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11 juin 2022

POLE TECHNIQUE MAN DES RESPONSABILITES MULTIPLES ET EXIGEANTES
INTERVIEW DE PASCAL MARCHANDIN

Pascal Marchandin (ENSTA Bretagne), a exercé différentes responsabilités en lien avec la pyrotechnie, les munitions et les missiles au sein de la DGA et au sein du MSIAC à l’OTAN. Il a en outre apporté sa contribution à la création de la SIMMT en 2010 et à la transformation du SIAé.


Pascal Marchandin, ICETA, responsable du pôle technique MAN à la DGA

La CAIA : Vous assurez la responsabilité du pôle technique MAN au sein de la DGA. Comment définiriez-vous les principales facettes et les enjeux majeurs de ce poste ? 

Pascal Marchandin : Le pôle de compétences MAN (Missiles Armes et munitioNs) regroupe au sein de la DGA plus de 800 personnes, dans des profils d’architectes ou d’experts, intervenant au profit des directions de programmes de la DO (direction des opérations) ou dans divers profils liés aux essais au sein des centres d’essais ; ce pôle couvre de nombreux métiers relatifs principalement aux missiles, tactiques comme stratégiques, aux armes et munitions ainsi qu’à la propulsion, la pyrotechnie, aux matériaux énergétiques de défense, à la sécurité pyrotechnique et à la sûreté nucléaire. Je me dois ainsi de mettre à disposition les bonnes compétences techniques au bon moment pour satisfaire les besoins des programmes, et de les anticiper au regard des besoins futurs.

Je dois également élaborer, en coordination avec l’Agence de l’innovation de Défense et les entités impliquées de la DGA, la politique technique du domaine à moyen et long termes, notamment dans la perspective de l’étude ou du développement de nouveaux systèmes d’armes, par exemple au travers de la montée en maturité d’un nouveau matériau énergétique. Cette politique est ensuite présentée au délégué et formellement approuvée par lui.

J’exerce par ailleurs deux responsabilités qui dépassent le cadre de la DGA : d’une part, celle d’autorité technique en charge – au-delà d’un avis sur la sécurité des personnes et des biens pour tout système pyrotechnique développé par la DGA - de valider, notamment sous l’angle de la sécurité pyrotechnique, l’emploi par les forces armées, les forces spéciales ou les unités NEDEX, de munitions et explosifs acquis en dehors de la DGA ; d’autre part, celle d’homologuer des matériaux énergétiques pour emploi dans les munitions françaises, fabriqués en France ou à l’étranger.

La CAIA : Qu’est-ce qui vous a le plus surpris depuis 2 ans dans cette fonction ?

PM : Mon expérience la plus marquante s’est déroulée au sein de l’OTAN dans l’actuel MSIAC (Munitions Safety Information Analysis Center), dédié à la sécurisation des munitions. Elle m’a permis pendant 6 ans de côtoyer les meilleurs experts mondiaux du domaine et de montrer que la France pouvait, du fait de ses compétences étatiques et industrielles, jouer un rôle de premier plan sur le sujet. J’ai progressivement appréhendé l’étendue d’un domaine que je n’imaginais pas aussi vaste et surtout j’ai pris conscience d’exercer cette responsabilité à un moment historique où des évolutions majeures se profilent, avec en particulier l’arrivée de l’hypervélocité, de munitions téléopérées, ou de drones armés ou munitions en essaim.

La CAIA : A quelles évolutions significatives doit-on s’attendre dans ce domaine dans les années à venir ? Y-a-t-il encore de la place pour l’innovation ?  

PM : S’agissant des charges militaires, après plusieurs années d’effort sur leur muratisation(1), les besoins opérationnels conduisent à privilégier la recherche de performances, alliées à des objectifs d’insensibilisation. Les prochaines charges utiliseront des explosifs tout à la fois moins sensibles et performants, et la technologie des éclats réactifs deviendra envisageable.

Pour ce qui est de la propulsion tactique à courte et moyenne portée, la modulation de poussée (voir l’article du magazine) bientôt accessible avec des propergols solides permettra une plus grande compacité et une meilleure manœuvrabilité du missile. Concernant les missiles à longue portée, leur vitesse va s’accroitre et la projection d’un futur missile antinavire supersonique avec statoréacteur de type ramjet est un impératif.

Les munitions futures seront guidées, téléopérées mais devront être à bas coût.

Pour résumer, du fait de notre environnement de défense qui évolue fortement et très vite, la recherche à la fois de vitesse, de portée, de manœuvrabilité et de performances va guider le futur du domaine missiles et munitions.

Enfin, face à des menaces potentielles de type essaims de drones kamikazes, le canon a encore de beaux jours devant lui.

La CAIA : Doit-on s’attendre à des inflexions en matière de souveraineté nationale ou européenne ?

PM : La conception, le développement, la production et le MCO des missiles à haute valeur opérationnelle ou considérés de souveraineté nationale sont et devront rester totalement sous maîtrise nationale ; avec la crise sanitaire récente et la guerre en Ukraine nous allons réinterroger notre politique actuelle, en précisant à nouveau ce qui peut être partagé, délégué au niveau européen ou ce qui doit rester sous maîtrise exclusivement nationale.

Mais l’Europe de la défense reste toujours présente dans nos décisions dans la mesure où c’est bien là que se situe l’avenir de la filière missiles. Le système d’armes Twister, appelé à succéder au système Aster actuel, ne deviendra une réalité que sous la bannière européenne, avec un premier niveau de coopération qui se dessine notamment entre l’Allemagne, l’Italie et la France. Dans le domaine industriel, le projet Phenix, élaboré par Eurenco pour son site de Sorgues en vue de moderniser son outil de production d’explosifs, devrait être décidé après des années de retards, et le ministère des armées prendra sa part dans le financement correspondant.

La CAIA : Comment sont prises en compte les préoccupations environnementales, lors de la fabrication et en fin de vie, lors de l’élimination de ces produits pyrotechniques ?

PM : Depuis les années 2000, une norme OTAN spécifique (STANAG) demande que les exigences liées à la démilitarisation d’une munition soient intégrées lors de son développement, sachant que la règlementation européenne REACH nous contraint par ailleurs à traiter de nombreuses évolutions de matériaux, dans le cadre du développement ou de la production d’un produit pyrotechnique.

En termes de réduction de l’empreinte environnementale du domaine, nos industriels, qui sont tous certifiés ISO 14001, inscrivent leurs actions dans la récupération, la réutilisation, ou le recyclage (R3) des produits nécessaires à la réalisation de ces objets pyrotechniques. ArianeGroup met ainsi en œuvre de façon industrielle, un procédé d’élimination de propergols par l’action de bactéries appropriées. L’utilisation prochaine des microréacteurs et des procédés Résonance Acoustique Magnétique (RAM) en production pyrotechnique va, quant à elle, contribuer à réduire la consommation énergétique de leur production ainsi qu’à limiter fortement les déchets.

La CAIA : Est-il possible de conserver demain au sein de l’Etat et de la DGA, une expertise réelle sur un domaine aussi vaste et comment l’entretenir et la pérenniser ?

PM : Tout d’abord la DGA fait partie des organismes qui suscitent un réel intérêt auprès des jeunes qui souhaitent travailler dans des métiers liés à la pyrotechnie et aux missiles et munitions, et à ce titre le pôle MAN demeure attractif. En complément de ses propres ressources, la DGA fait aussi appel à des compétences étatiques de haut niveau qu’elle finance, au sein de l’ONERA (statoréacteur, aérodynamique, propulsion) et du CEA/DAM/

Gramat (défense conventionnelle – expertise létalité des têtes militaires). De façon à renouveler et pérenniser les compétences d’expert ou d’architecte au profit des directions de programme, quelques jeunes ingénieurs militaires peuvent, en sortie d’école ou après un premier poste à la DGA, acquérir une expérience complémentaire de deux ans dans l’industrie des missiles et de la pyrotechnie. Ainsi, cet été, la DGA réintégrera 5 ingénieurs qui auront bénéficié de cette expérience au sein de MBDA, ArianeGroup et EURENCO. Les ingénieurs peuvent occuper successivement jusqu’à trois postes techniques sur 10 ans en moyenne au sein du pôle MAN, et passer d’une fonction d’expert avec différents niveaux accessibles, à une fonction d’architecte ; les ingénieurs civils peuvent pour leur part accéder à des postes d’expert sur un domaine pointu, voire d’expert technique de très haut niveau (ETHN) avec une vision transverse des domaines d’expertise indispensables pour un missile ou une munition. Pour avoir la qualification et la reconnaissance d’expertise à un haut niveau, un ingénieur doit montrer une bonne maîtrise de son domaine d’intervention et présenter devant un jury ad-hoc un mémoire et un programme de travaux de développement de ses connaissances sur 5 ans dans le domaine concerné. Son expertise s’entretient et se parfait par la suite, dans le cadre des échanges qu’il peut avoir avec d’autres experts étatiques ou industriels, au niveau national et international, ou de ses responsabilités d’élaboration de programmes d’études amont. 

En recrutant ses futurs grands experts et architectes, principalement à Polytechnique, l’ENSTA (Bretagne et Paris) et à l’ISAE, la DGA, grâce à l’attractivité du domaine et à la politique de ressources humaines qu’elle pratique, reste confiante dans sa capacité à conserver une expertise de haut niveau, à même de satisfaire les besoins futurs de ses programmes et opérations d’armement. 

1 : Ce terme, dérivé du mot MURAT pour MUnitions à Risques Atténués, caractérise la réduction de la sensibilité des munitions aux agressions accidentelles (incendie, …) ou délibérées (impact par balle, …)

 

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