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08 juin 2025

SYNTHÈSE DU DINER-DÉBAT AVEC BRUNO BERTHET
PRÉSIDENT DIRECTEUR GÉNÉRAL D'ARESIA

Lors de notre premier dîner-débat de 2025, nous avons eu le plaisir d’accueillir notre camarade Bruno Berthet, PDG d’Aresia, sur le thème de la consolidation des PME et ETI dans un contexte d'économie de guerre. La quarantaine de participants a ainsi pu apprécier l’expérience de terrain partagée par Bruno, qui confirmait et incarnait la thématique de la réindustrialisation de la France que nous avait présentée Alexandre Saubot lors d’un précédent diner-débat de la CAIA en octobre 2024.


Une montée en cadence progressive et continue de l’aéronautique civile

L'écosystème des PME et ETI n'a pas attendu le contexte d'économie de guerre pour se consolider. Ainsi, lorsque Bruno quitte fin 2011 la maîtrise d'ouvrage étatique (il a notamment été directeur du programme Mirage 2000 à la DGA) pour diriger l'entreprise familiale Rafaut (à l’époque moins de 90 employés et 20 M€ de chiffre d'affaires) en tant que Directeur Général, les sous-traitants d'Airbus Avions organisent déjà des rapprochements entre eux, poussés par la direction des achats du groupe en vue de pouvoir augmenter leurs cadences de production. En effet, il sortait en 2011 33 avions A320 par mois des chaînes de production et l'avionneur sollicitait sa supply chain pour faire les efforts permettant de monter à 40 A320 par mois en 2015. Si cela été effectivement un défi à l’époque, il faut noter qu’aujourd’hui la cadence de production des A320 visée pour 2027 est de 75 aéronefs par mois.

1960-2025 : de Rafaut à Aresia

Rafaut, société familiale dédiée à l’aéronautique, créée par Jacques Rafaut en 1960, est un équipementier civil et de défense, spécialiste des emports et des charges dans le domaine de la défense. La PME acquiert en 2019 les sociétés du groupe AEds spécialisées dans le domaine des réservoirs largables (héritage de la Société des Usines Chausson), des pistons de freinage et des roues, ainsi que dans les fixations aéronautiques. Rafaut intègre ensuite en 2021 Seca Automatismes (spécialiste en systèmes électroniques embarqués, harnais aéronautiques et moyens de soutien et de test au sol), Secapem (entreprise familiale fondée en 1957 par Joseph Pasqualini, leader mondial de la conception et de la production de systèmes d’entraînement au tir réel, Lun’tech®) ainsi que Lace (leader européen sur le marché des crochets d’emport de charge pour hélicoptères) et Alkan, une entreprise créée en 1923 par Robert Alkan et spécialiste des systèmes d’emports et d’éjection pour les avions, les hélicoptères, et les drones. Rafaut Group et ces entités donnent ainsi naissance à un acteur aéronautique dual majeur capable d’offrir une expertise globale en s’appuyant sur les savoir-faire de chacun & l’expérience reconnue de tous. En mai 2022, cet ensemble est baptisé ARESIA.

En 2015, pour le seul domaine des emports aéronautiques, il existait 7 sociétés dans le monde, dont 4 en Europe (2 en France). Aujourd'hui Aresia regroupe 900 personnes et réalise un chiffre d'affaires de 210 M€. Néanmoins, Bruno souligne que passer d’une PME "small is beautiful" à une ETI nécessite le recrutement de personnels adaptés à ce passage à l'échelle, mais qui doivent composer avec l'esprit des pionniers.

Aujourd'hui, à la croissance continue du secteur aéronautique civil s’ajoute un besoin d’accélération et d’augmentation de la production dans le domaine militaire. Par exemple, la cadence de production des Rafale doit désormais tripler... Ainsi, compte tenu des faibles cadences alors nécessaires, les activités de production n’étaient pas jugées aussi essentielles au sein des entreprises de défense que les activités commerciales d’études et de développement. Cette situation a aujourd’hui clairement évolué : les responsables sachant organiser une chaîne de production industrielle doivent aujourd’hui intégrer les comités exécutifs des industriels de la défense qui en étaient alors très majoritairement dépourvus.

La mode d’une France tertiaire sans usine dans une mondialisation heureuse a heureusement laissé place à une volonté de réindustrialiser notre territoire, la crise COVID suscitant une nette prise de conscience de l’importance de la souveraineté industrielle nationale et européenne dans les secteurs stratégiques. Cette politique nécessite un soutien continu de l’Etat et des responsables en charge de son application au sein de ses services, comme c’est le cas dans le secteur de la défense avec la DGA et en particulier sa récente Direction de l'Industrie de Défense. Pour Bruno Berthet, tous les secteurs industriels en France n'ont pas la chance de disposer d'une telle administration qui entend veiller à la cohérence globale du modèle industriel de défense pas seulement focalisé sur les grands groupes et leurs sous-traitants de rang 1.

Bruno souligne également que l'industrie est un des seuls lieux où se croisent toutes les couches de la population, agissant localement comme un facteur fondamental de cohésion sociale. Comme le suggérait Alexandre Saubot lors d'un précédent diner-débat de la CAIA, Bruno suggère d’ouvrir les usines aux jeunes et aux forces vives de la société afin de les débarrasser des images tirées des romans de Zola que l’industrie véhicule encore et d’attirer les talents dont elle a besoin. Dans cette perspective, une politique de communication est nécessaire pour inciter les jeunes à rejoindre les métiers de l'industrie et leur faire comprendre que l'industrie contribue en France au développement économique tout en contribuant à la nécessaire transition écologique. En effet, la France est en mesure de produire localement de façon très décarbonée (grâce à l'énergie nucléaire notamment), réduisant ainsi l'importation de produits manufacturés à l’étranger et transportés en France dans des conditions beaucoup moins respectueuses de l’environnement.

A la question de l'utilisation de moyens de production civils pour produire des équipements militaires, Bruno aura la même réponse qu'Emmanuel Chiva lors de ses vœux de début d’année, à savoir qu'il faut aller chercher les compétences et les moyens de production là où ils se trouvent (voir encadré). Il souligne d'ailleurs les adhérences entre les outils de production civils et militaires en prenant l'exemple de l'embargo contre la Russie dans le domaine des semi-conducteurs. L'Arménie s'était alors mise à acheter à l'Union européenne trois fois plus de lave-linges qu'en 2021 et le Kazakhstan, lui, a commandé soudainement trois fois plus de réfrigérateurs et six fois plus de tire-laits électriques, les puces électroniques de ces appareils pouvant servir aux systèmes de conduite de tir de véhicules blindés

Bruno souligne que l'économie de guerre d'un pays non belligérant n'est pas l'économie de guerre d'un pays en guerre. Il partage sa confiance dans la capacité de la France de basculer, le cas échéant, d'un modèle vers l'autre. Le ministère des Armées dispose d'un cadre légal permettant la réquisition de personnels, la constitution de stocks (matières premiers jugées stratégiques par exemple) ou des outils de production dont le décret du 28 mars 2024 a précisé les conditions des réquisitions et de priorisation. Mais au-delà de l'arsenal législatif, il suggère que l’industrie s’inspire de l’expérience des armées à planifier "à froid" de nombreux scénarios.

Sur la question du financement des ETI, Bruno insiste sur la nécessité de pédagogie, les milieux financiers en France pêchant souvent plus par ignorance qu'étant mus par un antimilitarisme militant. A titre d’exemple, certains banquiers apparaissent peu au fait des conditions d'obtention des licences d'exportation des matériels de guerre, très contrôlées par l’Etat et voient donc pour elles un risque réputationnel (infondé) dans le financement des entreprises de défense. Les sujets de compliance et de taxonomie sont un autre sujet pour lesquels le ministère des Armées et le gouvernement ont compris la nécessité de soutenir le domaine de la défense, en France, mais surtout au niveau européen où la bataille est loin d’être définitivement gagnée.

Bruno conclut par un appel à une réelle simplification, étant conscient que la bonne volonté dans les administrations peut parfois conduire à "ajouter une strate administrative supplémentaire" au titre d’une politique de simplification. Comme dans le cas de l'Ukraine, la contrainte normative actuelle ne serait plus de mise en cas de conflit de haute intensité (en particulier les règlements issus des parlements français et bruxellois) potentiellement en contrepartie d'une augmentation du risque d'accidents et d’une dégradation des conditions de travail que la société n'est naturellement pas prête à accepter dans les conditions actuelles.

Si on a pu regretter une participation plus faible que d’habitude des jeunes IA, nous avons néanmoins assisté à un nouveau-débat passionnant sur un sujet d’actualité comme l’ont montré les résultats de notre enquête de satisfaction.

Auteur

Olivier Martin a débuté sa carrière en 1983 à la DGA notamment comme Directeur du programme Mesures du BEM Monge, puis responsable Allemagne, Italie, Pays-Bas, Scandinavie à la Délégation aux Relations Internationales.
En 1991, il rejoint Matra Défense comme Directeur des Opérations Internationales, puis responsable Business Development du secteur anti-surface, puis directeur des programmes anti-surface.
En 2003, il dirige l’entité Defence Electronics France d’EADS, puis la stratégie de l’entité DS SAS d’EADS.
En 2007, il rejoint MBDA en tant que Secrétaire Général du groupe.
En 2021, il crée la société de conseil ICARION Consulting dont il est le Président.

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