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Essais de qualification du moteur Vulcain 2.1 en 2018
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25 juin 2022

NOTRE SOUVERAINETÉ SPATIALE PASSE PAR DES TECHNOLOGIES DUALES
GARANTIR L’ACCÈS À L’ESPACE EST UNE COMPOSANTE MAJEURE DE LA SOUVERAINETÉ ET DE L’INDÉPENDANCE STRATÉGIQUE DES ÉTATS

Face aux bouleversements géopolitiques mais aussi économiques, avec la montée en puissance de nouveaux états mais aussi d’acteurs privés, l’espace devient une nouvelle frontière pleine de promesses mais aussi de menaces. 

Entretien avec André-Hubert Roussel, Président exécutif d’ArianeGroup.


La CAIA : Depuis plusieurs mois, ArianeGroup retrouve des couleurs à mesure qu’Ariane 6 s’impose comme le lanceur des Européens. A quoi attribuez-vous cela ?

 André-Hubert Roussel : La confiance et le support de l’ESA et de ses États membres, les efforts réalisés par tous les salariés du groupe et de nos partenaires industriels européens et enfin les choix technologiques que nous avons faits depuis plusieurs années commencent à porter leurs fruits. Sur le plan stratégique, le nouveau contexte lié à la guerre en Ukraine a transformé le partenariat, qui permettait à Arianespace d’opérer les lanceurs russes Soyouz, en dépendance des Européens au lanceur russe – une dizaine de lancements étaient programmés en 2022. Heureusement Ariane 6 a été conçue en 2014 – année d’invasion du Donbass – dans sa version 62 avec deux boosters pour prendre le relais de Soyouz et assurer les missions de souveraineté des Européens dès 2023. Sur le marché international, le contrat KUIPER montre qu’Ariane 6 est un lanceur compétitif qui suscite la confiance d’un acteur mondial tel qu’Amazon avant même son premier lancement. Nous devons ce succès aux efforts réalisés sur les coûts d’Ariane 6 et aux innovations introduites dans le programme, en particulier le moteur ré-allumable Vinci. Ariane 6 aura aussi vocation, à l’instar d’Ariane 5, à mener des missions d’exploration et des missions vers l’orbite géostationnaire qui restent un volet très important dans le monde de l’espace.

Trois moteurs pour Ariane 6

Depuis 2014 et le lancement du programme Ariane 6, trois nouveaux moteurs ont été conçus.

- Des boosters P120C à propergol solide, d’une poussée de 450 tonnes et d’un poids de 140 tonnes pour une durée de combustion de 130 secondes, à tuyère orientable, qui assurent le décollage.

- Un moteur Vulcain 2.1 pour l’étage principal, à propulsion liquide hydrogène-oxygène, d’une poussée de 140 tonnes, qui prend le relais et amène le lanceur à 160 km d’altitude.

- Le moteur cryogénique Vinci, délivrant 18 tonnes de poussée à partir d’un mélange cryotechnique d’hydrogène liquide et oxygène liquide. Contrairement au HM7 qui équipait Ariane 5, Vinci sera réallumable en vol, optimisant ainsi la capacité d’Ariane 5 à envoyer plusieurs satellites par vol et de placer 11,6 tonnes en orbite.

La CAIA : Récemment aux côtés du Commandement de l’Espace, vous avez réaffirmé l’importance du modèle dual d’ArianeGroup. Qu’est-ce que cela signifie concrètement ?

AHR : Née de la volonté de concilier les enjeux de souveraineté nationale dans le domaine de la dissuasion avec les besoins européens d’accès autonome à l’espace, cette dualité de la filière entre activités civiles et militaires a contribué à l’avènement puis au succès du modèle spatial européen. Cette dualité inspire un mode de gestion industriel dynamique qui répond à de multiples enjeux : la pérennisation des compétences critiques dans la durée, l’attractivité des bassins d’emplois français et l’irrigation de l’écosystème industriel national avec des emplois de haute technicité non délocalisables, la résilience de l’outil industriel dimensionné pour répondre à la fois aux exigences nationales de la dissuasion et à la logique de coopération européenne de la filière des lanceurs européens, et enfin la compétitivité commerciale pour atteindre les volumes de production permettant de diminuer les coûts récurrents.

La dualité de nos activités permet aussi de renforcer la crédibilité de notre dissuasion à chaque lancement d’Ariane.

Si le lanceur n’est pas maîtrisé, c’est toute la filière industrielle spatiale qui est menacée. L’expérience nous l’a appris : les Etats-Unis ont interdit de commercialiser les capacités du satellite de télécommunications Symphonie devant être lancé par la NASA suite à l’échec du projet de lanceur Europa. C’est la raison même pour laquelle le programme Ariane a vu le jour. Et aujourd’hui, c’est Ariane 5 qui a lancé le télescope spatial James-Webb pour la NASA avec la précision qu’on lui connait, doublant ainsi sa durée de vie !

En complément de nos capacités de lancement, il faut être en mesure de connaître le trafic en orbite pour détecter un risque de collision lors d’un lancement ou lors des opérations de nos moyens spatiaux, et faire les manœuvres qui s’imposent. ArianeGroup a développé pour cela le système GEOtracker qu’utilise également le Commandement de l’Espace depuis le mois de décembre. Autre exemple de dualité.

GEOTRACKER 

GEOtracker a été développé dès 2008, après la destruction d’un satellite chinois par la Chine ayant généré de multiples débris à longue durée de vie par un missile tiré depuis la Terre. Ariane Group a construit un réseau de surveillance optique basé sur le déploiement de neuf télescopes dans six pays amis, qui offre une couverture permanente à 360 degrés de l’arc géostationnaire. D’ici à 2025, ce réseau comptera trente stations dans le monde, ce qui en fera la première infrastructure européenne privée dotée d’un catalogue répertoriant plusieurs milliers d’objets, sur toutes les orbites.

Ce réseau de surveillance qui répondait donc initialement à nos besoins et à une expérience acquise dans nos opérations civiles est aujourd’hui un atout majeur pour la Défense française.

La CAIA : Comment envisagez-vous le New Space ?

AHR : L’accès à l’Espace est passé ces dernières années d’une logique de trajectoire à une logique de territoire, et donc de souveraineté sur le plan économique, scientifique et géopolitique.

Les systèmes de navigation, d’observation et de communication ont besoin de l’espace. A titre d’illustration, nos smartphones nécessitent en moyenne une cinquantaine de connexions à des satellites au quotidien. Il est nécessaire et légitime pour un état ou un ensemble d’états comme l’Union européenne, de garantir son accès souverain à l’espace grâce à ses propres lanceurs spatiaux.

Nous sommes aussi confrontés à la question de la durabilité de l’espace. Le développement de constellations en orbite non seulement génère un important trafic, mais entraîne aussi un risque accru de collision. S’y ajoute le sujet des satellites en fin de vie ou qui ne sont déjà plus utilisés qui gravitent dans l’espace. Nos systèmes doivent prendre en compte l’ensemble de ces enjeux pour sécuriser nos lancements, déterminer les bonnes trajectoires, réduire le risque de collision…

Fusée Ariane 5 : un grand succès européen

ArianeGroup est le leader européen de l’industrie spatiale. Le lancement d’Ariane 6 ouvrira un nouveau chapitre d’une aventure industrielle qui rassemble tous les Européens. Forts de partenariats avec plusieurs centaines d’entreprises européennes, nous pouvons compter également sur la confiance renouvelée régulièrement des opérateurs du ministère des Armées.

Nous travaillons aussi sur les systèmes de transport spatial du futur. Aller en orbite de manière encore plus efficace et durable, se déplacer d’une orbite à l’autre, travailler dans l’espace et multiplier les échanges entre la Terre et l’espace… Nous sommes mobilisés sur de nombreux projets, et notamment le mini-lanceur que développe MaiaSpace,que nous voyons comme le  premier membre de la future famille de lanceurs réutilisables et éco-responsables.

L’idée n’est pas de copier les autres grandes puissances, mais de poursuivre notre propre voie ! Avec une ambition spatiale européenne renouvelée

 

André-Hubert Roussel est président exécutif d’ArianeGroup depuis le 1er janvier 2019

Sa carrière est centrée sur les télécommunications puis le spatial au sein du groupe Airbus. Il y a notamment piloté la genèse d’Ariane 6 et a été directeur des opérations de la branche Défense et Espace d’Airbus, notamment au service des programmes d’avions militaires MRTT et A400 M.

 

Auteur

Olivier Martin a débuté sa carrière en 1983 à la DGA notamment comme Directeur du programme Mesures du BEM Monge, puis responsable Allemagne, Italie, Pays-Bas, Scandinavie à la Délégation aux Relations Internationales.
En 1991, il rejoint Matra Défense comme Directeur des Opérations Internationales, puis responsable Business Development du secteur anti-surface, puis directeur des programmes anti-surface.
En 2003, il dirige l’entité Defence Electronics France d’EADS, puis la stratégie de l’entité DS SAS d’EADS.
En 2007, il rejoint MBDA en tant que Secrétaire Général du groupe.
En 2021, il crée la société de conseil ICARION Consulting dont il est le Président.

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