle du laboratoire, il est le représentant du LCPP au sein du groupe de travail piloté par le SGDSN.

Auteurs

Augustin Baulig
Sylvain Barrot

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